La vie religieuse juive des six derniers siècles a été gouvernée par l'ensemble de lois connues sous le nom de « Tourim ». Le compilateur en fut Rabbénou Jacob ben Acher (qui mourut aux environs de 5100 -1340). Cet ouvrage monumental des Arbaa Tourim (« Quatre Rangées », d'après les quatre rangées de joyaux couvrant le pectoral du Grand Prêtre) contient les lois et décisions des précédents codificateurs, basées sur le Talmud. Les quatre Tourim sont : Tour Ora'h Haïm, Tour Yoreh Déah, Tour Even Haézère et Tour 'Hochène Michpath ; elles couvrent toutes les phases possibles de la vie juive.

Deux cents ans environ après la mort du Baal HaTourim (« l’auteur des Tourim »), un autre éminent érudit, Rabbi Joseph Caro (qui mourut vers 5335-1575) nous faisait don du célèbre Choul'hane Aroukh (la « Table dressée ») dans lequel les lois-décisions étaient revues et présentées sous une forme accessible à tout Juif. Un troisième savant qui vécut à peu près à la même époque, Rabbi Moïse Isserles (connu sous ses initiales RaMo) ajouta au Choul'hane Aroukh la Mappah (la « Nappe » de la table) où étaient réunis ses commentaires et ses lois-décisions finales, qui furent acceptées dans tout le monde ashkénaze comme le dernier mot en matière de loi juive.

Enfin, plusieurs grands érudits ajoutèrent leurs commentaires et leurs explications à l'une ou l'autre des quatre parties du Choul'hane Aroukh. Parmi eux, citons Rabbi David Halévi dont nous allons ici vous raconter la vie.

Rabbi David Halévi, mieux connu sous le nom de TaZ, d'après les initiales de son œuvre principale Tourei Zahav (les « Rangées d'or »), naquit à Vladomir, dans la province de Volhynie. Sa famille s'était déjà illustrée dans l'érudition. Son père Samuel était le fils d'un érudit célèbre, Rabbi Isaac Betsalels. Il jouissait d'une certaine aisance matérielle, aussi, le jeune prodige que se révélait David – car, de très bonne heure, il manifesta un goût, et un talent exceptionnels pour l'étude – eut-il la chance de grandir dans une atmosphère faite à la fois de richesse matérielle et de savoir. Son enfance heureuse contrasta vivement avec son âge adulte auquel ne seront épargnées, comme nous le verrons plus loin, ni les peines ni la pauvreté.

Le jeune David eut une autre chance : un demi-frère, son aîné, Rabbi Isaac Halévi, illustre savant en matière de Talmud, qui fonda des yéchivoth à Vladomir, à Chelm et à Lwow en Pologne, et qui fut l'auteur de deux ouvrages sur la grammaire hébraïque intitulés « Sia'h Yits'hak » et « Brith Halévi ». Cet homme éminent chérissait le jeune David. Il fut son premier maître, et resta son conseiller pendant de nombreuses années. L'affection qui unissait les deux frères ne faiblit jamais au long des années. Même après leur séparation, ils gardèrent le contact grâce à une correspondance dont une partie s'est conservée. Les lettres qui la composent sont d'un grand intérêt non seulement comme témoignage de la profonde affection et de la solide amitié qui unissaient les deux frères, mais aussi en raison de l'échange d'opinions qu'elles contiennent sur beaucoup de problèmes relatifs à la loi juive.

Rabbi Isaac Halévi ne manqua pas de reconnaître les exceptionnelles qualités intellectuelles de son jeune élève, et il fit de son mieux pour encourager son travail littéraire qui donnera naissance à un chef-d'œuvre dans le domaine de la Halakhah (la loi juive).

Le jeune érudit épousa la fille d'un homme dont la réputation égale celle que David dut connaître plus tard. C'est Rabbi Joël Sirkès, connu sous le nom de Ba'H, d'après les initiales de son commentaire sur les Tourim, intitulé « Baït 'Hadach » (la « Maison Nouvelle »). Selon la coutume du temps, Rabbi David vit dans la maison de son beau-père pendant plusieurs années qu'il consacre entièrement à l'étude du Talmud et des Poskim (Codificateurs). Cette période lui sera très profitable, car elle lui sert de préparation. Il en résultera l'apport considérable dont il va enrichir cette immense littérature.

II

Après que Rabbi David Halévi eut quitté la maison de son beau-père afin de fonder son propre foyer, il accepta le poste de Rabbin dans une petite ville, fonction qu'il échangera contre d'autres similaires qui lui seront successivement proposées. Cette période fut marquée pour lui par une grande pauvreté et des malheurs. Plusieurs de ses enfants moururent en bas âge. (Bien des années plus tard, vers la fin de sa vie, Rabbi David Halévi perdit encore deux fils – deux érudits réputés – dans le massacre de Lemberg en 1664.)

Peu à peu, cependant, Rabbi David se fit un nom. Il fut alors invité à devenir rabbin de la ville d'Ostrog, célèbre pour ses érudits. Nous sommes en 1641. La valeur de Rabbi David Halévi était reconnue par tous. Il fut entouré de respect. La gêne matérielle fit désormais place à l'aisance. Il fonda sa propre yéchivah, mais trouva néanmoins assez de temps à consacrer à son œuvre littéraire. Les chefs de cette importante communauté juive, dont beaucoup étaient des érudits remarquables, firent tout ce qui était en leur pouvoir afin d'aider leur grand rabbin dans son épuisant labeur. C'est grâce à leur coopération active et à leur influence que Rabbi David Halévi, de nature modeste et timide, écrivit son commentaire sur les deux premiers volumes du Choul'hane Aroukh, le Yoreh Déah et le Ora'h Haïm. « Tourei Zahav » – par abréviation TaZ – est le titre donné à cette œuvre exceptionnelle.

Elle fut accueillie avec une faveur extrême, et classa d'emblée son auteur parmi les plus grands talmudistes de son temps. Le hasard fit qu'en cette même année 5406 (1646) où Rabbi David Halévi publia son œuvre, un autre érudit non moins considérable, Rabbi Chabtaï Cohen de Wilno, fit paraître un commentaire similaire sur le Yoreh Déah intitulé « Siftei Cohen » (« Les Lèvres d'un Cohen »). Il devient aussitôt, sous l’abréviation « ChaKh », aussi célèbre que son confrère. Ne prenant aucunement ombrage du succès l'un de l'autre, étrangers à tout, sentiment de jalousie, les deux savants furent, au contraire, attirés par une sympathie réciproque qui se mua bien vite en une solide amitié, en dépit des opinions divergentes et parfois opposées qu'ils professaient quant à l'interprétation des décisions de leur maître, Rabbi Joseph Caro. Plusieurs années après que leurs commentaires furent imprimés, ils coopérèrent dans la publication d'une édition du Yoreh Déah, dans laquelle le texte de l'auteur Rabbi Joseph Caro occupe le centre de la page, accompagné d'un côté par celui du « TaZ » et de l'autre par celui du « ChaKh ». (Cette édition de Yoreh Déah est appelée « Achlei Ravrévi ».) Plus tard elle sera augmentée par l'addition d'autres commentaires, mais la forme donnée au Yoreh Déah par les deux illustres commentateurs devint le modèle classique auquel se conformeront toutes les éditions ultérieures, jusqu'à nos jours.

Le commentaire de TaZ sur l'Ora'h Haïm est accueilli avec le même enthousiasme. Il fut publié plus tard dans une édition spéciale de cette partie du Choul'hane Aroukh, pareille à celle mentionnée plus haut, avec la différence que le compagnon-commentateur était cette fois Rabbi Abraham Abelé Gumbiner, Dayan de la ville de Kaliche. Le commentaire de ce dernier fut appelé « Maguène Avraham », et celui de TaZ « Maguène David ». C'est pourquoi l'édition de ce volume par les soins du fils de Rabbi Abraham Gumbiner fut appelée « Maguinei Erets » (les « Boucliers du Pays »). Elle devient l'ouvrage le plus populaire sur la loi juive, dans la mesure où il traite des aspects généraux de la vie quotidienne juive (les autres parties du Choul'hane Aroukh étudiant, elles, des sujets spéciaux, tels que les lois de Ché’hitah et de Cacherouth, les réclamations et les dommages, le mariage et le divorce, etc.). La popularité de cet ouvrage n'a guère baissé avec les années, et son influence sur la préservation de la vie traditionnelle juive a été immense. Même de nos jours, il en est fait un usage très étendu et on l'étudie constamment, assurant ainsi une immortalité méritée aux trois hommes qui lui ont donné le jour.

III

Cette période heureuse où l'enseignement et la création littéraire se partagent à Ostrog le temps de Rabbi David Halévi est violemment interrompue par le cruel massacre auquel se livrent les Cosaques sous la conduite de Chmielnicki. Ce dernier dirige la fureur de la rébellion contre la noblesse polonaise, et en même temps il massacre et pille toutes les communautés juives qui tombent entre ses mains (5408-9 ; 1648-49). Rabbi David eut la chance de fuir d'Ostrog avant la prise de la ville par les Cosaques. Il parvint même à sauver ses inestimables manuscrits. La ville de Lwow (Lemberg) l'invita alors à devenir son rabbin. Il s'y rendit et consacra à nouveau ses efforts à la diffusion des connaissances de la Torah.

Une épreuve cruelle devait frapper la vieillesse de l’éminent érudit. Trois ans avant sa mort, il perdit deux fils, l'aîné Rabbi Mordékhaï et le second Rabbi Salomon Halévi, assassinés lors d'un pogrom à Lemberg. Lui-même mourut à l'âge de 81 ans.

Il est malaisé de prendre une mesure exacte de l'influence considérable de cet homme si modeste tant du point de vue de son action que de son œuvre écrite. Sa contribution à la tradition du monde de la Halakhah le classe parmi les plus grands de nos célèbres Talmudistes. Le TaZ est également l'auteur d'un commentaire sur Rachi « Divrei David » – « les Paroles de David » – et d'autres ouvrages. Comme commentateur et comme maître, il accomplit une tâche gigantesque dans le sens de l'éducation du peuple juif dans l'esprit et la connaissance de la Torah et de sa littérature. En tant que chef de communauté, il fonda des yéchivoth, prodigua ses avis et ses conseils, et prit une part active dans la lutte violente contre le mouvement dangereux des disciples de Chabbataï Tsvi qui menaçaient de miner le fondement même de la loi et de la foi juives. Dans son œuvre littéraire, aussi bien que dans ses autres activités, il dressa une puissante forteresse contre les attaques du dedans et du dehors. Il n'est pas de témoignage plus admiratif que celui rendu à Rabbi David Halévi par son frère et maître Rabbi Yits’hak Halévi qui dit :

« Le nom de Rabbi David Halévi se répandit dans tous les pays, et D.ieu contribua à la diffusion de son œuvre à travers le monde, lequel en reconnut la valeur et lui fit un accueil favorable... Son cœur était net et pur comme les cieux, ses paroles furent divines dans leur clarté et leur lucidité, en dépit de leur présentation modeste et pieuse. »

Il n'est pas de plus grand hommage rendu à un grand homme.