33:2 Où Il proposa la Torah. Les cultures respectives des Édomites et des Ismaélites constituent les archétypes de la civilisation non-juive ; ainsi, en proposant de donner la Torah à ces deux peuples, D.ieu entendait l’offrir en réalité à toutes les nations non-juives du monde, tant présentes que futures.1 Quelle que soit la forme que prit concrètement cette procédure, son essence fut que D.ieu examina la nature de chaque nation et ne trouva aucune d’entre elles apte à accepter la Torah et à en accomplir les directives, à l’exception du peuple juif.
La raison fondamentale pour laquelle D.ieu offrit la Torah aux nations du monde était de les empêcher de contester Son favoritisme apparent envers le peuple juif : de cette manière, elles ne pourraient pas prétendre que, s’Il leur avait offert la Torah, elles l’auraient acceptée aussi facilement et inconditionnellement que les Juifs.
L’effet positif de cette démarche fut de rendre les nations non juives réceptives à l’obligation d’observer les lois noa’hides, les sept catégories de commandements qui incombent à tous les non-Juifs. Pour accepter ce code juridique comme il convient, le non-Juif doit reconnaître que D.ieu offrit ce code à l’humanité en tant que partie intégrante de la Torah qu’Il donna au mont Sinaï. En outre, dans le futur messianique les nations non juives se seront déjà raffinées, et auront cessé de s’opposer au mode de vie et à la vision du monde de la Torah.2 Leur acceptation future de la vision du monde de la Torah fera d’elles des participantes actives à la Délivrance finale.3
33:4 L’héritage. Comme il a été évoqué auparavant,4 des trois modes possibles pour le transfert d’une propriété – par l’héritage, par la vente et par le don –, l’héritage est le mode le plus absolu : son efficacité et sa validité ne dépendent nullement de l’aptitude de l’héritier à le recevoir, car même un nouveau-né peut hériter des biens de son père. Ainsi, en se désignant elle-même comme l’héritage du peuple juif, la Torah nous enseigne que tout Juif, même un nouveau-né, est un héritier incontestable de la Torah entière.
Il en ressort que l’aspect de la Torah auquel il est fait référence ici est l’essence de la Torah, la Torah en tant que lien essentiel entre D.ieu et nous. C’est précisément la conscience de cette dimension essentielle de la Torah qui constitue le fondement de notre recours à elle et de son étude.
Pour cette raison, ce verset est traditionnellement le premier que nous enseignons à nos enfants lorsqu’ils commencent à parler.5 Il est fondamental que les enfants intériorisent cette conscience avant de commencer à étudier la Torah pour deux raisons : pour que leur étude ultérieure se fonde sur cette prise de conscience, et pour que ne se forme pas en eux l’impression erronée que l’étude de la Torah est une simple recherche intellectuelle.6
Plus tard, lorsqu’on commence à étudier la Torah, on ressent que l’étude est comparable à une « vente de marchandises ».7 De même que les acheteurs doivent payer pour ce qu’ils achètent, ainsi devons-nous fournir des efforts pour réussir à apprendre. C’est dans ce contexte qu’entrent en jeu notre intelligence, notre persévérance et notre temps disponible, déterminant le lien de chacun à l’étude de la Torah.
Enfin, au cours de l’étude, selon nos aptitudes individuelles, nous pouvons également recevoir un « don » de D.ieu sous la forme d’une compréhension des aspects de la Torah que notre intellect ou notre conformation spirituelle ne nous permettraient pas de saisir à nous seuls, ou sous celle d’un rappel du contenu appris plus intense que ce que notre aptitude à mémoriser ne nous le permettrait. Bien que ce don se trouve au-delà de notre capacité à le gagner, D.ieu nous l’accordera si nous nous attachons à Lui en nous raffinant au mieux de nos capacités.8
33:5 Et que les tribus d’Israël seront réunies. L’unité n’est pas réalisée parce que tous les éléments constitutifs d’un groupe deviennent semblables, mais lorsque chacun des éléments constitutifs remplit son but unique et reconnaît la nécessité et l’apport de tous les autres. Cette interrelation s’apparente à celle que nous observons dans le corps, où chaque membre, organe, os, etc. joue un rôle unique, qu’aucune autre composante du corps ne peut jouer, apportant ainsi sa contribution singulière au fonctionnement de l’ensemble. En outre, chaque composante ne peut fonctionner pleinement que lorsque toutes les autres en font autant : le bon fonctionnement de chaque composante affecte non seulement son efficacité propre et l’efficacité de l’organisme dans son ensemble, mais aussi l’efficacité de chacune des autres composantes individuellement.
Ainsi, l’unité juive est, idéalement, davantage que le simple dévouement à une finalité commune (bien que cela soit un but digne en soi), et, aussi idéalement, davantage qu’une relation symbiotique par laquelle chacun complète les autres (bien que ce soit aussi un but digne d’effort) ; elle est la conscience que nous formons tous ensemble un « corps », de sorte que chaque facette de notre vie individuelle retentit sur chaque facette de la vie de tous les Juifs.
À l’inverse, de même que la plénitude du corps dépend de celle de chacune de ses composantes à titre individuel, il est crucial que chacun de nous développe pleinement son individualité à la hauteur de son potentiel unique.9
33:7 Éternel, écoute. Moïse ne bénit pas explicitement la tribu de Siméon parce qu’il estimait que, ayant joué un rôle majeur dans l’épisode de Chitim,10 cette tribu était moins digne de bénédiction que les autres. Néanmoins, il l’inclut sous une forme implicite dans sa bénédiction à l’adresse de Judah : le verbe hébreu pour « écoute » [Chema], qui ouvre la bénédiction de Judah, est à l’origine du nom Siméon [Chimon].11 Ce lien entre ces deux tribus12 se reflétera par la suite en ce que l’héritage territorial de la tribu de Siméon fera partie intégrante de celui dévolu à Judah.
33:10 Ils enseigneront. La bénédiction de Moïse à la tribu de Lévi a pour but de nous encourager à nous consacrer à la tâche sainte de promouvoir l’éducation juive, de veiller à ce que chaque Juif reçoive le savoir le plus profond et le plus étendu de la Torah de D.ieu.
En prononçant la bénédiction de la tribu de Benjamin immédiatement après celle de la tribu de Lévi, Moïse nous enseigne que notre dévouement à l’éducation juive doit être continu et perpétuel (« toute la journée »), et que l’éducation juive à encourager doit être celle assurant le dévouement perpétuel du peuple juif à la Torah et aux commandements de D.ieu.13
33:12 De Benjamin. Après avoir mentionné le service du Temple dans sa bénédiction à la tribu de Lévi, Moïse entreprit de bénir les tribus de Joseph et de Benjamin, car le service des prêtres serait accompli sur leurs territoires : d’abord dans le Tabernacle, qui serait situé à Chilo, dans le territoire de Joseph ; ensuite, dans le Temple permanent, situé à Jérusalem, dans le territoire de Benjamin. Quoique Joseph soit l’aîné de ces deux frères et que sa bénédiction devait, pour cette raison, venir à juste titre en premier, Moïse bénit d’abord Benjamin, le frère cadet. Ceci, parce que le statut du Temple permanent était supérieur à celui du Tabernacle temporaire.
33:13 Les délices du ciel. Moïse bénit la tribu de Joseph non seulement de la satisfaction de leurs besoins matériels, mais en outre avec des « délices », impliquant ainsi qu’ils jouiront de l’abondance matérielle. Le mot « délices » est mentionné dans ces versets à cinq occasions, en correspondance avec les cinq livres de Moïse. La Torah étant en soi notre nourriture spirituelle – la nourriture de l’âme –, la bénédiction de Moïse à la tribu de Joseph fut que l’étude de la Torah non seulement nourrirait leur âme, mais la remplirait également de plaisir et de délectation.
Cela nous enseigne que, pendant le temps que nous réservons à l’étude de la Torah, nous devons oublier toutes nos préoccupations quotidiennes afin d’être en mesure de nous y immerger totalement, profitant ainsi pleinement de l’acte même de l’étudier. Ce faisant, nous obtenons la bénédiction de D.ieu pour l’abondance matérielle.14
33:18 Réjouis-toi, Zeboulon. En plus de son mérite dans l’étude d’Issa’har, Zeboulon est mentionné en premier en vertu du mérite intrinsèque de travailler pour se procurer sa subsistance au lieu d’étudier la Torah à temps plein. Comme nous le savons, notre mission divine consiste à transformer ce monde matériel en une demeure pour D.ieu. Bien que ce but soit atteint par l’étude de la Torah et par la sanctification du monde matériel, c’est par cette dernière qu’il est davantage réalisé. Certes, il existe un avantage certain dans l’étude à temps plein, comme cela a été mentionné,15 et la loi juive insiste sur le fait que ceux qui peuvent étudier à temps plein sans avoir à travailler pour leur subsistance se consacrent exclusivement à l’étude ;16 mais, en ce qui concerne le raffinement du monde et sa transformation corrélative en demeure pour D.ieu, la place d’honneur est dévolue au travail. C’est bien la raison pour laquelle la Providence Divine fait en sorte que, tout au long de notre histoire, la plupart d’entre nous avons eu à travailler pour vivre.17
33:20 Arrachant le bras avec la tête. Comme il a été exposé,18 notre conquête matérielle des sept nations qui occupaient auparavant la terre d’Israël fait allusion à la conquête spirituelle des sept émotions de notre âme animale. Les deux obstacles principaux à cette conquête sont le « bras » et la « tête ».
La « tête », dans ce contexte, représente le blocage mental qui résulte du calcul des chances de succès contre la culture matérielle dominante de notre entourage. Confrontés aux forces et aux ressources écrasantes dont dispose la société matérialiste, nous sommes tentés de capituler avant même d’entamer la lutte. Il est particulièrement difficile d’imaginer comment l’emporter sur la matérialité lorsque nous sommes nous-mêmes engagés dans une lutte intense pour gagner de quoi vivre, soumis comme nous croyons l’être aux lois de la causalité propres à la matière.
Dans ce contexte, le « bras » représente la batterie de ressources matérielles dont nous disposons. Nous avons travaillé durement pour obtenir ces ressources, et nous répugnons donc à les dépenser dans des activités spirituelles dont les avantages matériels ne sont absolument pas évidents.
Aussi, il nous faut « arracher le bras avec la tête », autrement dit, nier la validité de ces deux postulats.19
33:29 Tes ennemis te mentiront. Ces versets résument les attitudes qu’en tant que Juifs nous devons cultiver vis-à-vis de notre relation avec l’humanité. Premièrement, nous devons comprendre que nous avons un objectif unique dans ce monde, qui nous distingue d’autrui. Nous sommes essentiellement Juifs en vertu de la mission que D.ieu nous a confiée, non à cause de tout ce que les autres pourraient dire de nous ou faire à notre égard.
Munis de cette assurance, nous sommes en mesure d’aider l’humanité à réaliser son potentiel. Avec du respect et de la fermeté, nous devons aider autrui à éliminer toute négativité résiduelle envers le Divin. Ensuite, nous pouvons montrer à tous comment se joindre à nous en vue d’amener le monde à son but ultime : sa transformation en la véritable demeure de D.ieu.20
34:5 Moïse, le serviteur de l’Éternel, mourut. Néanmoins, le Talmud note une opinion, dérivée de l’analyse du texte, d’après laquelle Moïse ne serait pas mort, mais qu’il reste vivant jusqu’à ce jour.21
D’un côté, les Justes sont tous considérés comme vivant dans ce monde après leur mort physique (en dehors de leur existence continue dans l’au-delà)22 du fait que leur influence spirituelle y perdure. Cependant, nous nous référons à eux comme étant morts parce que leur présence physique dans ce monde a cessé d’être. Or dans le cas de Moïse les propos des sages posant qu’il n’est pas mort impliquent la continuité de sa présence physique dans ce monde.
L’existence continue de Moïse dans ce monde s’incarne dans les chefs religieux juifs de chaque génération, dont le corps abrite une étincelle de son âme.23 Dans les paroles du Midrash, « il n’est aucune génération ne possédant pas quelqu’un comme Moïse. »24 Ceci s’apparente, comme nous l’avons vu, au cas de Jacob, qui continue de vivre dans le corps de ceux de ses descendants demeurés fidèles à son héritage spirituel.25
Moïse et Jacob sont ceux qui continuent de vivre après leur « mort » parce qu’ils incarnent tous deux l’attribut de vérité,26 c’est-à-dire l’incorruptibilité immuable. Nous avons vu que Jacob fut en mesure de surmonter toutes les vicissitudes de sa vie sans faillir, tandis que Moïse survécut aux épreuves les plus ardues dans son rôle de dirigeant. Du reste, Jacob et Moïse incarnaient l’idéal de l’attachement à l’étude et à l’enseignement de la Torah, qui exige un dévouement à la vérité sans compromis.27 L’incorruptibilité dont ils firent preuve tout au long de leur vie les immunisa contre la mort.28
34:8 Les hommes d’Israël pleurèrent Moïse. Comment se fait-il que Moïse ne s’évertua pas à promouvoir l’harmonie entre les personnes, y compris les conjoints, comme le fit Aharon ? Nous avons vu que Moïse aimait le peuple juif au point d’être prêt à offrir sa vie pour lui, et qu’il pourvoyait à tous ses besoins spirituels et matériels. Même les nuées de Gloire protectrices et le puits, que le peuple reçut par le mérite d’Aharon et de Miriam respectivement, perdurèrent après leur mort par le mérite de Moïse. Comme nous le verrons,29 la Torah considère l’amour de Moïse pour son peuple comme sa plus grande vertu. Pourquoi alors un dirigeant aussi dévoué que lui n’aurait-il pas veillé à ce que ceux dont il avait la charge se comportent entre eux d’une façon aimable et affectueuse ?
La réponse se trouve dans la compréhension des différences entre les missions de vie – et donc les traits innés – de Moïse et d’Aharon.
Moïse incarnait l’idéal de la vérité. Sa tâche première dans la vie était de transmettre la Torah de D.ieu au peuple juif, et il est bien compris que l’accomplissement de cette mission comme il se doit exige un dévouement absolu, sans faille, à la vérité et à l’exactitude.
Aharon, en revanche, personnifiait la bonté et l’amour (‘hessed). Il était conscient que, bien que la Torah ne nous permette pas de mentir,30 elle nous laisse présenter la vérité d’une manière légèrement illusoire afin de favoriser la paix entre les gens.31 C’était son naturel de bonté et d’amour qui lui permettait d’agir ainsi.
Dans l’esprit de Moïse, il n’y avait pas de place pour le moindre soupçon de tromperie. Bien sûr, il savait et enseignait à autrui que la Torah nous permet de présenter la vérité d’une manière légèrement modifiée pour promouvoir la paix, mais son dévouement inébranlable à la vérité absolue ne lui permettait pas d’agir de la sorte.
La Torah souligne cette différence entre Moïse et Aharon dans la louange qu’elle fait du premier dans la description de sa mort pour deux raisons : (1) pour souligner combien il était dévoué à l’idéal de vérité ; et (2) pour indiquer que ce n’est qu’à la fin du dernier jour de sa vie, lorsque sa mission sur terre fut achevée et qu’il n’avait plus besoin de manifester son dévouement indéfectible à la vérité, que Moïse fut en mesure d’apprécier avec justesse la volonté d’Aharon de farder la vérité pour le bien de la paix.
La leçon à tirer ici est que, bien qu’en ce qui concerne notre étude de la Torah nous devions aspirer au dévouement intransigeant de Moïse à la vérité, dans nos relations avec nos frères juifs, l’approche à imiter est celle d’Aharon :32 « aimer la paix, poursuivre la paix, aimer toutes les créatures et les rapprocher de la Torah. »33
34:12 Ni concernant la brisure des Tables. Comme nous l’avons mentionné,34 la Torah détaille ici les mérites de Moïse, comme il se doit pour raconter sa mort. Elle souligne que son accomplissement suprême fut l’acte d’avoir brisé les précieuses Tables qu’il venait de recevoir de la main de D.ieu afin d’épargner au peuple juif la peine de mort.
On se souviendra que Moïse possédait une autre raison de ne pas remettre au peuple la Torah : l’esprit du peuple étant alors imbu de révolte et d’émeute, il ne méritait pas de la recevoir. Ainsi, lorsqu’il vit les Juifs adorer le veau d’or, il fut confronté à un double défi : prendre des mesures pour sauvegarder l’honneur de la Torah ou prendre des mesures pour assurer la sécurité du peuple. Afin de sauvegarder l’honneur de la Torah, il aurait suffi de ne pas remettre les Tables au peuple ; l’acte de les briser constituait sans aucun doute un manque de respect envers la Torah, le contraire de la sauvegarde de son honneur. Mais, pour assurer la sécurité du peuple, il fallait davantage que ne pas lui remettre les Tables : tant que le « contrat de mariage » demeurerait en vigueur, la « fiancée » pourrait être accusée d’infidélité envers son « fiancé ». Aussi, Moïse laissa son amour pour le peuple l’emporter sur son profond respect pour la Torah : il brisa les Tables, déshonorant publiquement la Torah pour le bien du peuple. Dès lors, il est approprié que le récit de la vie de Moïse dans la Torah se termine par cet acte, l’expression la plus éloquente de son dévouement à son peuple. Pour la même raison, il est logique que l’entière paracha, consistant en la bénédiction de Moïse pour le peuple, se termine par cet épisode.
Or, ce verset conclut non seulement le récit de la vie de Moïse, mais la Torah tout entière. Ainsi, la leçon qu’il contient est également une récapitulation de toute la Torah. S’il en est ainsi, comment se peut-il que le manque de respect de Moïse pour la Torah soit considéré comme une conclusion appropriée ?
Lorsqu’on étudie la Torah et qu’on lit les nombreux commandements adressés au peuple juif, l’idée peut se former que le peuple se trouve situé sur un plan secondaire par rapport à la Torah, qu’il est à peine un instrument que D.ieu utilise pour accomplir Ses fins. En conséquence, il s’avère nécessaire de souligner que c’est le contraire qui est vrai : c’est le peuple juif qui est le but de la création, précédant la Torah non seulement au sens chronologique – puisque Abraham fonda les générations du peuple avant le don de la Torah –, mais de même dans le plan originel de D.ieu pour la création (où la Torah précède également la création du monde).35 La Torah, dans toute sa grandeur, constitue le moyen par lequel le peuple juif accomplit le but de la création. Conscient de cela, Moïse savait que la Torah ne peut exister sans le peuple juif ; c’est pour cette raison que D.ieu approuva ses actions lorsqu’il brisa les Tables de la Loi. Il n’est pas de meilleur endroit pour souligner ce point que la fin de la Torah, à titre de corollaire de son message à l’humanité.36
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