Les femmes juives (moi incluse) sont connues pour faire la publicité de leur martyre. De subtiles allusions à ce que nous prodiguons aux autres en prenant sur nous-mêmes se glissent dans de nombreuses conversations. Pour une raison que j’ignore, tout le monde (excepté les autres martyrs) semble ne pas apprécier cette habitude.

Je me suis souvent demandée pourquoi mon martyre semblait irriter les autres, jusqu’à ce que je parvienne à cette théorie : un martyr utilise son image d’abnégation pour gagner de l’attention et de la reconnaissance. Dans sa forme la plus pathologique, un martyr est en état de codépendance affective, ayant désespérément besoin que l’on ait besoin de lui. Ok, je comprends comment cela peut être désagréable.

La martyre pathologique est en état de codépendance affective, elle a besoin qu’on ait besoin d’elleMais explorons maintenant le sacrifice de soi authentique, celui qui est véritablement sincère ; le genre qui suscite de la reconnaissance sans même la rechercher. Ce martyr-là comprend qu’il existe quelque chose de plus important que le confort personnel et est heureux de pouvoir se sacrifier pour une noble cause.

Heureusement, la Torah nous a donné le prototype d’un vrai martyr, une femme (évidemment) qui a constamment mis son propre intérêt de côté – mais là est la clé – sans condition ni arrière-pensée aucunes. Retraçons son histoire.

Vers la fin du Livre de la Genèse, nous lisons que, peu avant sa mort, Jacob convoque son fils Joseph et s’apprête à bénir ses petits-fils Manassé et Éphraïm. Soudainement, toutefois, il s’interrompt et, sans introduction, il s’adresse à Joseph, rouvrant une vieille blessure dans leur relation : « Et quand je revins de Padan, Rachel est morte auprès de moi en Terre de Canaan, sur la route... Je l’ai enterrée là sur la route d’Efrat qui est Bethlehem. »1

Dans le verset suivant, il revient immédiatement à ses petits-enfants. Pourquoi cette parenthèse ?

Quelques versets plus tôt, Jacob avait demandé à Joseph de transporter son corps hors d’Égypte et de l’enterrer à Hébron, dans la célèbre Grotte de Makhpéla auprès de ses illustres parents et grands-parents. Et maintenant, Jacob dit à Joseph, le fils aîné de Rachel : « Bien que je t’aie donné la charge de m’enterrer en Terre de Canaan, je n’ai pas fait la même chose pour ta mère, car elle est morte près de Bethlehem... »

Rachel est la seule de nos Matriarches à ne pas être ensevelie à ‘Hévron.

Joseph vivait mal le fait que sa mère ait perdu le grand honneur d’être enterrée dans la grotte de Makhpéla avec les autres saints patriarches et matriarches. La demande que lui adressa Jacob pour son propre enterrement pouvait donc réveiller ce sentiment latent de déception par rapport à sa mère.

« ...mais sache que c’est en accord avec la parole de D.ieu que je l’ai enterrée là-bas, pour qu’elle puisse aider ses enfants lorsque Nabuchodonosor les enverra en exil [à Babylone, après la destruction du Premier Temple] ; et quand ils passeront près d’elle, Rachel sortira de sa tombe et pleurera et suppliera D.ieu d’avoir pitié d’eux. Comme il est dit2 “Une voix retentit dans les hauteurs [une voix plaintive, d'amers sanglots. C'est Rachel qui pleure pour ses enfants.]” Et le Saint, béni soit-Il, lui répond “Il y aura une récompense à tes efforts, dit l’Éternel... et les enfants rentreront dans leur domaine.” »3

Rachel ne ressentit jamais qu’elle perdait quelque chose en donnantComment Jacob apaise-t-il le cœur meurtri de son fils ? En un sens, il lui dit : « Oui mon fils, ta mère fut une martyre, ce fut son choix délibéré. D.ieu m’ordonna d’enterrer Rachel dans les environs de Bethlehem parce que tel était le désir de Rachel : renoncer à sa prestigieuse sépulture pour pouvoir apporter de l’aide et du réconfort à ses enfants lorsqu’ils passeraient devant sa tombe, en route pour l’exil de Babylonie. »

Le don de soi était le thème central de la vie de Rachel. Elle permit à sa sœur d’épouser l’homme qu’elle aimait. Et elle le fit d’un cœur entier. Rachel ne ressentit jamais qu’elle perdait quelque chose en donnant.

Écoutez les paroles empreintes d’affection de Jacob : « Lorsque je revins de Padan, Rachel mourut auprès de moi. » Elle était le pilier de ma maison, et le pilier de mon cœur. Je l’ai perdue. Jacob exprime son amour incommensurable pour Rachel en évoquant son sacrifice de soi.

Il dit à Joseph : « Ne vois-tu pas, mon fils ? Là était la grandeur de ta mère. Elle donnait sans fin d’elle-même, mais elle n’a jamais senti qu’elle n’était pas épanouie. Je l’aimais tellement, et je sais que c’est exactement là qu’elle aurait voulu – qu’elle aurait exigé ! – être enterrée. Qu’elle soit enterrée sur la route de Bethlehem de sorte qu’elle puisse un jour venir en aide à ses enfants est totalement cohérent avec la manière dont elle a vécu sa vie. »

Le véritable martyr est le choix conscient de sacrifier son bien-être personnel au nom d’un plus grand bienfait. Il ne laisse pas de place à l’apitoiement sur soi ou même à la fierté.

Et le Saint, béni soit-Il, lui répond : « Il y aura une récompense à tes efforts. »4