Rabbi Yoël Sirkès, connu sous le nom de « Ba'h » d'après les initiales de son œuvre la plus importante, « Baïth 'Hadach », fut considéré comme le chef spirituel et le Gaon le plus éminent de son temps. Il était un disciple de l'illustre Rabbi Chlomo de Lublin, et ne tarda pas à se faire une réputation personnelle, tant comme érudit que comme maître. Ayant rempli les fonctions de Rabbin dans plusieurs communautés importantes, telles que Lublin et Brisk (Brest-Litovsk), il fut appelé à prendre la direction de celle de Cracovie. Là, il passa les années les plus fructueuses de sa vie, prodiguant inlassablement ses efforts pour guider et instruire la jeunesse juive.
Rabbi Sirkès était plus fortuné que la plupart de ses contemporains illustres. Il possédait beaucoup de biens, ce qui lui assurait une aisance pécuniaire dépassant de loin ses besoins personnels. Il en profita pour décharger de tout souci matériel les centaines de Talmidim qui fréquentaient sa Yéchivah, prenant sur lui de pourvoir à leur subsistance afin que les nécessités quotidiennes ne fussent point une entrave à la liberté de leur esprit. Ils pouvaient ainsi en toute tranquillité consacrer leur temps et leurs efforts à l'étude de la Torah. Ces heureuses circonstances lui permirent de passer soixante années entières, tant à approfondir la Torah qu'à l'enseigner. Et il dispensa ses lumières non seulement à ses disciples immédiats, mais aussi aux centaines d'érudits qui venaient, de près et de loin, lui demander ses avis et ses conseils. En ces jours particulièrement troublés, il fut l'autorité incontestée ; et la collection de ses réponses aux questions relatives à la vie juive est un trésor inestimable de perspicacité en ce qui concerne tant la situation historique en général que les problèmes des collectivités juives d'Europe en particulier.
Parmi ses réponses les plus célèbres, citons celle faite aux chefs de la communauté séphardite d'Amsterdam qui se plaignaient de l'un de leurs notables, lui reprochant d'être partisan de l'assimilation, de mettre la philosophie au-dessus des études traditionnelles et de railler la Kabbalah en la taxant de mysticisme. Dans sa réponse, Rabbi Yoël Sirkès condamne sévèrement l'étude d'une « basse et honteuse discipline » telle que la philosophie, loue la Kabbalah qu'il considère l'instrument adéquat pour atteindre à la base de la croyance et de la tradition juives. Les connaissances laïques, dit-il, égarent ceux qui s'adonnent à leur étude, et mènent à la défection et à la mauvaise interprétation de notre héritage religieux.
Cette prise de position du « Ba'h », frappante par sa netteté et sa vigueur, est d'une grande importance, car, d'une part, son influence sur ses contemporains était considérable, et d'autre part le danger de laïcisation de la jeunesse était devenu une menace sérieuse pour les assises spirituelles du peuple juif durant ces années de profonde crise. L'on sait, en effet, de quels ferments révolutionnaires l'époque fut agitée : les courants de la Réforme sapaient à la base les structures gigantesques des organisations religieuses du Moyen-âge ; et la foi juive ne pouvait échapper que dans une mesure relative aux influences de ce temps. À Rabbi Yoël Sirkès, tant comme maître de la jeunesse que comme guide spirituel de la communauté juive, revient une part considérable du mérite dans les efforts pour prévenir le désastre.
Au lieu de consacrer ses forces à un Pilpoul sans fin comme nombre de ses contemporains, Rabbi Yoël Sirkès préconisa et encouragea l'étude de toutes les Halakhoth essentielles, laquelle selon lui était plus profitable que la discussion purement théorique. Son œuvre majeure fut donc un commentaire aux quatre volumes du Code de la Loi juive, le « Arbaa Tourim », écrit par Rabbi Jacob ben Acher. Rabbi Yoël Sirkès était familiarisé avec l'œuvre éminente de Rabbi Joseph Caro, qui mourut à la même époque où naquit le « Ba'h », et dont le Choul'hane Aroukh avait été précédé par le gigantesque « Beth Yossef » un compendium de commentaire critique et d'analyse historique de chaque décision de Rabbi Jacob ben Acher.
Rabbi Yoël Sirkès estimait hautement le « Beth Yossef » qu'il qualifiait « d'œuvre qui donna la lumière aux yeux d'Israël [...] et ouvrit les portes de la justice et de la vérité, [...] qui permet de comprendre les moyens et les méthodes des différentes générations d'érudits spécialisés dans le Talmud ». Néanmoins, il sentit qu'un autre commentaire était nécessaire qui aurait ajouté utilement à l'œuvre de Rabbi Joseph Caro. Et, effectivement, à lire le « Baïth 'Hadach », le commentaire de Rabbi Yoël Sirkès, on se rend compte qu'il y avait encore matière à développement et à de nombreuses explications. Le « Ba'h » essaye d'y découvrir de nouveaux aspects, d'ajouter et d'éclaircir, mais non de formuler des décisions nouvelles. Il affirme expressément que son seul but est de restaurer et de renforcer le puissant édifice du « Beth Yossef », non de lui en substituer un autre.
Une preuve supplémentaire des vastes connaissances de Rabbi Yoël Sirkès, ainsi que des soins infinis et méticuleux qu'il apportait à son travail, nous la trouvons dans son remarquable commentaire à une grande partie du Talmud, œuvre qui n'a pas peu contribué à l'accroissement de notre capacité à pénétrer ce qui y est apparemment obscur et caché. Il se limite à de petites remarques, les « Haguaot haBa’h », mais c'est l'un des meilleurs instruments de travail pour tout étudiant en Talmud.
Rabbi Yoël Sirkès fit aussi beaucoup pour la diffusion de l'étude du Tanakh, de la langue et de la grammaire hébraïques ; et il veilla à ce que ses élèves eussent une connaissance parfaite de la langue que parlait couramment leur entourage.
Ainsi nous voyons en Rabbi Yoël Sirkès un grand éducateur, un gigantesque talmudiste et un homme qui, à un tournant critique de notre histoire, jeta tout le poids de son autorité personnelle dans la lutte contre les forces de l'indésirable Réforme et de la laïcisation des éléments les plus saints de notre religion. Beaucoup de ce qu'il fit se trouve circonscrit dans son époque même ; néanmoins, ses remarquables commentaires sont un apport inestimable à la connaissance de la Guémara – le Talmud de Babylone – et au développement des Halakhoth.
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