Nitsavim – L’alliance
Deutéronome 29,9–30,12
Dans la huitième section du Deutéronome, Moïse entreprend son troisième et dernier discours d’adieu au peuple juif, qu’il prononce le jour même de sa mort, le 7 Adar 2488. Il le commence en disant aux Juifs qu’ils se tiennent tous debout (nitsavim, en hébreu) devant lui pour sceller l’alliance qui les liera à D.ieu.
Comme nous l’avons dit précédemment,1 dans la dernière partie du Deutéronome Moïse fait un résumé de la relation d’alliance par laquelle D.ieu et le peuple juif sont liés. Après avoir exposé les termes de cette alliance dans la paracha de Tavo, il se concentre sur le caractère essentiel de cette alliance dans les deux paracha suivantes, Nitsavim et Vayele’h.
Une alliance peut se définir comme un lien d’amour qui transcende la rationalité. Même s’il se peut que les raisons rationnelles favorisant l’amour fassent défaut à un moment donné, les parties à l’alliance conviennent de continuer à s’aimer mutuellement. La manière dont nous évoquons cet amour au-delà de la raison par lequel D.ieu Se lie à nous passe d’abord par son évocation en nous-mêmes en cultivant notre amour pour nos frères juifs. C’est par l’amour réciproque sans condition que nous manifestons cette relation supra-rationnelle envers nos frères juifs. On nous enseigne ainsi que l’amour à l’égard de notre frère juif est l’expression suprême de notre amour pour D.ieu. « Je t’ai aimé, dit D.ieu » ;2 dans les paroles de Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi : « Si nous aimons vraiment D.ieu, nous aimons ce qu’Il aime, le peuple juif ».3
Aussi, lorsque Moïse commence à décrire la nouvelle alliance que le peuple est à la veille de conclure avec D.ieu, il souligne que son efficacité dépend de l’union de tous les Juifs : « Vous vous tenez tous en ce jour debout devant l’Éternel, votre D.ieu – les chefs de vos tribus, vos anciens, vos officiers et tout homme d’Israël, vos jeunes enfants, vos femmes et ton prosélyte… le coupeur de ton bois et le puiseur de ton eau –, afin que tu entres dans une alliance avec l’Éternel, ton D.ieu… »4
Comment parvenir à nous unir véritablement ? Après tout, la Torah elle-même implique qu’il existe des différences entre les Juifs : certains sont « vos chefs » tandis que d’autres sont « vos puiseurs d’eau ».
La réponse à cette question comprend trois parties : premièrement, qui pourrait certes prétendre se trouver à un rang plus élevé sur l’échelle de la réussite ? Les apparences peuvent être trompeuses, et l’on tend à se surestimer tout en sous-estimant autrui. Deuxièmement, même si l’on porte un jugement correct sur soi-même, être un dirigeant dans un domaine particulier de la vie ne signifie pas qu’il n’a pas d’autres domaines où d’autres sont les dirigeants. C’est que « tout le monde se complète par son prochain » ;5 chacun est un dirigeant dans une certaine mesure, et donc la perfection du peuple juif dépend de l’inclusion de chaque Juif dans le corps collectif.
Troisièmement, la distance conceptuelle séparant les créatures du Créateur est infinie. Ainsi, lorsque nous entreprenons de nous évaluer sous l’angle de notre relation avec D.ieu, la profondeur de notre insignifiance devant la réalité absolue de D.ieu neutralise toute présomption de supériorité que nous pourrions entretenir vis-à-vis d’autrui. Nous sommes tellement accablés par notre petitesse qu’une telle comparaison nous paraît absurde !6
Nous voici à présent en mesure de comprendre pourquoi il était crucial pour Moïse de réitérer et de passer en revue le lien d’alliance entre D.ieu et le peuple juif à titre de préparation finale à l’entrée en terre d’Israël. Alors que le peuple juif était sur le point de traverser le Jourdain, il était vital qu’il devienne une nation – non pas un simple rassemblement d’individus unis dans un but commun, mais une nouvelle entité, un tout plus grand que la somme des parties. L’expression de cette totalité était que chaque Juif devienne responsable de ce que tous les autres respectent la Torah.7 Dans le désert, les Juifs avaient pu se considérer tout d’abord comme des individus et ensuite comme des membres d’un peuple. Or, à présent qu’ils étaient sur le point de commencer leur vie comme une nation, cette orientation devait changer.
C’est la raison pour laquelle Moïse nous amena à l’alliance avec D.ieu une dernière fois. Par cela, il imprégna chacun de nous de la conscience que nous ne pouvons jamais être complets sans tous les autres Juifs, et qu’en fin de compte nous faisons tous partie d’un seul corps collectif. Pénétrés de cette conscience, nous sommes prêts à entrer en Terre promise pour, ensemble, la transformer, ainsi que le monde entier, en demeure pour D.ieu.8
Vayele’h – Le sceau de l’alliance
Deutéronome 31,1–30
La neuvième section du Deutéronome poursuit la description du troisième et dernier discours d’adieu que Moïse adresse au peuple juif. Elle commence par relater comment Moïse alla (vayele’h, en hébreu) nommer Josué comme son successeur, et continue en racontant comment Moïse transcrivit la Torah et ordonna au peuple de se rassembler tous les sept ans pour en écouter la lecture dans le Temple.
Lors de la lecture publique de la Torah, les paracha de Nitsavim et de Vayele’h sont lues toutes deux la même semaine la plupart des années. Ensemble, elles comprennent les caractéristiques essentielles de la relation d’alliance par laquelle D.ieu et le peuple juif sont liés : la paracha de Nitsavim s’attache à l’alliance du côté de D.ieu, tandis que celle de Vayele’h aborde l’alliance du côté du peuple juif. Cela transparaît dans les noms mêmes des paracha : Nitsavim signifie littéralement « se tenir fermement », en référence à l’essence immuable de D.ieu, tandis que Vayele’h signifie « il alla », allusion au chemin infini qu’implique notre perfectionnement spirituel.
Nitsavim et Vayele’h font en outre référence aux deux côtés complémentaires de la vie spirituelle de tout un chacun. Nous devons tous apprendre à rester fermes vis-à-vis des aspects de notre vie spirituelle requérant une vigoureuse détermination, de même qu’à progresser constamment dans les aspects de notre vie spirituelle exigeant un changement, une croissance et un développement continus.
Cette dichotomie est évidente dans la Torah elle-même : alors que la Torah écrite est un texte fixe et immuable, la Torah orale constitue un corpus dynamique, en expansion constante, d’explications de la Torah écrite et de son application aux particularités de chaque génération, sans cesse changeantes. Pareillement, l’exercice spirituel de la prière montre les deux côtés de cette dichotomie. Le nombre de fois que nous sommes tenus de prier, ainsi que le texte de nos prières, sont fixes. Par contre, en tant que « service du cœur »,9 la prière est dynamique, car nos émotions changent constamment en portée comme en intensité, ainsi que – espérons-le – en maturation. Enfin, la pratique religieuse – l’observance des commandements de D.ieu – reflète également cette dichotomie. Le nombre de commandements est fixé à 613, mais il est toujours possible d’améliorer notre manière de les accomplir au plan matériel comme spirituel, en les mettant en œuvre de façon plus méticuleuse et réfléchie selon les cas.
Ainsi, les trois facettes de notre relation avec D.ieu10 – l’étude de la Torah, la prière et la pratique des commandements – témoignent de cette dichotomie complémentaire. Sa présence dans tous les aspects de notre vie religieuse maintient notre conscience des deux fondements du judaïsme : sa dimension fixe et immuable correspond à D.ieu Qui nous parle ; sa dimension de constante évolution correspond à nous qui répondons à D.ieu.11
Fait remarquable, la Torah décrit notre côté de l’alliance avec D.ieu en recourant au lexique de la marche et de l’avancée. Bien que la marche soit un mode de progression constant et mesuré, en même temps elle nous éloigne totalement de notre point d’origine. Ainsi, par son usage de la métaphore de la marche, la Torah nous enseigne que notre relation avec D.ieu doit se caractériser par un progrès radical, au point que chaque nouveau pas nous conduise dans un endroit totalement différent, et que notre « retour » infini à Lui fasse continuellement de nous des personnes nouvelles, des individus ayant laissé derrière eux leur moi antérieur.
Dans le contexte général du Deutéronome – qui, comme nous l’avons vu, est le livre de la techouva, le retour à D.ieu –, la paracha de Vayele’h nous enseigne ainsi comment faire de celle-ci une expérience véritablement transformatrice. C’est peut-être pourquoi le récit de la conclusion de la Torah12 se trouve dans la paracha de Vayele’h, alors qu’on s’attendrait à ce que, suivant la chronologie, il apparaisse à la fin de la dernière paracha de la Torah. Pour être en mesure de progresser vers un nouveau degré de conscience Divine, vers un nouveau degré de compréhension de la Torah, nous devons d’abord « terminer la Torah » selon notre degré de conscience présent. On nous enseigne de même13 que dans le monde futur, pour que l’âme progresse d’un degré de conscience Divine au suivant, elle devra d’abord se défaire de la conscience Divine qu’elle aura atteinte jusqu’alors, et en faire autant lorsqu’elle progressera depuis la conscience Divine qu’elle vient d’atteindre au degré qui l’attend ensuite.
Ce processus, qui est en cours, se poursuivra jusqu’à ce que nous atteignions le but ultime de la techouva, la restauration du monde comme demeure ultime de D.ieu, avec l’avènement de l’ère messianique et la Délivrance finale.14
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