Yitro – Le don de la Torah

La cinquième section du livre de l’Exode débute en relatant comment le beau-père de Moïse, Jéthro (Yitro), rejoignit le peuple juif au mont Sinaï, et se poursuit avec le récit du don de la Torah, qui se déroulera à cet endroit. Entre ces deux récits, nous trouvons les conseils prodigués à Moïse par Jéthro visant à la mise en place d’un système judiciaire.

L’événement capital de la paracha de Yitro est le don de la Torah. Tous les événements consignés dans la Torah, à commencer par la création du monde, conduisent vers ce moment. Dieu est sur le point d’accomplir le but pour lequel Il a créé le monde : faire qu’il devienne Sa demeure.

Pourtant, avant que Dieu ne donne la Torah au peuple juif, il doit se produire un autre événement – un événement sans lequel, d’après le Zohar,1 Dieu n’aurait pas pu accomplir cet acte : Jéthro, beau-père de Moïse, prince et grand prêtre de Madian, doit se convertir au judaïsme et rejoindre les enfants d’Israël.

Qu’y avait-il de si particulier chez Jéthro, et qu’y avait-il de si important dans sa conversion pour qu’elle devienne une condition préalable au don de la Torah ?

Dans cette paracha, Jéthro rapporte à Moïse : « À présent, je sais que l’Éternel est plus grand que tous les dieux. »2 À ce propos, les sages nous enseignent que cela signifie que Jéthro connaissait toutes les formes d’idolâtrie (autrement il n’aurait pas pu étayer une telle affirmation). Comme il a été expliqué précédemment,3 l’idolâtrie naquit de la croyance erronée selon laquelle, Dieu ayant choisi de déléguer certains de Ses pouvoirs aux forces de la nature, il convient de les vénérer. Or, le peuple en vint finalement à adorer ces forces intermédiaires et à oublier Dieu. Ainsi, la connaissance qu’avait Jéthro de toutes les formes d’idolâtrie découlait du fait d’avoir étudié toutes les forces de la création – des forces matérielles de la nature jusqu’aux pouvoirs spirituels les plus abstraits. Ces formes, il les avait toutes révérées en tant qu’intermédiaires entre Dieu et la création.

Si Jéthro était si intelligent, pourquoi ne réalisa-t-il pas par lui-même que tous ces intermédiaires ne détiennent pas le moindre pouvoir, mais ne sont que des outils dans la main de Dieu ?

Le fait est qu’à l’époque de Jéthro la nature de la réalité était plus propice à la vision païenne qu’à la vérité. Depuis la faute originelle, survenue dans le jardin d’Éden, le monde était devenu de plus en plus hostile à la sainteté, et la présence de Dieu avait été progressivement bannie du monde ; il semblait que Dieu avait bel et bien abandonné Ses pouvoirs aux forces de la nature.

Or, Abraham et ses successeurs avaient réussi à inverser cette tendance, et leur œuvre était maintenant sur le point d’aboutir. La brèche séparant le Divin de la réalité profane était sur le point de se combler, ce qui permettrait au Divin d’imprégner toute la réalité, et à toute réalité, de ressentir le Divin.

C’est pourquoi les dix plaies et leur point culminant, la division de la mer, furent des précurseurs nécessaires du don de la Torah. Le recul des eaux révéla la dimension cachée et spirituelle de la réalité – mise en évidence par la mer, recelant en son sein toutes les formes de vie ; du coup, toute la création fut en mesure de percevoir le Divin, devenu pour un moment évident et tangible.

Mais la division de la mer n’avait pas suffi. Certes, le pouvoir du mal – le déni de l’omniprésence de Dieu – fut momentanément neutralisé. Mais il ne fut pas pour autant déraciné, car les fondements philosophiques de l’idolâtrie subsistaient encore. Dès que la mer revint à son état naturel, il fut possible de continuer à vivre dans l’illusion que la puissance de Dieu ne porte que sur les domaines de la sainteté, mais que la nature en quelque sorte se soustrait à son contrôle.

Ce n’est que lorsque Jéthro – l’incarnation de la philosophie et du spiritualisme opposés à la Torah – admettra que « l’Éternel est plus grand que tous les dieux », le couronnant ainsi Roi sur tous les aspects de la vie – y compris les détails les plus banals et apparemment naturels –, que tout sera en place pour que la Torah descende du ciel.

Aussi, il convient que la paracha décrivant le don de la Torah porte le nom de Jéthro, le prêtre idolâtre. Jéthro se trouvait dans une position de choix pour nier la croyance selon laquelle il existerait des forces matérielles ou spirituelles indépendantes de Dieu. En reconnaissant que la providence divine imprègne tous les recoins de la création, Jéthro préparera le monde à la conscience de l’omniprésence de Dieu, qui sera obtenue par le don de la Torah.4