Dans le but d’assimiler la prochaine génération de Juifs, le tsar Nicolasa promulgua un décret ordonnant la conscription des garçons juifs dans son armée pour 25 ans de service. Il fit pression sur les conseils locaux pour qu’ils remplissent un quota imposé, et il revint aux dirigeants des communautés de trouver qui envoyer. Les enlèvements devinrent la terrible norme, se produisant généralement lorsque les garçons étaient sur le chemin du retour du ‘heder, et ces enfants n’étaient souvent jamais revus. Les parents vivaient dans une peur perpétuelle.

Dans les casernes, les garçons, souvent pas plu âgés que 8 ans, étaient soumis à des mauvais traitements destinés à les persuader d’abandonner la religion juive. Ceux qui refusaient le baptême subissaient des coups, la torture et la famine.

Eliahou, un garçon timide élevé dans une famille ‘hassidique, avait été arraché dans la rue de son shtetl par un homme à cheval. Rejoignant un groupe d’autres garçons enrôlés de force, Eliahou défia tous les pronostics au fil des années, se cramponnant à la notion d’identité juive qu’il avait réussi à préserver. Lorsqu’il fut libéré de l’armée, il était un homme adulte et seul, ayant perdu toute trace de sa famille.

Il s’installa à Saint-Pétersbourg et lança une entreprise qui prospéra rapidement. Un autre développement heureux suivit bientôt quand Eliahou rencontra sa femme, une juive, et les deux menèrent une vie tranquille, observant le judaïsme au mieux de leurs capacités.

À plusieurs centaines de kilomètres au sud se trouvait la petite, mais très animée, bourgade de Loubavitch. Là vivait le Rabbi Rachab, Rabbi Chalom Dovber. Les Juifs venaient de loin pour le rencontrer, solliciter sa bénédiction et lui demander d’intercéder au ciel en leur faveur.

Un jour, une veuve, mère de trois filles, se présenta chez le Rabbi pour lui demander conseil, sur la recommandation de ses amies. Sanglotant misérablement, elle décrivit son dilemme. Elle était très pauvre. D.ieu merci, elle avait eu de très bonnes filles, mais elle n’avait aucune idée de la façon dont elle paierait pour les mariages qu’elle espérait célébrer.

« Allez à Saint-Pétersbourg », dit le Rabbi, mettant ainsi fin à leur audience.

La veuve quitta le bureau du Rabbi tout à fait confuse. Accablée de détresse, elle se remit à pleurer. Les ‘hassidim alentour s’enquirent de ce qui lui arrivait.

« Le Rabbi m’a dit d’aller à Saint-Pétersbourg, gémit la veuve. Je n’ai aucune idée de ce qu’il veut dire par là et il ne m’a pas dit où à Saint-Pétersbourg. Je ne connais personne dans cette ville, et je n’ai même pas les moyens de payer le voyage. »

Les ‘hassidim la réconfortèrent et lui expliquèrent que les conseils du Rabbi n’étaient jamais vains. Quelqu’un se porta volontaire pour faire une collecte, et peu après, ils présentèrent à la veuve une bonne somme d’argent. L’espoir de la veuve se raviva et elle se mit en route, toujours perplexe quant aux instructions du Rabbi.

En descendant du train à Saint-Pétersbourg, elle se demanda par où commencer. Saint-Pétersbourg n’est pas une petite ville, et sans destination, la veuve se mit à errer dans les rues sans but. Des heures durant, elle marcha, jusqu’à ce que la faim et l’épuisement aient raison d’elle. Le désespoir la rattrapa finalement juste devant une résidence imposante. Soucieuse de soulager ses pieds, elle s’assit sur les marches du perron, puis s’allongea et ferma les yeux. Le sommeil s’empara d’elle presque instantanément.

Elle fut réveillée en sursaut par des hurlements. Un domestique de la résidence l’avait trouvée endormie sur les marches et l’avait prise pour une mendiante ordinaire. Rouge de honte, la veuve reprit ses esprits et s’apprêta à partir.

À ce moment, la porte d’entrée s’ouvrit, révélant un homme distingué. Il demanda au serviteur qu’elle était la raison de ce bruit. Alors que celui-ci bégayait une explication, l’homme se rendit compte que la femme était juive et ordonna au serviteur de la faire rentrer.

Une fois à l’intérieur, la veuve fut conduite dans la salle à manger où l’homme et sa famille étaient en train de dîner. Quelqu’un la fit asseoir et un plat chaud et une tasse de thé fumante apparurent devant elle. Remarquant son hésitation, l’homme expliqua qu’il descendait d’une longue lignée de ‘hassidim ; tout dans sa maison était casher.

L’atmosphère chaleureuse et la gentillesse de son hôte mirent la veuve à l’aise. À la demande de celui-ci, elle parla un peu d’elle-même et de son défunt mari, en mentionnant son nom. À l’autre bout de la table, l’hôte émit un son étrange. Son visage pâlit soudainement et il était évident qu’il avait du mal à dire quelque chose. Quelques instants plus tard, l’homme demanda à la veuve de répéter le nom de son mari.

L’homme manifesta un intérêt soudain pour la famille de cette femme, et il ne pouvait parler de rien d’autre. La veuve fut interrogée, presque questionnée, sur les différents membres de sa famille, tandis que l’homme devenait de plus en plus ému.

« Alors votre mari est mon petit frère ! », s’écria-t-il finalement.

L’homme, qui se présenta comme étant Eliahou, parla alors à la veuve de son frère de leur enfance idyllique. Malheureusement, alors qu’il était encore très jeune, Eliahou avait été kidnappé pour servir dans l’armée du tsar et il avait perdu tout contact avec son jeune frère.

Quand Eliahou entendit quelle était la situation financière de la veuve et son incapacité à marier ses filles, il promit de l’aider.

La femme obtint la sécurité financière dont elle et ses filles avaient besoin. Mais surtout, ils savourèrent tous la joie de se reconnecter après tant d’années de séparation.

Adapté de Si’hat Hachavoua n° 1192