18:1 L’Éternel apparut à Abraham. Lorsque, tout jeune enfant, Rabbi Chalom Dovber de Loubavitch étudia ce verset pour la première fois, il arriva en larmes chez son grand-père, Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch (le Tséma’h Tsedek), et lui dit : « Si Dieu est apparu à Abraham, pourquoi ne m’apparaît-Il pas à moi aussi ? » En réponse à la question angoissée de son petit-fils, le Tséma’h Tsedek lui dit en substance qu’Abraham mérita que Dieu lui apparaisse, car, bien qu’il se fût alors déjà considérablement ennobli pour atteindre de très sublimes degrés de conscience du divin, il gardait en même temps à l’esprit que Dieu est infini, et qu’ainsi il y avait encore un nombre infini de degrés de conscience du divin à atteindre. Cette conscience fit qu’Abraham se sentit extrêmement déficient, comme s’il était encore perclus de nombreuses couches d’insensibilité à la conscience du divin dont il devait se défaire – c’est-à-dire qu’il devait « se circoncire » – afin de mettre son cœur à nu devant son Créateur.
Il y a beaucoup à apprendre et de la question passionnée de l’enfant et de la réponse que lui fit son grand-père. En premier lieu, nous apprenons qu’il nous faut désirer ardemment – même implorer – que Dieu nous révèle Sa présence. Ensuite, il nous est ici enseigné que nous aussi, nous pouvons mériter de voir la présence de Dieu si nous réalisons que peu importe combien nous avons accompli au plan spirituel, car nous demeurons toujours imparfaits : il nous faut encore nous « circoncire » pour retirer « l’excroissance de notre cœur » qui nous empêche d’atteindre de plus hauts niveaux de conscience du divin.1
Le troisième jour après sa circoncision. Puisque les commandements de la Torah sont censés affecter l’univers matériel tout entier, y compris la personne physique, ils doivent être accomplis d’une façon naturelle et non miraculeuse. C’est la raison pour laquelle Dieu attendit le troisième jour après la circoncision d’Abraham pour le visiter. La seule visite de Dieu aurait immédiatement guéri Abraham de sa blessure de façon miraculeuse. Aussi, s’Il avait visité Abraham ne serait-ce qu’un peu plus tôt, Il aurait, pour ainsi dire, « perturbé » le cours naturel du rétablissement que la circoncision requiert, et ainsi risqué de compromettre l’intégrité de l’accomplissement du commandement par Abraham. C’est seulement le troisième jour, lorsqu’une blessure commence de guérir naturellement par elle-même, que Dieu le visita et fit que la blessure guérit entièrement.2
18:2 Il leva les yeux et voici que trois hommes se tenaient debout. Au cours de sa conversation avec Dieu, Abraham était profondément absorbé dans la révélation divine. Même au cours de notre prière, lorsque c’est nous-mêmes qui avons initié la rencontre avec Dieu, nous avons le devoir de faire le vide dans notre esprit et d’en exclure toute pensée susceptible de le distraire.3 Le fait qu’Abraham remarqua les hommes malgré l’intensité de sa concentration atteste son extraordinaire sensibilité pour ses semblables.4
18:8 Il prit d’abord de la crème et du lait, et quand le veau qu’Ichmael avait préparé pour chaque hôte fut prêt, il le plaça devant eux. Si, comme nous l’avons vu, Abraham observait bien toutes les lois de la Torah avant même qu’elles ne soient données au mont Sinaï, comment a-t-il pu servir du lait et de la viande dans un même mets, ce qui constitue une transgression flagrante des lois alimentaires de la Torah ?5
Il y a deux réponses possibles à cette question : (a) Abraham servit la nourriture lactée en premier, car il est permis de consommer de la viande un court moment après avoir mangé de la nourriture lactée ; (b) Abraham proposa les deux sortes de nourritures séparément, permettant à ses hôtes de choisir l’une d’entre elles mais non les deux. Incarnant l’exemple même de l’hospitalité, Abraham présenta trois langues, une pour chaque invité, anticipant que les trois souhaiteraient prendre un repas de viande.6
18:16 Sodome. Durant les vingt-quatre années qui s’étaient écoulées depuis qu’il s’était fixé à Sodome,7 Loth n’était pas parvenu à amender ses habitants ou les habitants des villes voisines. En fait, ceux-ci avaient formalisé leurs perversions de la justice en leur donnant force de loi. Par exemple, ils avaient rendu illégal le fait de nourrir les pauvres et les affamés, au motif qu’il était injuste que ceux qui avaient travaillé dur pour gagner leur vie partagent leur nourriture avec ceux qui n’en avaient pas fait autant. Loth ne put pas même défaire son épouse sodomite de son inhospitalité chronique. Une fois, lorsqu’il lui demanda de donner un peu de sel à ses hôtes, il essuya d’elle une rebuffade, car elle tenait cela pour un usage détestable.8 Loth ne réussit pas à amender ses voisins parce que, malgré l’approbation de façade qu’il manifestait devant les nobles idéaux d’Abraham, au fond de lui il tolérait leur conduite, et même l’admirait.9 C’est pourquoi, même si lui-même ne prit pas part à leurs méfaits, Dieu l’en tint néanmoins coupable.10
18:18 Abraham deviendra assurément une grande et puissante nation. L’expression « grande et puissante » ne doit pas être comprise dans son sens littéral, car de fait la postérité d’Abraham, le peuple juif, ne devint jamais « grand » ni « puissant » en nombre ou en force. Ces mots signifient plutôt que chaque individu juif est spirituellement « grand et puissant », et est doté de toute la force nécessaire pour répandre et le message de la Torah et le bien dans le monde.11
18:19 Je l’ai distingué parce qu’il enseigne à ses enfants et à sa maison après lui. C’est en premier lieu le fait qu’Abraham enseigna et à sa famille et à ses disciples les voies du monothéisme et de l’éthique divine qui lui valut l’affection de Dieu. Le fait qu’Abraham enseigna à ses semblables et les inspira fut plus précieux à Dieu que tous ses autres accomplissements spirituels et que les épreuves qu’il affronta avec succès.12
À observer la voie de L’Éternel en accomplissant la justice [tsédaka] et le droit. À un niveau plus profond : « observer la voie de l’Éternel » signifie faire en sorte que Dieu recrée en permanence le monde et le maintienne à travers Son attribut de miséricorde. Lorsque Dieu véhicule Son énergie créatrice – qui maintient le monde – à travers Son attribut de miséricorde, le monde s’en trouve gratifié d’une abondance de spiritualité et de matérialité bienfaisantes. Nous motivons ainsi Dieu à faire agir Sa miséricorde lorsque nous éveillons et mettons en œuvre notre bienveillance envers nos semblables en dispensant la charité (tsédaka) aux nécessiteux.
Cependant, il n’est pas suffisant d’éveiller le seul attribut de miséricorde de Dieu ; nous devons également éveiller Son attribut de justice, car sans lui, la miséricorde de Dieu s’appliquerait sans distinction et maintiendrait également les forces pernicieuses. Nous éveillons l’attribut de justice de Dieu en sondant les ressources dont Dieu nous a généreusement dotés, et en déterminant judicieusement quelle part d’elles nous est réellement nécessaire pour notre propre subsistance et quelle part est superflue, pour donner ensuite l’excédent à la charité plutôt que l’investir dans ce qui tient du luxe.13 Plus encore, lorsque Dieu nous gratifie de bontés supplémentaires, nous devons nous habituer à ressentir que nous n’avons pas le droit d’en faire usage pour nous-mêmes alors que d’autres sont beaucoup moins favorisés que nous. L’habitude d’une telle introspection nous inspirera à donner avec davantage de générosité.14
Telle est précisément la façon dont Abraham dispensait la charité, à la fois par la justice et par le droit.15
18:23 Il « s’avança ». Comme nous l’avons vu, Abraham incarnait l’attribut de bienveillance. Aussi, il semble peu conforme à sa nature fondamentale d’argumenter de pied ferme avec qui que ce soit, et d’autant moins avec Dieu. Plus encore, Abraham entreprit d’emblée d’argumenter avec véhémence, alors qu’il aurait été plus logique et plus conforme à sa nature d’en passer au préalable par la prière et l’apaisement, et de ne recourir à l’affrontement qu’au cas où les deux précédentes méthodes auraient échoué.
La solution de la première incohérence est celle-ci : bien qu’Abraham possédait sans aucun doute une disposition bienveillante innée, il la mettait à contribution exclusivement pour accomplir la volonté de Dieu. Sa bonté était ainsi soumise à son jugement rationnel, et il ne s’abstenait pas d’agir avec fermeté lorsque les circonstances l’exigeaient. Cela nous conduit à la solution de la seconde incohérence : quand Abraham vit que les anges étaient déjà en chemin vers Sodome pour annihiler les villes, il comprit que sa première option était d’exiger de Dieu d’annuler le décret – afin (paradoxalement) d’accomplir la volonté de Dieu de traiter Ses créatures avec bienveillance.16
18:32 Ne purent être trouvés. Abraham ne demanda pas à Dieu de sauver la ville par égard pour huit justes car il savait que Noé, ses fils et leurs épouses constituaient huit justes et que tous leurs mérites n’avaient pourtant pas suffi à sauver leur génération. Aussi, Abraham cessa de plaider pour eux.
19:25 Tôt le matin. Les habitants de Sodome et Gomorrhe agissaient de façon perverse envers leurs semblables et envers Dieu, alors que les habitants d’Adma et Tsevoyim n’agissaient de façon perverse qu’envers Dieu, et non envers leurs semblables.17 Comme l’attitude asociale compromet la finalité tout entière de la Création, Sodome et Gomorrhe furent réduites en cendres après avoir été détruites, tandis qu’Adma et Tsevoyim furent seulement détruites.18
Dieu détruisit. La perversion de Sodome et des villes voisines procédait d’une réaction profondément fourvoyée au Déluge de Noé. La génération du Déluge avait été anéantie essentiellement pour avoir pratiqué et cautionné la rapine – à savoir, la spoliation violente et injuste par les uns de la propriété des autres. Conscients de la chose, les habitants de Sodome décrétèrent le caractère inaliénable de toute propriété et proscrivirent la charité et l’hospitalité en tant qu’usages abusifs de la propriété d’autrui.
Dans leur zèle, les gens de Sodome perdirent de vue que cet extrême opposé était tout aussi préjudiciable à la société que la caution de la rapine. Aussi, puisque le monde ne peut atteindre à sa finalité d’être l’authentique demeure de Dieu si nous, les humains, ne pouvons vivre ensemble en bonne intelligence, Sodome et ses villes voisines devaient être éliminées tout comme la génération du Déluge. Néanmoins, du fait que leurs intentions, aussi tortueuses qu’elles fussent, émanaient d’un désir de bien faire, il est dit que ces villes seront restaurées à l’ère messianique.19
Cela nous enseigne que notre but est d’atteindre le bon équilibre plutôt que de vivre une existence faite d’attitudes extrêmes.20
20:11 Il n’y a tout simplement pas de crainte de Dieu dans cet endroit, et ils me tueront à cause de mon épouse. Par cette affirmation, Abraham exprima les deux principes qui sous-tendaient l’œuvre de sa vie : en premier lieu, que faire de ce monde une demeure pour Dieu implique avant tout de promouvoir la vertu et l’exercice de la justice ; ensuite, qu’une société juste et vertueuse n’est envisageable que si elle repose sur la croyance en Dieu en tant que créateur et maître du monde.
Aussi la croyance en Dieu doit-elle constituer l’armature de l’éducation de nos enfants. C’est seulement lorsque nos enfants ont conscience que Dieu a créé le monde et désire que l’on fasse de lui Sa résidence, à travers une conduite juste et vertueuse, que nous pouvons être assurés qu’ils se conduiront dans ce sens.
Dieu nous a dotés de deux forces qui régissent notre conduite : un bon penchant et un mauvais penchant. Si la société ne cherche à dissuader toute mauvaise conduite de notre part qu’en menaçant de nous punir, notre mauvais penchant répondra : « Tu es assez habile pour dissimuler ta mauvaise conduite et échapper à la punition, et quand bien même tu serais pris sur le fait, le plaisir d’avoir donné cours à tes appétits vaut largement la peine que tu encoures. »
Ainsi, la seule façon de nous assurer que le mauvais penchant ne l’emporte pas sur le bon consiste à nous pénétrer de la conscience que c’est Dieu qui nous a créés, de même qu’Il a créé nos pulsions et nos épreuves, et qu’Il nous a ordonné de résister aux manœuvres de notre mauvais penchant et de nous conduire conformément à Ses injonctions. Si nous gardons cela à l’esprit, nous réaliserons que, pour habiles que nous soyons, nous ne pouvons pas dissimuler nos actes à Dieu. Ce n’est que lorsque « la crainte de Dieu est présente dans cet endroit » que personne « ne me tuera à cause de mon épouse. »21
21:2 Un fils. Il se trouvait des railleurs qui ne croyaient pas que l’enfant était d’Abraham et de Sarah. Certains affirmaient qu’Abraham et Sarah avaient adopté un enfant et prétendaient qu’il était issu d’eux. D’autres considéraient que c’était Avimèle’h qui en était le père, en faisant remarquer que, bien qu’Abraham et Sarah étaient mariés depuis des années, Sarah n’avait conçu et donné naissance qu’après avoir été capturée par Avimèle’h. Pour faire taire ces monstrueuses allégations, Dieu donna trois preuves que le bébé était bien le leur. La première fut le fait qu’il naquit à la date exacte prédite par Dieu ; la seconde, que Dieu procura à Sarah une abondance de lait pour attester qu’elle avait bien donné naissance, ainsi qu’il va être relaté ici ; et la troisième fut que le bébé possédait exactement les traits d’Abraham.22
Les pensées et les sentiments que nous nourrissons à tout moment se reflètent sur notre visage.23 Avec les années, notre approche de la vie et notre mode de pensée marquent nos traits. Et même depuis la naissance, notre visage reflète notre personnalité innée. C’est ainsi qu’en hébreu le mot « visage » (panim) signifie également « intérieur » ou « dimension intérieure ».
Cette corrélation entre l’âme et le visage se vérifia tout particulièrement chez les patriarches, dans la mesure où il n’existait pas chez eux de dichotomie entre vie intérieure et vie extérieure : ils se présentaient sous leur vrai jour sans le moindre artifice. Aussi, leur personne physique reflétait-elle leur essence intérieure. Par conséquent, dans la mesure où Abraham était habité d’une immense bonté (‘hessed) et qu’Isaac n’était que pure sévérité (guevoura), il était naturel qu’Isaac ne possédât pas les traits d’Abraham – même s’il est naturel que les enfants ressemblent à leurs parents.24 Isaac ne dut alors de posséder les traits d’Abraham qu’à un miracle accompli par Dieu.
Et cependant, ce miracle lui aussi mit en évidence une réalité profonde, car, bien que la bonté et la sévérité soient de fait à l’opposé l’une de l’autre, à un niveau plus pénétrant elles sont complémentaires. Une bonté sans limites peut se révéler contre-productive ; aussi, le fait de tempérer la bonté par la sévérité constitue en lui-même un acte de bonté. Le fait qu’Isaac ressemblait à Abraham exprimait le fait que la sévérité dont il faisait preuve était issue de la bonté de son père, et que cette même sévérité lui permettait d’épanouir la bonté de son père de la façon la plus efficiente.
Pour bien montrer qu’Abraham était vraiment le père d’Isaac, Dieu choisit de faire qu’Isaac ressemble à Abraham, alors qu’Il eût tout aussi bien pu donner à Abraham les traits de son fils appelé à naître. L’enseignement pour nous est ici que, lorsque nous avons le choix d’accomplir un acte soit à travers la bienveillance, soit à travers la sévérité, il nous faut privilégier la voie de la bienveillance. Une telle attitude a bien plus de chances d’aboutir. Et si elle n’aboutit pas, nous aurons au moins accompli le devoir d’aimer notre prochain.25
21:12 Son don de prophétie est supérieur au tien. Plus un prophète est au diapason des affaires de ce monde, plus haut est le degré de prophétie qui l’investit. Du fait qu’Abraham était quelque peu détaché des choses de ce monde, il ne pouvait percevoir tout le mal qui habitait Ichmael. Sarah, en revanche, était davantage impliquée dans les enjeux terrestres ; aussi perçut-elle immédiatement le mal qui habitait Ichmael. Sa perception prophétique était ainsi supérieure à celle d’Abraham.26
21:33 Il fit également proclamer à d’autres. Après avoir mangé un bon repas offert gracieusement à l’auberge d’Abraham, ses hôtes se levaient pour le remercier et le bénir. Abraham répondait alors : « Est-ce de ma nourriture à moi que vous avez mangé ? Vous avez mangé de ce qui appartient au Maître du monde. C’est à celui dont la parole a fait exister le monde que vous devez gratitude et louanges ! ». Si quelqu’un refusait de louer Dieu, Abraham répondait : « Si vous soutenez que c’est ma nourriture que vous avez mangée, alors vous me devez le plein tarif du repas. » Ce prix n’était pas bon marché, car il leur avait servi des mets délicats qu’il n’était pas facile de trouver au milieu du désert. Dans la plupart des cas, les hôtes cédaient et louaient Dieu.
Il ouvrit une auberge… planta un verger. L’auberge d’Abraham fut la première institution dédiée à la diffusion de la foi dans le monothéisme et de la conduite éthique qu’elle implique. Bien que des institutions consacrées à l’enseignement de la sagesse divine et de ses valeurs avaient vu le jour auparavant (telles que l’académie de Chem et Ever), elles ne s’étaient pas activement consacrées à changer les croyances qui prévalaient au sein de la société. En établissant de façon manifeste une institution publique qui défiait les principes communément admis dans le monde, Abraham promut la conscience du monothéisme même jusqu’au sein de populations qui ne lui rendirent jamais visite. À mesure que sa renommée se répandit, l’auberge d’Abraham devint peu à peu une innovation sociétale majeure qui exerça une large et profonde influence.27
Si vous soutenez que c’est de ma nourriture à moi que vous avez mangé, alors vous me devez le plein tarif du repas. L’exigence d’Abraham paraît peu fructueuse : quelle peut être la valeur d’une action de grâce si elle est exprimée dans le seul but de s’éviter de payer la nourriture ?
Abraham commençait par entretenir ses hôtes de Dieu à travers des explications et des paraboles, mais certains d’entre eux demeuraient insensibles à ses mots. Avec ces personnes, Abraham recourait à une approche plus incisive, destinée à briser le mur de leur résistance spirituelle. Tous les êtres croient en Dieu à quelque degré ; cependant, certains d’entre eux ont besoin d’une incitation énergique pour prendre conscience de leur connaissance latente de Dieu.28
La Torah nous enjoint de prendre exemple d’Abraham et de nous efforcer de promouvoir le judaïsme, même si la chose peut parfois requérir une forme de contrainte. Par exemple, certains pourraient objecter : « Quel intérêt y a-t-il à aborder un Juif pour lui suggérer de mettre les tefilines s’il se peut qu’il accepte parce qu’il se sent contraint de le faire ? L’observance d’un commandement selon une telle modalité revêt-elle quelque valeur ? »
La façon dont agit Abraham atteste l’inanité d’un tel argument. L’observance d’un commandement divin, même si elle est effectuée par contrainte, constitue elle-même un grand accomplissement, et peut éveiller chez l’individu le désir latent d’accomplir ce commandement. Dans la mesure où « une bonne action en entraîne une autre »,29 cette personne est parfaitement susceptible de finir par observer tous les commandements, avec enthousiasme et de son propre gré.30
Il planta un verger. Il existe un lien direct entre le fait qu’Abraham planta un verger et l’épisode qui va suivre, lors duquel Isaac fut ligoté.
L’histoire a montré que l’oppression et l’adversité résultent en une élévation morale qui éveille un sentiment d’identité encore plus fort chez les opprimés, alors que la liberté et la tolérance tendent à estomper cette conscience. La chose a été sans aucun doute attestée pour ce qui est du peuple juif. À travers l’Histoire, lorsqu’il nous fut permis de pratiquer notre religion librement et ouvertement, notre dévouement à notre foi et notre esprit de sacrifice s’en sont ressentis.31 Or, Abraham et Isaac n’hésitèrent pas à répondre à la demande de Dieu d’accomplir le sacrifice – un acte qui requérait un sacrifice de la part de chacun d’eux – en dépit du fait qu’ils avaient joui auparavant d’un séjour libre et sans contrainte dans le pays des Philistins pendant de nombreuses années.
Abraham et Isaac possédaient assez de force d’âme pour être à la hauteur du sacrifice ultime, car ils s’étaient habitués à cultiver le désintéressement en fournissant quotidiennement la nourriture, le gîte et l’opulence à des personnes qui leur étaient complètement étrangères, dans un esprit qui transcendait toute logique et toute raison.
Nous, qui avons la chance de vivre dans une société tolérante, devons à leur instar veiller à ce que nos enfants grandissent en étant pénétrés d’un dévouement désintéressé envers le judaïsme. C’est ainsi qu’ils seront en mesure, s’ils y sont appelés, de transcender le souci de leur propre confort pour la cause plus impérieuse du judaïsme et du peuple juif.32
22:1 Ces paroles. Bien qu’Abraham dépensait constamment son temps et son argent à préparer des repas pour ses hôtes afin de les conduire à reconnaître l’existence de Dieu et leur obligation de le servir, il n’avait plus offert de véritable sacrifice à Dieu depuis qu’il s’était fixé à Hébron durant la première année de son établissement dans le Pays d’Israël. Satan, l’ange accusateur du tribunal céleste, dénonça alors devant Dieu l’apparent manque de piété d’Abraham.33 Dieu répondit : « Tout ce qu’Abraham accomplit n’est destiné qu’à répandre la conscience du divin dans le monde, et son enjeu le plus critique dans ce domaine est de transmettre cette vocation à son fils. Et cependant, son dévouement est si parfait que, si Je lui demandais de me sacrifier son fils, il ne refuserait pas de le faire. »
Entre-temps, Ichmael s’était quelque peu repenti de ses turpitudes34 et était revenu à Hébron pour demeurer auprès de son père, Abraham.35 Néanmoins, il ne démordit pas de sa prétention d’être le plus digne de succéder à son père. Il se prévalut devant Isaac d’avoir spontanément accepté de souffrir d’être circoncis à l’âge de treize ans, ce à quoi son frère répliqua : « Tu te prévaux d’avoir spontanément accepté de souffrir pour Dieu à travers un seul membre de ton corps ! Si Dieu m’ordonnait de lui offrir mon corps tout entier je ne refuserais pas ! »
Le résultat de ces échanges fut que Dieu décida d’éprouver Abraham exactement de cette façon.
Dieu éprouva. Dieu nous éprouve afin de révéler les ressources que recèle notre âme. De fait, l’enjeu de la vie – la descente même de l’âme au sein de ce monde – consiste en une telle épreuve. Avant de descendre dans ce monde, l’âme était liée à Dieu selon des modalités rationnelles, sans avoir jamais éprouvé pour Lui un amour qui transcende la raison. Mais dès lors que l’âme a investi une personne physique, qui par nature est antagonique à la spiritualité, elle doit solliciter sa ressource la plus profonde pour demeurer fidèle à Dieu en dépit des épreuves et des aléas quotidiens de la vie. À travers cette force nouvellement puisée, l’âme parvient à appréhender et à apprécier Dieu d’une façon plus profonde et plus intime qu’elle n’aurait jamais pu le faire avant de descendre dans ce monde.36
Abraham. Pour quelle raison cette épreuve est-elle associée à Abraham et non à Isaac, lequel non seulement consentit à être ligoté, mais fut encore celui qui accepta de renoncer à sa vie ?
En premier lieu, que nous en soyons conscients ou non, nos enfants sont au cœur de nos rêves et de nos espoirs les plus profonds. Le fait que leurs enfants les surpassent et héritent d’un monde meilleur que le leur constitue l’espoir et l’ambition naturels de tous les parents. C’est pourquoi faire don de sa propre vie est en réalité une épreuve moins douloureuse que celle de faire don de celle de son propre enfant.37
En outre, l’aspect le plus critique de cette épreuve n’était pas le sacrifice de soi qu’elle impliquait, mais le défi qu’elle constituait à la foi absolue d’Abraham en Dieu. Dieu avait promis à Abraham que son fils Isaac serait celui qui perpétuerait son héritage, et à présent Il lui ordonnait de sacrifier ce même fils, démentant en apparence Sa propre parole. Et pourtant, Abraham obéit à l’ordre de Dieu sans questionnement. Dieu n’avait, en revanche, rien promis à Isaac ; aussi, de façon paradoxale, sa foi à lui ne fut pas éprouvée lors de cet épisode.38
22:2 Le pays de Moriah. Dieu n’indiqua pas immédiatement à Abraham sur quelle montagne effectuer le sacrifice de façon qu’il puisse mériter d’être rétribué pour son absolue confiance en Dieu, tout comme cela avait été le cas lorsqu’Il lui avait initialement ordonné de se rendre dans le Pays d’Israël.39
22:4 Il apercevait de loin l’endroit. D’après le Midrach,40 lorsque Satan réalisa qu’il ne pouvait convaincre ni Abraham ni Isaac de désobéir à l’ordre de Dieu, il leur donna d’abord le mirage d’un torrent ; puis, de gros rochers, et après, d’épines entravant leur chemin. Ainsi, bien que la destination fût visible à Abraham par le fait qu’un nuage planait au-dessus de la montagne, elle lui semblait néanmoins distante et impossible à atteindre du fait des obstacles qui se dressaient sur son chemin.
Il en va de même dans notre vie : parfois nous faisons face à des défis apparemment insurmontables. Et bien que nous apercevions notre destination ou notre but « de loin », nous nous convainquons que nos conditions particulières nous empêchent d’atteindre notre but. Abraham nous enseigne que même les obstacles apparemment insurmontables peuvent être franchis, et plus encore, que la persévérance nous permet d’atteindre notre but.41
22:13 Abraham s’en fut prendre le bélier. Avant chaque acte qu’il effectua sur le bélier – l’égorger, le dépecer, le brûler – Abraham pria : « Puisse être la volonté de Dieu de considérer cet acte comme s’il était accompli sur mon fils. » Cela conféra à Isaac le statut quasi rituellement légal d’un holocauste,42 les implications de ce statut sur sa vie étant appelées à se clarifier par la suite.43
22:20 Après ces paroles. La juxtaposition de l’épisode où Isaac fut ligoté et de celui de la naissance de sa future épouse, Rébecca, montre que le sens du sacrifice est partie intégrante d’un mariage sain. Le mariage implique de nous consacrer aux tâches impérieuses qui permettent de subvenir aux besoins de notre famille, et d’avoir affaire au monde matériel et aux problèmes qui constituent son lot quotidien. Nous ne sommes plus libres de nous consacrer aussi intensément à notre propre épanouissement spirituel. Bien que le mariage et l’édification d’une famille fassent sans aucun doute partie de notre mission divine de faire du monde une demeure pour Dieu, nous sommes contraints de sacrifier un peu de l’intensité de notre quête d’épanouissement spirituel. Le mariage est, ainsi, une forme de sacrifice personnel.44
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