28:10–11 Jacob sortit. Après le départ de Jacob, Ésaü envoya son fils Eliphaz pour le tuer. Eliphaz poursuivit Jacob et le rattrapa, mais il se trouva alors devant un dilemme : d’un côté, il avait le devoir d’obéir à l’ordre de son père de tuer Jacob ; d’un autre côté, du fait qu’il avait été élevé par le juste qu’était son grand-père Isaac, sa conscience l’emporta il ne put se résoudre à tuer Jacob. Il décida alors de demander à Jacob lui-même ce qu’il devait faire. En réponse, Jacob donna à Eliphaz tout ce qu’il possédait, en lui faisant remarquer que la Torah considère une personne indigente comme morte, car elle n’a plus les moyens d’exercer la moindre influence sur ses semblables.1 Eliphaz pouvait dès lors dire à son père qu’il avait bien laissé Jacob pour « mort ».2
Conscient des défis qui l’attendaient à ‘Harane, Jacob réalisa qu’il devait se préparer spirituellement avant de s’y rendre. Aussi retourna-t-il à l’académie d’Ever (Chem était décédé à cette époque), pour y étudier assidûment au cours des quatorze années suivantes (2171–2185). C’est alors seulement qu’il se mit en route pour ‘Harane. Quand il arriva, il réalisa qu’il était passé sans s’en apercevoir devant le mont Moriah, où son père et son grand-père avaient prié, sans y prier lui-même. Afin de réparer cet apparent affront à la conduite de ses ancêtres, il revint sur ses pas dans la direction du mont Moriah. Lorsqu’il atteignit Beth El, Dieu déplaça miraculeusement le mont Moriah et le déposa à Beth El.3 Ainsi, Jacob parvint sans le savoir à l’endroit où son père avait été ligoté et presque sacrifié.
Bien qu’il faisait encore jour lorsqu’il arriva, Dieu fit se coucher le soleil plus tôt afin que Jacob passe la nuit comme un invité dans Sa « maison », autrement dit le site du futur Temple. Lorsque la nuit tomba, Jacob pria Dieu, car en plus de suivre la coutume de son père de prier chaque après-midi et celle de son grand-père de prier chaque matin,4 il institua l’usage de prier également chaque soir.
Il choisit une pierre pour y poser sa tête et pour se protéger des animaux sauvages, et prit d’autres pierres, qu’il plaça autour de son corps5 et de sa tête. Les pierres qu’il avait placées autour de sa tête protestèrent alors en revendiquant chacune l’honneur d’être celle sur laquelle reposerait la tête de Jacob. Aussi, Dieu les transforma miraculeusement toutes en une seule pierre.6
Jacob sortit de Beer Chava. Le départ de Jacob de l’environnement sanctifié du Pays d’Israël pour descendre jusqu’à l’environnement délétère de ‘Harane afin de défier Laban « l’aigrefin » nous confère à nous, sa descendance, la force de suivre une voie analogue. Certes, notre environnement familial doit constituer un refuge face au monde matériel, un lieu pénétré des valeurs saines et saintes de la Torah. Cependant, une fois que nous avons fondé un tel foyer, nous ne devons pas craindre de nous aventurer au sein du monde extérieur afin de l’ennoblir. Et tout comme la descente de Jacob à ‘Harane le propulsa de fait jusqu’à de hauts degrés de spiritualité, il en va de même pour nous. Non seulement nos incursions momentanées au sein d’un monde matériel défait de spiritualité dans le but de l’ennoblir ne seront pas dommageables pour nous, mais elles se révéleront encore bénéfiques pour notre épanouissement spirituel. En fait, la seule façon pour nous de progresser consiste à relever les défis de notre ‘Harane personnel.7
Jacob sortit de Beer Chava. Beer Chava devait son nom à l’alliance de paix scellée entre Abraham et Avimèle’h.8 Cette alliance permit à Abraham et à ses descendants de mener une vie de sainteté non entravée par Avimèle’h et son antagonisme à la sainteté.
Pour le Midrach, le fait que Jacob quitta Beer Chava atteste qu’il ne souhaitait pas perpétuer cette alliance,9 car son approche du mal différait de façon drastique de celles d’Abraham et Isaac. Eux avaient été en mesure de faire la paix avec Avimèle’h pour l’empêcher d’entraver leur aspiration au divin, mais n’avaient cependant pu ni vaincre le mal qu’il incarnait ni le gagner aux voies de la sainteté. Jacob, en revanche, se rendit à ‘Harane dans l’intention non seulement d’empêcher sa culture d’entraver sa vie pénétrée de valeurs divines mais encore de transformer ce lieu.
Comme Abraham et Isaac n’avaient pas été en mesure de transformer le mal de leurs opposants spirituels – et n’avaient en réalité pas tenté de le faire –, ils ne furent pas non plus en mesure de venir à bout des tendances pernicieuses de leurs propres enfants respectifs, Ichmael et Ésaü. En fait, ils ne réussirent qu’à neutraliser l’opposition de leurs enfants à la sainteté. Jacob, en revanche, réussit à transformer le mal, et ne se contenta pas de le neutraliser. En conséquence, le mal qui pouvait se manifester chez ses enfants fut gagné à la sainteté, et ainsi, tous ses enfants suivirent les voies de Dieu.10
Il les plaça autour de sa tête. Jacob avait conscience qu’il allait pénétrer dans un monde qui comportait de nouveaux défis. Il savait qu’il devrait s’investir dans ce monde nouveau tout en demeurant quelque peu détaché de lui. Aussi entoura-t-il sa tête de pierres, pour montrer symboliquement qu’il désirait protéger son esprit – autrement dit ses préoccupations et sa conscience – de sorte qu’il ne devienne pas la proie des distractions et des défis de sa nouvelle vie. Il décida de n’investir dans son travail que ses mains,11 et de maintenir sa tête – son esprit – à distance, concentrée sur sa mission spirituelle.
De façon analogue, en nous engageant dans une incursion au sein du monde « réel », nous ne saurions compter que sur la seule relation d’ordre intellectuel avec Dieu pour nous maintenir sur la bonne voie. Ce n’est qu’en protégeant notre « tête », en épanouissant et en affermissant notre relation supra-rationnelle avec Dieu que nous pouvons rester fidèles à notre vocation d’édifier une demeure pour Lui.12
28:14 Toutes les familles de la terre seront bénies à travers toi. L’expression « Tu déborderas puissamment » (oufaratsta) signifie littéralement « Tu feras éclater », comme dans le cas d’une barrière qui fait obstacle. Au plan allégorique, cette bénédiction n’a pas trait uniquement à la postérité physique de Jacob, mais également à son message spirituel au monde, lequel connaîtra une immense diffusion au sein de l’humanité lors du futur messianique. Le Messie inaugurera une ère dans laquelle la présence de Dieu se révélera d’une façon qui fera éclater les limites et les barrières qui empêchaient auparavant de la percevoir. Toutes les nations du monde reconnaîtront Dieu13 et se dévoueront pour faire de ce monde Sa demeure.14
20–21 Du pain… et des habits. Nous faisons du monde une demeure pour Dieu de deux manières : à travers des actes qui sont intrinsèquement saints, comme étudier la Torah et accomplir les commandements de Dieu, et en sanctifiant les activités ordinaires comme le manger ou celles liées au gagne-pain. Dans ce verset, Jacob fait allusion à ces deux aspects de la vie religieuse :
Le pain et les vêtements caractérisent, respectivement, l’étude de la Torah et l’accomplissement des commandements de Dieu. Lorsque nous étudions la Torah, nous nous pénétrons de la sagesse de Dieu, qui devient ensuite partie intégrante de nous-mêmes, tout comme la nourriture que nous mangeons (le pain incarnant ici la nourriture par excellence) devient partie intégrante de nous. Lorsque nous accomplissons un commandement, c’est un sentiment transcendant, extérieur à notre personne, qui nous enveloppe, tel un vêtement qui nous apporte sa chaleur.15
Dans cette perspective, « retourner dans la maison de mon père sans flétrissure » est une allusion à notre retour dans le domaine de la sainteté après nous être aventurés temporairement au sein du monde profane dans le but de l’ennoblir et de le sanctifier.16
Comme il a été mentionné, en dépit de la pérennité intrinsèque des actes de nature sacrée, ennoblir le profane est d’une insigne importance, car cela vaut à Dieu le plus grand des plaisirs et hâte l’avènement de l’ère messianique.17
29:1 D’un pas léger. Bien que Jacob était en chemin pour pénétrer dans l’environnement moralement délétère et dangereux de ‘Harane, sa joie d’accomplir une mission divine et sa confiance en la protection de Dieu l’imprégna tout entier jusqu’à ses pieds.18 En suivant l’exemple de Jacob, nous pouvons adopter la même attitude joyeuse et confiante lorsque nous partons quotidiennement affronter les nombreuses activités d’ordre profane. L’enjeu consiste, à l’instar de Jacob, à s’assurer au préalable que nous sommes convenablement nourris (par l’étude de la Torah), convenablement vêtus (en observant les commandements de Dieu), et bien concentrés sur notre objectif (transformer le monde en une demeure pour Dieu).19
29:11 Il pleura. Jacob pleura pour deux raisons. En premier lieu, il entrevit que, bien qu’il épouserait Rachel, ils ne seraient pas ensevelis ensemble. Ensuite, alors qu’Eliézer avait été en mesure de combler de cadeaux la famille de l’épouse qu’il était allé chercher pour Isaac lorsqu’il était arrivé à ‘Harane, Jacob, lui, arrivait les mains vides après avoir cédé à son neveu Eliphaz tout ce qu’il possédait.
29:28 Jacob s’exécuta. Comme son père et son grand-père avant lui, Jacob s’était lui-même engagé à observer tous les commandements de la Torah. Bien que la Torah stipule explicitement l’interdiction à un homme d’épouser deux sœurs,20 Jacob accepta néanmoins la proposition de Laban pour deux raisons : (a) l’observance volontaire de la Torah ne saurait prendre le pas sur l’obligation de tenir une promesse. Or, Jacob avait promis à Rachel de l’épouser et elle n’était certainement pas disposée à le délivrer de cet engagement, car cela signifierait qu’elle devrait très probablement épouser Ésaü ;21 (b) la Torah affirme explicitement que deux sœurs n’ont pas le droit d’épouser le même homme car la chose est source de jalousie entre elles, mais dans le cas présent, Rachel révéla d’elle-même les indications secrètes à Léa, montrant ainsi qu’elle ne nourrissait aucune jalousie envers elle du fait de son mariage avec Jacob.22
29:35 Elle conçut encore. Bien que Léa avait déjà été bénie en mettant au monde plusieurs enfants, elle considérait tout enfant à naître comme une bénédiction supplémentaire. L’histoire de Léa est l’un des nombreux épisodes de la Torah qui soulignent le bonheur et la bénédiction inhérents à la naissance de tout nouvel enfant.23
30:1 Rachel jalousa les bonnes actions de sa sœur. La jalousie mesquine et destructrice est issue de la peur que le succès d’autrui ne déprécie notre propre valeur. Rachel, en revanche, mit la fertilité de Léa au crédit de sa grande vertu, et devint jalouse des bonnes actions de sa sœur. Cette jalousie-là est constructive, car elle stimule en nous le désir de nous améliorer. La jalousie peut être un sentiment salutaire pour autant que nous apprenions à en faire l’usage adéquat.24
30:14 Ruben se garda d’en prendre car il ne lui appartenait pas. Ruben, qui n’était qu’un enfant de cinq ans à cette époque, possédait cependant la maturité morale d’un adulte. Cela atteste la valeur de l’éducation que les tribus reçurent dans la maison de leur père Jacob. Bien que tout le monde autour d’eux prenait librement du blé et de l’orge appartenant à d’autres, les enfants de Jacob savaient qu’ils devaient avoir une conduite différente. S’ils n’étaient que des enfants, n’ayant pas la capacité de comprendre parfaitement les préceptes de la Torah, ils savaient cependant se conformer à la conduite de leur père, qui était d’une honnêteté scrupuleuse dans toutes ses affaires.25
30:20 Sa principale [permanente] demeure. La tribu de Zeboulon était essentiellement composée de marchands, ainsi que Jacob le prophétisa par la suite dans ses bénédictions à son fils : « Zeboulon résidera sur le littoral des mers. »26 En lui donnant le nom de Zeboulon, Léa articula de façon prophétique l’idée que le foyer prépondérant et permanent de la conscience du divin telle qu’elle est incarnée par Jacob se trouve au sein de l’activité commerciale, dont Zeboulon deviendrait l’exemple.
Cependant, nous savons que Jacob « demeurait dans les tentes » de l’étude de la Torah.27 Comment une activité d’ordre spirituel comme l’étude de la Torah peut-elle trouver son « foyer permanent » sur le terrain profane de Zeboulon ?
La réponse est qu’il nous est possible de rendre la conscience du divin partie intégrante de ce monde de façon authentique et permanente à la condition toutefois de nous pénétrer de cette conscience en adoptant le mode de vie pragmatique de Zeboulon. Si nous demeurons distancés de la vie profane, la vigueur spirituelle et la résilience de notre âme n’est jamais mise à l’épreuve. En revanche, lorsque nous nous investissons intensément dans les affaires de ce monde et qu’en même temps nous allouons du temps pour l’étude de la Torah, la permanence inhérente à notre âme – son aptitude à s’affirmer même en dehors de son milieu naturel – se révèle, et nous pouvons alors forger un foyer permanent pour Dieu.
C’est la raison pour laquelle il est du lot de la majorité de notre peuple de mener une vie à l’image de Zeboulon, soit en étant investis dans le monde profane, soit dans l’activité communautaire. Car c’est précisément en nourrissant et en affermissant notre conscience du divin sur de tels terrains que se réalise le propos de la Création.28
30:24 Puisse l’Éternel m’ajouter un autre fils. Au plan spirituel, la prière de Rachel se fait l’écho de la vocation de Joseph tout au long de sa vie – de faire d’un « autre », c’est-à-dire de celui qui apparaît étranger – un « fils ». Cette vocation se manifeste de trois façons. En premier lieu, faire que le monde profane – qui apparaît étranger à Dieu – reconnaisse son origine divine. Ensuite, par le repentir personnel, au moyen duquel nous transformons les « autres », les étrangers que nos fautes ont fait de nous, en « fils » à nouveau apparentés à notre essence véritable. Enfin, en allant au-devant de ceux qui semblent devenus étrangers à Dieu et en leur révélant qu’ils sont Ses précieux enfants, pour qui vivre une existence conforme aux intentions de leur Père est la plus naturelle des choses.29
Il est significatif que le nom Joseph (qui signifie « ajouter ») ne s’applique pas à « l’autre » qui a été transformé, mais à la personne qui transforme cet « autre ». La raison est que transformer nos semblables nous vaut un regain de spiritualité et une proximité accrue avec Dieu.30
Nous ne devons pas nous considérer comme incompétents ou incapables de forger de telles transformations, car nous sommes véritablement épaulés lorsque nous y œuvrons. En effet, Rachel dit : « Puisse Dieu m’ajouter un autre fils » ; autrement dit nous ne sommes que les instruments de Dieu, et c’est Lui qui en réalité ramène au foyer avec amour Ses enfants distancés de Lui.31
30:27 C’est par égard pour toi que l’Éternel m’a béni. Dans la mesure où c’est au peuple juif qu’a été essentiellement confiée la responsabilité de faire de ce monde une demeure pour Dieu, tout aspect du monde qui contribue à aider un Juif à faire aboutir cette vocation atteint par là son but ultime. Ainsi, la présence du peuple juif dans un lieu – notamment celle de Juifs qui ont conscience de la mission qui est la leur – est source de bénédiction pour cet endroit.32
Durant notre exil, nous sommes dépendants, dans une certaine mesure, du bon vouloir des autres peuples. Cependant, nous devons toujours garder à l’esprit que, de façon réciproque, mobiliser des non-juifs à nous épauler dans cette mission leur permet d’accomplir également ce que Dieu attend d’eux, et leur vaut également la bénédiction.33
30:32 Je vais passer. Jacob dit à Laban : « Comme tu le sais, la majorité des chèvres sont noires, alors que les moins nombreuses portent des marques blanches. Ces marques blanches sont de quatre natures : pointillées, tachetées, striées et cerclées. Comme tu le sais également, la majorité des moutons sont blancs, tandis que les moins nombreux sont roux avec ou sans marques blanches.34 Je propose que pour rétribution tu me laisses prendre quelques-uns des chèvres et des agneaux qui naîtront à l’avenir – en particulier, les chèvres qui naîtront pointillées de blanc et tachetées de blanc et les agneaux qui naîtront roux. Je veux que tu te sentes satisfait de cet accord ; aussi, afin de (a) dissiper le moindre soupçon de ta part que je te dépossède d’une sorte de chèvre ou de brebis qui se trouve déjà dans le troupeau, et (b) minimiser la probabilité que les petits à naître du troupeau soient de la même sorte, écarte ces types de moutons et de chèvres peu ordinaires et confie-les à la garde de tes fils. »
30:35 Ce jour même. En éleveur expérimenté, Laban savait que les petits héritent souvent de la couleur et des marques de leurs parents. Ainsi, en écartant le groupe génétique que Jacob proposait de prendre pour lui, Laban entendait hériter de la majorité de la génération à venir du troupeau. Aussi, en toute logique, il n’avait aucune raison de refuser la requête de Jacob.35 Mais Laban savait également que Jacob pouvait produire des animaux colorés ou marqués différemment que leurs parents en faisant que les parents regardent d’autres animaux de différentes couleurs et marqués différemment pendant l’accouplement. C’était la raison, Laban le comprit bien, pour laquelle Jacob souhaitait garder pour lui certains des chevreaux et des moutons marqués de blanc. En homme averti, Laban tenta d’infléchir le cours des choses en sa faveur.
Et néanmoins, Laban ne retira pas les chèvres aux chevilles striées de blanc ou les boucs cerclés de blanc, car il pensait que Jacob ne le laisserait pas aller jusqu’à lui retirer toute possibilité de produire des bêtes marquées de blanc. De la même façon, il ne retira pas les chèvres et les boucs roux ou noirs, car leur absence aurait empêché Jacob de faire que ses moutons les regardent en s’accouplant et produisent des petits roux ou noirs ; à nouveau, il sentit que Jacob ne laisserait pas aller jusqu’à lui retirer toute possibilité de produire les petits qu’il souhaitait en rétribution.
En retirant ces types d’animaux supplémentaires, Laban inclut implicitement ces mêmes types parmi ceux qui appartiendraient à Jacob. Mais, comme on l’a dit, il croyait avoir sensiblement réduit la possibilité que des animaux de ce type viennent à naître.36
30:39 Qui furent tous. De façon miraculeuse, aucun des petits ne naquit avec la couleur ou les marques de leurs parents mais avec celles des rameaux. Dans certains cas, l’eau imprégna miraculeusement les femelles sans qu’elles se soient réellement accouplées avec les mâles. Jacob se servit également des rameaux pour produire des moutons noirs et roux marqués de blanc.
Jacob n’eut pas besoin d’user de procédés extraordinaires pour produire des moutons roux, puisque Laban avait laissé des boucs roux sous sa garde. Lorsque la saison d’accouplement des moutons arriva, il sépara simplement tous les boucs roux du reste du troupeau et les plaça en face des moutons. Les moutons regardèrent les boucs roux pendant leur accouplement et donnèrent naissance à des petits roux.
Après quelques périodes d’accouplement, Jacob avait produit une quantité suffisante d’animaux marqués de blanc pour réguler naturellement la production d’animaux sans avoir à recourir à l’usage des rameaux.37
30:42 Furent pour Jacob. Lorsque Laban remarqua l’augmentation particulièrement importante des types d’animaux qui avaient été initialement destinés à Jacob, il tenta de façon déloyale d’infléchir les chances en sa faveur en donnant unilatéralement un nouveau sens aux dispositions de l’accord, qui signifiaient cette fois que ces types d’animaux étaient destinés à lui-même. En réponse, Jacob adapta ses procédés de reproduction en conséquence, de sorte que la prochaine reproduction des animaux lui soit bénéfique. Laban continua à changer unilatéralement les modalités en sa faveur, mais Jacob parvenait toujours à réadapter ses procédés, de manière que les troupeaux continuèrent à se reproduire conformément à ses intérêts à lui.38
À un certain moment, Laban fit savoir à Jacob que les chèvres et les boucs qu’il recevrait en rétribution seraient tous ceux qui auraient les chevilles cerclées, seraient pointillés de blanc ou bien cerclés de blanc ; puis il alla déplacer les boucs portant ces marques du troupeau qui était sous la garde de Jacob à celui qui était sous la garde de ses fils. Afin d’épargner à Jacob la pénible tâche d’écorcer des rameaux pour lui donner un aspect cerclé, Dieu fit ramener par un ange les boucs de ces trois types du troupeau sous la garde des fils de Laban pour les replacer dans celui de Jacob, de façon à qu’ils mettent au monde des petits semblables à eux.39
30:43 Il acquit de prolifiques troupeaux. Jacob gagnait sa vie en s’occupant essentiellement du menu bétail, et fut essentiellement rétribué par du menu bétail. La raison était qu’au plan spirituel, le menu bétail caractérise la sorte de relation avec Dieu que nous devons cultiver durant notre « séjour avec Laban », autrement dit lorsque nous sommes investis dans le monde profane.
Notre relation de type berger-troupeau avec Dieu diffère de notre relation parent-enfant avec Lui.40 Dans la relation parent-enfant, nous nous considérons comme des entités autonomes, distinctes de Dieu, l’aimant comme un enfant aime un parent. Dans la relation berger-troupeau, nous n’avons pas conscience d’être des entités autonomes ; nous sommes tel un troupeau : humbles et effacés.
Avant de quitter la Terre sainte pour ‘Harane, Jacob manifesta davantage la relation parent-enfant avec Dieu. Il passait ses journées immergé dans l’étude de la Torah, une occupation qui requiert la conscience de notre existence afin de solliciter notre intellect pour comprendre ce que nous apprenons. Au cours de son séjour dans le monde spirituellement obscur de ‘Harane pour y accomplir sa mission, Jacob fit abstraction de son développement personnel pour devenir un « mouton » effacé.
Après avoir acquis d’abondants troupeaux, Jacob « fut en mesure de les vendre… et d’acquérir des servantes et des serviteurs pour l’aider à s’occuper de ses troupeaux, des chameaux et des ânes. » Au plan spirituel, cela signifie qu’il réalisa que le seul effacement ne lui permettrait pas d’accomplir sa mission ; il devrait mettre à contribution d’autres aspects de sa personnalité. Jacob savait que solliciter ces autres aspects (caractérisés par « servantes, serviteurs, chameaux et ânes »41 ) impliquerait d’agir avec la conscience et l’affirmation de soi, lesquelles pourraient porter préjudice à l’effacement qu’il cherchait à cultiver pour permettre à sa rencontre avec Laban d’aboutir favorablement. Aussi fit-il « l’acquisition » de ces aspects au moyen du « menu bétail », autrement dit sa disposition à solliciter ces aspects était fondée et pénétrée de son absence d’ego. C’est également la raison pour laquelle Jacob continua de conserver les troupeaux comme son principal atout, de sorte que ses actes soient toujours défaits de tout ego.42
Quelle que soit notre réussite dans l’accomplissement de notre vocation conférée par Dieu dans cet exil, nous ne devons jamais nous permettre de nous y sentir « chez nous ».
En constatant combien l’exil s’est prolongé, l’idée peut survenir en nous que notre aspiration n’a pas porté de fruits. La vérité est cependant que, plus nous prenons conscience de la signification de notre exil spirituel, plus intense se fait notre désir de revenir « à la maison », ce qui en retour hâte la rédemption.43
31:30 Tu as énormément langui la maison de ton père. Comme nous l’avons vu, le séjour de Jacob chez Laban préfigurait notre propre séjour en exil. Tout comme Jacob s’est trouvé loin de son véritable foyer et immergé dans un environnement hostile à la spiritualité, notre exil est fait à la fois d’une diaspora physique et – de façon encore plus significative – de l’obscurité spirituelle d’un monde qui ne connaît pas encore la rédemption. Et tout comme Jacob ne se sentit jamais chez lui dans son lieu d’exil et aspirait continuellement à retourner au foyer de son père, nous devons à son instar aspirer à retourner au « foyer » de notre Père.
31:43 Les filles sont mes filles, les enfants sont mes petits-enfants, le bétail est mon bétail. La doléance de Laban envers Jacob peut être comprise comme la querelle éternelle entre le « Laban » spirituel – les voix intérieures et extérieures qui tentent de contrecarrer notre progrès spirituel – et le « Jacob » spirituel – notre âme de nature divine. « Laban » nous dit : « Je consens à ce que tu mènes, toi, une existence en conformité avec la tradition juive. Après tout, tu appartiens à l’ancienne génération, et ce qui est démodé te convient bien. Mais je ne suis pas disposé à céder les enfants, la nouvelle génération : pourquoi doivent-ils grandir en se conformant à ces rites d’un autre temps ? Ces enfants ont vu le jour aux temps modernes et doivent être élevés dans un esprit de modernité et de progrès !
En outre, ton adhésion obstinée à l’observance religieuse ne se conçoit que dans le cadre de la synagogue, lorsque tu pries et que tu étudies la Torah. Mais lorsque tu “fais paître ton troupeau” et que tu te consacres à ton gagne-pain, tu dois le faire selon mes conceptions à moi. Tu dois laisser derrière toi les principes de conduite moraux et éthiques de la Torah et conduire tes affaires de façon “normale” et défaite de scrupules. Autrement, comment peux-tu espérer gagner ta vie ? »44
La réponse que nous devons faire à l’argumentation de Laban est évidente : bien que le monde matériel apparaisse comme l’apanage de Laban, il est en réalité pleinement partie du domaine de Dieu ; notre mission est de l’ennoblir et de le sanctifier en conduisant nos affaires conformément aux nobles espoirs que la Torah met en nous.45
31:52 Je ne passerai pas. En se séparant de son beau-père, Jacob exprima symboliquement ses conditions à la poursuite de leur relation en édifiant un monceau de pierres. Contrairement à une construction, un monceau est constitué de pierres distinctes, une façon de signifier que la séparation ne serait pas absolue.46 Au plan spirituel, cela signifie que Jacob n’érigeait pas une séparation infranchissable entre lui-même et le monde de Laban. Il continuerait à pénétrer dans le monde de Laban à des fins de « commerce », en domestiquant les étincelles de sainteté qui y résident, mais il le ferait en prenant ses distances des influences négatives de la philosophie de vie de Laban.
De façon analogue, le « monceau » conceptuel que nous devons ériger pour nous distinguer du monde profane doit demeurer semi-perméable. Même s’il nous faut traverser ce monceau pour conduire nos affaires en sanctifiant le monde matériel, nous devons en même temps demeurer distants de ses conceptions matérialistes.47
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