18:11 À présent, je sais. Jusqu’alors, Jéthro n’avait pas envisagé de se convertir au judaïsme et de rejoindre le peuple juif, estimant qu’il lui suffisait de renoncer à l’idolâtrie et d’établir une relation avec Dieu à titre individuel. Or, il décida à présent que l’heure était venue de se convertir.1 C’est à ce moment qu’il changea son nom de Jéther à Jéthro.2
Que l’Éternel est plus grand que tous les dieux. Le but de la révélation au mont Sinaï ne consistait pas seulement à faire connaître au monde la volonté de Dieu. En effet, dans une large mesure cela s’était déjà produit : depuis la création il y avait toujours eu un cercle d’individus consacrés à l’étude de la Torah. La révélation au mont Sinaï visait en fait à rendre l’essence de Dieu accessible au monde au moyen de la Torah.
L’essence de Dieu dépasse à la fois l’infini et le fini, ce qui signifie qu’elle peut être infinie et finie en même temps. Jéthro montra que le savoir profane ne fait qu’aboutir à l’obscurantisme, la distorsion, la désinformation – à l’idolâtrie. En déclarant que tout le savoir du monde – même celui que nous considérons d’habitude comme fini et « profane » – est obscurité à moins qu’il soit vu comme partie intégrante de la sagesse divine, Jéthro révéla la transcendance essentielle de la Torah. Il montra que la Torah, en tant que fenêtre ouverte sur l’essence de Dieu, englobe toute la réalité, et constitue le moyen par lequel cette réalité peut être absorbée dans la Divinité et devenir apte à l’exprimer. Voilà la manière dont Dieu lui-même peut être amené dans tous les aspects de la vie, faisant ainsi du monde Sa demeure véritable.3
18:12 Tandis que Moïse leur servait à manger. Plutôt que de se concentrer sur son propre repas, Moïse s’assura d’abord que les autres seraient servis. La leçon ici est que, quel que soit notre statut social (et qui pourrait revendiquer un statut social supérieur à celui de Moïse ?), nous devons considérer comme plus important de nous occuper des besoins d’autrui que de satisfaire aux nôtres. Cela s’applique aussi bien aux besoins matériels qu’au progrès spirituel.4
18:13 Le lendemain. Lorsque notre vie spirituelle semble se dérouler sans heurts, il se peut que nous croyions avoir surmonté les défis de la vie et pouvoir nous arrêter nous détendre. Pour savoir comment réagir face à ce sentiment, il suffit de se tourner vers l’exemple de Moïse. Sur le mont Sinaï, Moïse parvint à atteindre le sommet de la spiritualité. Là, il apprit la Torah directement de la bouche de Dieu, et vécut à un tel degré de spiritualité qu’il ne ressentit aucun besoin de manger ou de boire tout au long des quarante jours et quarante nuits qu’il y resta. Pourtant, dès qu’il rejoignit le peuple, il se plongea sans tarder dans sa nouvelle tâche, consistant à juger les cas qu’on lui soumettait.5
18:18 La mener à bien tout seul. Jéthro dit : « Le peuple n’a pas atteint le haut degré de spiritualité qui est le tien. Certes, tu peux les élever temporairement à ta hauteur lorsqu’ils sont en ta présence, mais tu ne saurais les maintenir à ce niveau, car, somme toute, ils n’ont pas eu part à ton expérience de la révélation divine. En outre, ils entreront bientôt dans leur pays, et là-bas ils devront consacrer une grande partie de leur temps à gagner leur subsistance, ce qui les contraindra à abandonner le mode de vie spirituellement intense dont ils jouissent ici dans le désert. Cela amoindrira encore davantage leur conscience du Divin. De plus, le jour viendra où tu ne seras plus présent pour les élever à ton niveau de conscience divine. Tu dois d’ores et déjà les préparer à cette éventualité. »6
18:24 Moïse écouta. Une fois la Torah dans les mains des Juifs, Moïse voulait que le peuple continue à entendre la parole de Dieu de façon directe, outre la révélation initiale au mont Sinaï.7 Aussi, il considéra ici encore qu’il valait mieux pour eux écouter les enseignements de Dieu issus de ses lèvres plutôt qu’à travers ses disciples. En outre, Moïse supposait à l’époque que c’était lui qui allait guider le peuple vers la terre d’Israël, et qu’à peine y seraient-ils arrivés qu’ils atteindraient le même niveau de conscience divine que celui qu’il possédait déjà. Aussi, il croyait que les soucis de Jéthro concernant ce qui surviendrait après sa mort étaient infondés. C’est pourquoi l’idée de mettre en place un système judiciaire ne lui était pas venue à l’esprit avant que Jéthro ne la lui propose.8 Quoi qu’il en soit, il consulta Dieu, qui donna Son aval au projet de Jéthro. La signification de l’ancien nom de Jéthro, Jéther, est bien « celui qui ajoute » : en effet, il amena Dieu à ajouter à la Torah la section décrivant son projet.9 Moïse présenta au peuple l’idée de Jéthro de la façon suivante : il leur dit que Dieu avait fait d’eux le peuple le plus noble de la terre. En raison d’une distinction aussi élevée, Dieu avait décrété que l’erreur de jugement, même dans des affaires civiles, serait désormais un crime capital. Or – poursuivit Moïse – on complique la procédure judiciaire en l’encombrant constamment de preuves et de témoins supplémentaires, et en plus ils étaient des gens méfiants et à l’esprit querelleur. C’est pourquoi il ne souhaitait pas être le seul juge du peuple. Les Juifs acceptèrent volontiers – alors qu’ils auraient dû protester, insistant sur leur désir d’être instruits par Moïse plutôt que par ses élèves – parce qu’ils croyaient être en mesure de soudoyer des juges d’une qualité inférieure à la sienne. Moïse chercha des individus possédant les sept qualités détaillées par Jéthro, mais n’en trouva en nombre suffisant qu’avec trois de ces qualités : intégrité, sagesse et bonne réputation.10
19:1 Le troisième mois. La Torah fut donnée spécifiquement au troisième mois, car le chiffre trois symbolise la triple unité créée par la Torah.
« Un » représente évidemment l’unité – n’ayant pas d’entité distincte face à laquelle exprimer l’accord ou le désaccord –, mais il s’agit là d’une unité inhérente et non pas d’une unité créée. La seule vraie unité de ce genre est celle de D.ieu ; Il était, est, et sera un, car de fait il n’existe rien d’autre que Lui.
« Deux » représente la dualité, la discorde et la séparation que nous vivons dans le monde de D.ieu, la dichotomie constante entre le corps et l’âme, le matériel et le spirituel, le bien et le mal.
« Trois » introduit un troisième élément, réconciliant et unissant ces concepts discordants. Cet élément ne penche pas pour l’un ou l’autre, car cela reviendrait à l’un, la dualité des deux antagonistes n’étant plus. Par contre, il intègre les deux ; il permet à chacun de garder son individualité en lui permettant du même coup de fusionner en un plus grand tout.
La Torah a été donnée, dit Maïmonide, pour apporter la paix dans le monde.11 Grâce à la Torah, la sagesse infinie de D.ieu peut être distillée d’une façon accessible aux créatures finies. D.ieu donna ainsi à l’humanité l’aptitude à apporter du Divin dans le monde, de continuer à exister en tant qu’êtres humains finis et, en dépit de cela, atteindre des degrés de conscience Divine. La Torah n’impose pas une réalité aux dépens de l’autre, mais les fusionne dans une existence sainte et signifiante dans le contexte de ce monde.12
En ce jour. En ce jour, « ils se rendirent au désert du Sinaï ». Le désert aride est une métaphore de la soif de Divinité que ressentait le peuple à l’approche du jour souhaité. La soif de Divinité s’accompagne toujours d’un sain mépris envers l’insolence du monde matériel – chaque fois qu’il tente d’outrepasser le rôle qui lui a été attribué dans la vie et usurper le dévouement que l’on préférerait investir dans le Divin. Ainsi, en ce jour, les Hébreux « se rendirent au désert du Sinaï », car le nom Sinaï est lié au mot « haine » (sina), faisant allusion à leur dédain accru des subterfuges du matérialisme.13
19:2 Le mont Sinaï. Le mont Sinaï était une montagne basse et peu imposante ; c’est pourquoi D.ieu le choisit comme le site du don de la Torah.14 Cela nous enseigne que la voie d’accès à la Torah est l’humilité.
D’un autre côté, D.ieu ne choisit pas de donner la Torah dans une plaine ou une vallée. Le fait que la Torah ait été donnée sur une montagne, toute basse qu’elle soit, nous enseigne que notre humilité doit être accompagnée d’assurance de soi. Sans cette assurance, nous ne saurions transmettre les commandements de la Torah à un monde qui s’y montre parfois réticent. Aussi, nous devons cultiver la fierté et la joie exaltante fondées sur notre conscience d’être les partenaires de D.ieu dans la mise en œuvre de Son plan pour la création.15
Néanmoins, nous devons veiller à ce que cette assurance ne dégénère jamais en arrogance. Ainsi, la Torah nous prévient de camper « face à la montagne », le mot pour « face à » signifiant aussi « à l’opposé de ». De même, lorsque la Torah fut donnée, D.ieu nous dit de « dresser une limite autour de la montagne »,16 c’est-à-dire de limiter notre assurance afin qu’elle ne dégénère pas en arrogance.17
Comme un seul peuple, un peuple uni. Cette unité était une condition préalable au don de la Torah. La présence de D.ieu refuse de demeurer parmi la discorde et l’absence d’harmonie. Ce n’est que lorsque les Juifs furent unis en harmonie qu’ils purent atteindre l’harmonie avec D.ieu requise pour recevoir Sa Torah.
Il en va de même de nos jours. Tout un chacun peut sans aucun doute étudier la Torah, mais l’inspiration divine qui nous octroie une vision plus large et nous permet de ressentir la présence de D.ieu dans la Torah ne vient à nous que lorsque nous nous soucions activement de nos semblables.
Nous pouvons trouver ici une nouvelle leçon. Les Juifs réussirent à s’unir au mont Sinaï précisément parce qu’ils se trouvaient « face à la montagne » ; autrement dit, parce qu’ils étaient concentrés sur la Torah. Chacun de nous possède des facultés intellectuelles, des émotions, des traits de caractère et des points de vue différents ; dès lors, il n’existe aucun moyen naturel de conserver notre individualité tout en fonctionnant comme un corps unifié.
N’importe quel groupe de personnes peut être uni temporairement ou partiellement pour atteindre un objectif commun. Mais les différentes parties de ces groupements restant toujours attachées à leurs priorités personnelles, il leur manque l’intérêt mutuel qui leur permettrait de fonctionner comme un corps vraiment unifié.
Ce n’est que lorsque nous sommes « face à la montagne » – centrés sur D.ieu – que nos différences cessent aussitôt de constituer des obstacles à l’unité. Nos différences continuent d’exister, car elles sont toutes nécessaires à l’accomplissement de notre mission Divine collective. Mais notre dévouement commun à la volonté de D.ieu transforme ces différences en tremplins vers notre but plutôt qu’en obstacles.18
19:3 À la maison de Jacob, c’est-à-dire aux femmes. C’est la même Torah qui est enseignée aux hommes et aux femmes ; la différence ne réside que dans la manière et l’approche.
La mère est l’enseignante primordiale de ses enfants pendant leurs années de formation. L’éducation d’un enfant commence dès le ventre de sa mère, car les attitudes et le comportement de cette dernière au cours de la gestation influencent le bébé d’une manière décisive. Avec le lait qu’il tète de sa mère, le nourrisson absorbe les caractéristiques de l’environnement et les attitudes de ceux qui en font partie, qu’il portera avec lui tout au long de sa vie. Il est donc crucial que les mères soient instruites en Torah et possèdent elles-mêmes l’amour de D.ieu, de Sa Torah et de ses commandements de manière à pouvoir transmettre cet amour à leurs enfants.
L’amour de D.ieu et l’amour de la Torah sont les fondements du judaïsme. Il est, bien sûr, également important d’enseigner aux enfants la crainte de D.ieu ; or de nos jours, lorsque la culture profane tente de séduire avec une telle insistance, implacablement et sans relâche, il est primordial d’élever nos enfants de manière à ce qu’ils apprécient le judaïsme en profondeur.19
Pour importante que soit l’influence de la mère sur ses enfants au cours de leurs années de formation, celle-ci ne s’arrête pas là. Tout au long de la vie, le bien-être spirituel et même physique de toute la famille reste tributaire de l’aptitude constante de la mère à leur inculquer l’amour de D.ieu et de Sa Torah. Même la spiritualité du mari dépend, dans une large mesure, de celle de sa femme. Toute femme marque le foyer de son empreinte, devenant ainsi activement responsable du bien-être physique et spirituel de sa famille entière.20
19:5 Vous entrerez dans une relation permanente avec Moi. Bien que le peuple juif ait observé les 613 commandements depuis l’époque des patriarches, il l’avait fait de sa propre volonté. Les commandements ne devinrent juridiquement contraignants pour tous les Juifs qu’une fois que la Torah fut donnée au mont Sinaï.
En fait, le don de la Torah contraignit également le reste de l’humanité à observer les commandements qui lui sont dévolus. Ainsi, cet événement historique divisa l’humanité en plusieurs catégories distinctes d’après les obligations légales de chacun à l’égard de l’observance des commandements :
• Non-Juifs. Les non-Juifs sont universellement tenus de respecter sept catégories spécifiques de commandements. Ces commandements sont connus sous le nom de « commandements noahides » dans la mesure où Noé est l’ancêtre commun à toute l’humanité. Les non-Juifs sont tenus d’observer ces commandements avec l’intention de remplir l’obligation que D.ieu leur donna au mont Sinaï.
• Résidents étrangers (guer tochav). Un non-Juif qui a renoncé à l’idolâtrie et souhaite également vivre en terre d’Israël peut le faire à condition qu’il s’engage également à ne pas effectuer durant Chabbat certains types de travaux au profit d’un Juif (mais il est autorisé à les effectuer pour son propre bénéfice).21
• Serviteurs non-juifs. Un non-Juif acheté par un Juif en tant que serviteur est tenu de respecter toutes les interdictions de la Torah et d’accomplir tous les commandements positifs qui n’ont pas de limites liées au temps. Lorsqu’un Juif achète un non-Juif comme serviteur, il convient de demander à celui-ci s’il veut s’astreindre à observer ces commandements pour le reste de sa vie. S’il accepte, il est circoncis (dans le cas d’un homme) et rituellement immergé, car il s’agit là d’une sorte de conversion partielle. S’il s’y oppose, le Juif doit le revendre à un non-Juif. S’il hésite, on peut laisser s’écouler jusqu’à un an en attendant qu’il y consente. Pendant cette période intérimaire, il ne lui sera pas dévolu le statut légal de serviteur, et les seuls commandements qu’il aura à observer sont les interdictions de certains types de travaux en Chabbat. Si, après cette période intérimaire, il persiste dans son refus, le Juif doit le revendre à un non-Juif.22
• Femmes juives. Toutes les femmes juives adultes sont tenues de respecter l’ensemble des interdictions de la Torah et d’observer tous les commandements positifs n’ayant pas de contraintes liées au temps, ainsi que certains autres commandements positifs.
• Hommes juifs. Tous les hommes juifs adultes sont tenus de respecter toutes les interdictions de la Torah et d’observer tous les commandements positifs de la Torah qui s’appliquent à eux.
• Hommes juifs à des postes spécifiques. Les rois, les prêtres, les lévites, les juges, etc., en plus d’être tenus d’observer tous les commandements incombant aux hommes juifs adultes, doivent également observer les commandements s’appliquant spécifiquement à leur fonction.
Le non-Juif n’a nulle obligation de devenir Juif, pas plus qu’un Juif n’est obligé d’encourager un non-Juif à se convertir. Les Juifs, autant que les non-Juifs, sont tenus d’encourager tous les non-Juifs à observer les commandements noahides et à encourager tous les Juifs à observer la totalité des commandements de la Torah s’appliquant à eux.
Néanmoins, si un non-Juif se sent insatisfait ou incomplet du fait de ne suivre que les commandements noahides, il peut choisir de devenir Juif. Cela implique un processus de conversion particulier requérant : (a) la circoncision (pour l’homme), (b) l’immersion rituelle, (c) l’offrande d’un sacrifice spécifique (lorsque le Temple existe), et (d) l’acceptation de l’obligation absolue d’accomplir tous les commandements exigés d’un Juif.
19:5-6 Un trésor... de princes... un peuple saint. Ces trois descriptions de la façon dont D.ieu nous considérera en échange de notre engagement dans une alliance avec Lui constituent les trois facettes de notre relation continue avec D.ieu :
La base de cette relation est que D.ieu nous a choisis, ce qui signifie que Lui et nous sommes liés au-delà du rationnel. Le vrai choix n’est possible que lorsqu’il n’est pas dicté par les circonstances ; autrement dit, lorsque le choix ne peut être attribué à une quelconque prédilection de la part de celui qui choisit ou à l’existence de qualités uniques chez l’objet du choix. Dans ce cas, cela signifie que notre relation à D.ieu est enracinée dans l’essence Divine, qui transcende et existe « préalablement » et en dehors de tout système de valeurs préférant le bien au mal ou l’obéissance à la désobéissance.
Cependant, ce lien, aussi fondamental soit-il, reste également caché. Il existe dans notre vie comme un courant sous-jacent dont la présence est à peine perçue. Il est donc nécessaire de ramener cette connexion intrinsèque à la surface en se liant à D.ieu activement. Ceci s’accomplit de deux façons :
Premièrement, en étant « un peuple saint », nous consacrant aux objectifs que D.ieu a établis pour nous au moyen de l’étude de Sa Torah et de la pratique de Ses commandements. Cela nous écarte de la matérialité du monde et de toutes les autres cultures humaines, nous démarquant ainsi comme un peuple saint.
Deuxièmement, en étant un « royaume de princes » qui s’impose sur la matérialité du monde et ses cultures en assimilant leurs aspects positifs pour les intégrer à notre mission Divine. Cela nous engage dans la matérialité du monde.
C’est la seconde de ces deux manières de concrétiser notre lien avec D.ieu qui constitue la réussite majeure du don de la Torah. Les patriarches étaient déjà des exemples éclatants de refus de la corruption de son milieu et de dévouement à D.ieu avant que la Torah ne soit donnée. C’est pourquoi ils avaient choisi d’être bergers : ils pouvaient optimiser le temps qu’ils passaient en solitaires, éloignés des distractions de la civilisation, et profiter de cette liberté pour méditer et communier avec D.ieu. Et, si cela ne suffit pas, les anges sont, eux, totalement spirituels et définitivement éloignés de toute matérialité.
La principale innovation du don de la Torah résidant dans l’aptitude qu’elle nous accorde d’élever le monde profane, la Torah mentionne le fait d’être un « royaume de princes » avant celui d’être « un peuple saint ».23
19:6 Un royaume de princes. Basée sur le lien réciproque qui allait se forger entre D.ieu et le peuple au mont Sinaï, la Torah divise à présent le récit historique en deux parties. Elle racontera d’abord les aspects du récit historique associés au côté rationnel et contractuel de la relation, en commençant par les préparatifs à la Révélation sur le mont Sinaï,24 puis la Révélation proprement dite,25 et de conclure avec les lois dictées à Moïse lors de son séjour sur la montagne.26 Elle reviendra ensuite en arrière pour relater les aspects du récit liés au caractère essentiel et d’alliance de la relation, en recommençant par les préparatifs de la Révélation,27 puis la Révélation elle-même,28 l’écriture des Tables de l’Alliance,29 et de conclure par les instructions relatives à la construction du Tabernacle (par lequel D.ieu promet de « demeurer parmi » le peuple), lesquelles furent également données lors du séjour de Moïse au sommet de la montagne.30
19:10 Ils doivent laver leurs vêtements. Allégoriquement, notre pensée, notre parole et nos actes sont nos « vêtements ». Ce sont les outils dont l’âme se sert pour s’exprimer et se présenter au monde extérieur, tout comme nous habillons le corps conformément à l’image que nous voulons donner à la société.
D.ieu confia à Moïse la tâche de sanctifier le peuple, mais la tâche de nettoyer leurs vêtements incombait au peuple. Le Moïse de chaque génération peut nous inspirer, nous guider et nous rattacher à D.ieu, mais tout cela dépend de notre propre préparation, c’est-à-dire de la portée de nos efforts visant à nettoyer notre pensée, notre discours et nos actions des éléments incorrects.31
19:11 À la vue de tout le peuple. Afin que tous les Juifs puissent vivre pleinement cette révélation, D.ieu les guérit de leurs infirmités, rendant la vue aux aveugles, la parole aux muets et l’ouïe aux sourds.32
Outre le fait de guérir les Juifs de leurs infirmités physiques, D.ieu les guérit de leurs infirmités spirituelles : Il effaça les effets de toutes les erreurs passées et restitua au peuple entier l’innocence d’Adam et Ève avant qu’ils ne mangent du fruit de l’Arbre de la Connaissance.33 N’eût été l’épisode du veau d’or, le peuple aurait conservé ce statut de perfection et vécu éternellement.34 La qualité sublime des Tables originales exerça une telle empreinte sur le peuple qu’ils devinrent capables de se souvenir parfaitement de la Torah qu’ils étaient en train d’apprendre.35 Ainsi, ils devinrent un peuple constitué de justes parfaits.36
19:13 Lorsque le son de la corne de bélier retentira. La révélation publique de la présence de D.ieu sur la montagne suspendit temporairement le libre choix du peuple, le privant de la possibilité de nier l’existence de D.ieu ou Son souci pour lui.37 Cependant, l’inspiration divine une fois dissipée, le vide qui en résulta redonna lieu au doute, voire à la rébellion.38 Ainsi, la sonnerie qui signala le retrait de la présence de D.ieu annonça également le retour du libre choix et de l’autonomie d’action.
Mais c’est bien en raison de cette indépendance que nos accomplissements sont considérés comme étant les nôtres. S’il n’y avait pas d’alternative au dévouement à D.ieu, le fait n’aurait guère de signification. La possibilité de rejeter D.ieu confère donc un sens à notre dévouement à Lui et nous permet d’exprimer notre liberté de choix.
Ainsi, après avoir fait don de la Torah, D.ieu se retira pour nous permettre de Le servir avec motivation personnelle et de transformer le monde de l’intérieur. Alors que la sainteté infusée par D.ieu dans le monde matériel lors du don de la Torah se posait au-dessus de lui, restant dès lors fugitive, la sainteté que nous insufflons dans le monde est produite en son sein, et devient de ce fait permanente.39
19:14 Vers le peuple. Nos sages soulignent que « Moïse ne vaqua pas à ses propres affaires, mais [alla droit] de la montagne vers le peuple. »40 L’énoncé implique que Moïse ne vaqua même pas à ses propres affaires spirituelles. Sans aucun doute, les aspirations spirituelles de Moïse étaient à tel point élevées que lui seul était capable de les mener à bien. Pourtant, il ignora ces considérations afin de s’occuper du besoin plus prosaïque du peuple de purifier sa conduite.41
La leçon à tirer pour nous ici est que, pour élevés que soient nos objectifs, nous devons accorder la préséance aux besoins des autres Juifs.42
19:18 Le mont Sinaï était tout en fumée. Le fait que la montagne était fumante indiquait que le feu céleste qui était descendu sur elle était en train de la consumer. Cela fait allusion à la façon dont le don de la Torah permit au monde matériel d’être affecté par la spiritualité.
La clé pour y parvenir est de s’assurer que tous les aspects de notre vie religieuse soient imprégnés de « feu », c’est-à-dire de chaleur et d’enthousiasme pour D.ieu et Sa Torah.43
Jusqu’au don de la Torah, l’esprit et la matière étaient deux domaines distincts, séparés par un fossé impossible à combler. Les actes matériels ne pouvaient pas influencer le domaine spirituel, et, réciproquement, les actes spirituels ne pouvaient pas affecter le monde matériel. Le don de la Torah eut pour effet d’annuler cette discontinuité, le spirituel et le matériel devenant les deux extrémités d’un même continuum.44
20:1 D.ieu prononça alors. Le peuple entendait le son de la voix de D.ieu émanant du ciel, mais les seuls mots qu’ils entendaient distinctement étaient ceux venant du feu divin qui brûlait au sommet de la montagne.45 Tous les commandements de la Torah sont compris dans les Dix Commandements.46 En donnant ces commandements, D.ieu contraignit le peuple à les observer et les rendit passibles de châtiments réparateurs en cas d’infraction. Il prononça d’abord l’ensemble des Dix Commandements en même temps. Ensuite, Il répéta les deux premiers séparément et fit répéter à Moïse les huit restants,47 comme il sera décrit plus bas. La voix de D.ieu s’adressait au peuple des quatre points cardinaux.48
D.ieu prononça alors toutes ces paroles en disant. La Torah contient 613 commandements spécifiques : 248 obligations de faire, toutes incluses dans le premier commandement ; et 365 obligations de ne pas faire, incluses dans leur totalité dans le deuxième commandement. C’est ainsi que le peuple entendit bien la totalité des commandements directement de D.ieu.49
Mais ceci n’était vrai que dans un sens général : D.ieu ne donna pas explicitement l’ensemble des 613 commandements à ce moment-là. Par exemple, pour prononcer certains de ceux qui seraient applicables lorsque le peuple entrerait sur la terre d’Israël, Il attendit qu’ils y arrivent. Dans le cas d’autres commandements,
D.ieu attendit que survienne une situation « déclenchant » le commandement, etc.50 Il reste que le but était de transmettre le message selon lequel nous sommes censés considérer tous les commandements comme immédiatement applicables.
Quoi qu’il en soit, D.ieu donna la Torah en entier à Moïse de son vivant, lui permettant ainsi de transmettre au peuple le texte dans son intégralité.51
D.ieu prononça alors toutes ces paroles en disant. Quand nous avons l’ouverture adéquate, nous revivons la révélation divine de la Torah à chaque fois que nous l’étudions. Ainsi, D.ieu se réfère à la Torah comme « Ma parole, que J’ai mise dans ta bouche »,52 et nos sages nous encouragent à ressentir, lorsque nous l’étudions, les mêmes « crainte, peur, tremblement et transpiration »53 que nous avons ressentis lors du don de la Torah.54
Les Dix Commandements sont tous exprimés au singulier. Nos sages offrent à cet égard deux explications apparemment contradictoires :
1. Les Dix Commandements devaient être adressés au peuple juif en tant qu’un tout, car, si même un seul Juif venait à faire défaut, la Torah n’aurait pas pu être donnée. Cela implique que chaque individu reçut la Torah de la même manière.55 2. Les Dix Commandements furent adressés à chacun des Juifs à titre individuel. Ce fait implique que chaque individu reçut la Torah d’une manière spéciale et personnelle, adaptée à sa configuration spirituelle et psychologique.56
Ces deux explications sont valables. Les commandements s’appliquent à tous les Juifs sans distinction. Or, l’un des commandements se caractérise par l’obligation d’étudier la Torah. L’étude est singulière en ce sens que l’étudiant doit comprendre la Torah en se servant de son intellect, et il ne se trouve pas deux individus dont les capacités pour l’étude soient semblables en quantité ou en qualité. À cet égard, la Torah fut donnée à chaque personne individuellement et distinctement, et chacun doit l’approcher à sa façon.57
20:2 Je suis l’Éternel. Par ces mots, D.ieu disait de même : « Bien que Je Me sois manifesté à vous à la mer des Joncs comme un D.ieu belliqueux (Elokim) et qu’ici J’apparaisse devant vous comme un D.ieu miséricordieux (Havayah),58 ne croyez pas qu’il s’agit de deux dieux ! Je suis à la fois le D.ieu de la miséricorde et le D.ieu du jugement – un seul et même D.ieu. Et, bien que vous entendiez Ma voix venant des quatre directions, que cela non plus ne vous amène pas à croire qu’il existe plusieurs dieux. »
Je suis. En donnant la Torah au peuple juif, D.ieu ne leur offrait pas un simple guide de vie ; Il leur fournissait la clé pour se lier à Son essence. Cette idée est évoquée dans le premier mot des Dix Commandements, « Je ». Ce « Je » se rapporte à l’essence ineffable de D.ieu, sublime au point qu’elle ne saurait être désignée par aucun nom ou adjectif.59
20:6 Pour deux mille. Ainsi, l’attribut de bienveillance de D.ieu est cinq cents fois plus grand que Son attribut de rétribution, puisqu’il préserve le mérite pendant deux mille générations, mais le blâme, pour quatre générations à peine. D.ieu formula ces deux commandements au singulier, comme s’il ne s’adressait qu’à Moïse, afin de rendre les Juifs innocents au sens strict lorsqu’ils commettraient plus tard la faute du veau d’or.60 D.ieu demanda alors à Moïse de répéter les huit commandements restants, augmentant miraculeusement la puissance de sa voix, comme il a été indiqué plus haut.61
20:12 Honore ton père et ta mère. Les Dix Commandements commencent par les principes fondamentaux de la théologie juive : la croyance en D.ieu et la négation de l’idolâtrie. Le troisième commandement nous enjoint de respecter D.ieu, et le quatrième, de consacrer un jour par semaine à notre régénération spirituelle. Mais les commandements qui s’ensuivent sont plutôt prosaïques, évidents même. Toute société normale interdit le meurtre, l’enlèvement, le faux témoignage, etc. En incluant dans les Dix Commandements ces piliers incontestables de la vie civilisée, D.ieu nous dit que nous devons observer toutes les lois de la Torah – y compris celles manifestement « rationnelles » –, non pas parce que nous leur trouvons du sens, mais parce qu’elles constituent des commandements divins.
Sans doute, nous devons également comprendre et apprécier le sens des commandements de D.ieu, mais nous ne devons pas fonder leur observance sur notre intellect. La pensée rationnelle peut être égarée par des contre-arguments convaincants ou des circonstances atténuantes ; ce n’est que le dévouement absolu à la parole de D.ieu qui garantit l’observance sans compromis.62
Honore ton père et ta mère. Des Dix Commandements, les cinq premiers se focalisent sur notre relation avec D.ieu ; les cinq suivants, sur notre relation avec nos semblables. Le commandement d’honorer les parents, le cinquième, est placé dans la première catégorie, car honorer les parents, qui sont des partenaires de D.ieu dans la création de la vie, revient à honorer D.ieu.63
En vérité, cependant, ce commandement fait partie à la fois de notre relation à D.ieu et de notre relation avec l’humanité. D’une part, nous honorons nos parents parce que nous reconnaissons et apprécions le fait qu’ils nous ont amenés dans le monde et pris soin de nous dès notre enfance. Cette gratitude définit l’accent du commandement comme interpersonnel. D’autre part, nous honorons nos parents parce que nous reconnaissons que la capacité que possède une créature finie de procréer une chaîne infinie de générations provient de l’infinité de D.ieu. Dans cette perspective, en honorant nos parents nous honorons D.ieu, car nous reconnaissons ainsi l’infinité divine qu’ils reflètent.64
20:13 Ne commets pas de meurtre. Les cinq commandements inscrits sur la première des deux Tables traitent de notre relation avec D.ieu, tandis que les cinq inscrits sur la deuxième Table abordent notre relation avec nos semblables. Cette juxtaposition nous enseigne deux choses : nous devons, d’une part, apprendre à traiter D.ieu tel que nous traitons les êtres humains. Instinctivement, nous sentons qu’il est de notre devoir de rembourser les bontés que nous prodigue autrui, mais nous négligeons souvent nos responsabilités envers D.ieu ; Il est facile à oublier. D’autre part, notre relation envers nos semblables doit être fondée sur notre croyance en D.ieu : nous sommes tenus d’agir convenablement à leur égard parce que D.ieu le dit. Si la source de notre engagement à la moralité est quelque chose d’autre que l’ordre de D.ieu, rien ne saurait garantir que nos actions ne subiront pas l’influence de l’amour de soi ou pire encore. Dès lors que D.ieu quitte la scène, même la société la plus « cultivée » peut commettre des meurtres de masse. Par contre, quand il s’agit de la première moitié des Dix Commandements – la conscience que c’est « Je suis l’Éternel, ton D.ieu » qui régit notre vie –, nous sommes assurés de surmonter tout obstacle obstruant la voie vers le bien et la vérité.65
20:14 Ne convoite pas. D.ieu fournit à chacun de nous toutes les ressources – possessions, talents et atouts – dont nous avons besoin pour réaliser notre mission particulière dans la vie. Chacun de nous parvient à son accomplissement ultime en consacrant ces ressources à sa mission Divine, et en les utilisant pour accroître la conscience de D.ieu dans le monde. Toutes les ressources que D.ieu ne nous a pas fournies à un moment donné ne sont donc pas nécessaires à l’accomplissement de cette mission ; en fait, elles nous détourneraient du plein épanouissement de notre potentiel. Réfléchir à cette vérité nous guérira de toute envie.66
20:15 Ils tremblèrent. Cette réaction spontanée au don de la Torah exerce son effet sur le monde en général. L’annulation de soi, la perte spontanée ou l’effacement délibéré de la conscience de soi et de l’ego face à une réalité plus grande et imposante peuvent se produire de deux façons. La voie inférieure est la voie volontaire : nous nous effaçons consciemment par déférence à l’égard de la supériorité d’une autre entité. L’acte est indubitablement louable, car nous témoignons ainsi le fait de reconnaître qu’il y a quelque chose de supérieur à nous. Néanmoins, c’est toujours nous qui gardons le contrôle des opérations ; c’est nous qui choisissons d’abandonner notre ego.
La forme supérieure de l’annulation de soi survient lorsque nous sommes en présence de quelque chose de si manifestement majestueux que nous nous sentons, instinctivement et spontanément, pénétrés d’humilité. Dans un tel cas, nous n’avons pas besoin de nous annuler volontairement ; l’effacement se produit automatiquement, et ceci, au point de nous faire perdre la conscience de notre oubli de nous-mêmes. C’est bien cette sorte d’oubli de soi que produisit la révélation au Sinaï : soudain le monde garda le silence, et le peuple, situé au loin, trembla et se tint à distance.
Cette dynamique se met à l’œuvre encore de nos jours dans les différents types d’oubli de soi que nous vivons lors de la pratique des commandements de D.ieu et de l’étude de la Torah. Lorsque nous accomplissons les commandements de D.ieu, nous conservons un certain degré de conscience de soi : c’est nous qui exécutons le commandement. Par contre, lorsque nous étudions la Torah, nous nous perdons dans la conscience Divine et nous sentons les paroles de D.ieu parler à travers nous.67
20:18 D.ieu fut de l’avis du peuple. D.ieu accéda à la requête parce que c’était seulement si le peuple recevait la Torah à son niveau de conscience habituel – et non pas à un niveau de conscience plus élevé auquel ils auraient accédé d’une façon artificielle et temporaire – que la Torah qu’ils étudiaient pénétrerait pleinement leur esprit et leur cœur. S’ils continuaient à entendre la parole de D.ieu avec l’intensité du niveau de conscience de Moïse, ils seraient certes plus complètement saisis par sa transcendance, mais incapables de se lier à elle comme quelque chose d’applicable à leur vie quotidienne.68
20:23 Par des marches. Par contre, nous devons construire une rampe et nous en servir à cet effet. Certes, les prêtres portent sous leurs tuniques des caleçons,69 de sorte que leurs organes de reproduction ne sont pas exposés à l’autel même en gravissant un escalier, mais l’acte d’en enjamber les larges marches donnant l’impression que ces organes s’exposent de la sorte, il est donc plus discret de gravir une rampe. Si Dieu se soucie du respect dû à des entités aussi dépourvues de vie que peuvent l’être des pierres uniquement parce qu’elles servent un but, nous devons montrer d’autant plus de respect pour notre prochain, un être humain qui a été créé à Son image et qui est sensible à nos signes de respect.
L’exercice de témoigner du respect pour les pierres nous apprend à sauvegarder l’honneur des autres même dans les cas où ils ne se doutent pas que l’on est en train de leur manquer de respect, ou que nous n’ayons pas l’intention de les offenser, ou encore lorsque l’offense n’en est pas une à proprement parler.
Ainsi, le dernier verset de la paracha de Yitro condense le message de la révélation de Dieu au mont Sinaï : Dieu peut être trouvé jusque dans les choses les plus profanes. Nos rapports avec autrui font partie indissociable de notre relation avec Dieu. Et, dans un sens positif, aimer les autres est en vérité aimer notre Créateur.70
Dieu dit à Moïse qu’Il approuvait la crainte que le peuple ressentait de Lui parler,71 et leur souhait de ce que désormais Il ne communique avec eux qu’à travers lui. Aussi, Il lui dit d’informer le peuple que les couples mariés pouvaient reprendre à présent les relations conjugales,72 mais qu’il devait pour sa part rester éloigné de sa femme afin d’être toujours prêt à recevoir la parole divine.73
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