Dans la paracha de cette semaine, nous lisons la relation de l’apparition de D.ieu à Abraham après la circoncision de ce dernier. Mais en quoi celle-ci fut-elle un acte si considérable qu’elle méritât une telle récompense ? C’est la question à laquelle le Rabbi répond dans ce discours qui explique en profondeur la relation spéciale existant entre le Juif et D.ieu, que permet d’atteindre l’accomplissement de ce commandement.

1. L’histoire du cinquième Rabbi de Loubavitch

Le Rabbi précédent de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak, conta1 l’histoire de ce qui advint à son père, Rabbi Chalom DovBer2 alors qu’il était âgé de quatre à cinq ans. Le Chabbat pendant lequel on lisait la paracha Vayéra était le Chabbat le plus proche de l’anniversaire de la naissance de Rabbi Chalom DovBer.3 Pour marquer ce jour spécial, il fut emmené par sa mère faire une visite à son grand-père, le Tséma’h Tsédek (le troisième Rabbi de Loubavitch), afin qu’il le bénisse. Mais voilà qu’aussitôt entré dans la pièce, le petit garçon fondit en larmes. Son grand-père lui demanda la cause de son chagrin et il répondit qu’il avait appris au ‘heder (l’école) que D.ieu s’était révélé à Abraham et il pleurait parce que D.ieu ne se révélait pas aussi à lui.

Et le grand-père d’expliquer : « Quand un Juif âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans décide qu’il doit se circoncire, alors il mérite que D.ieu Se révèle à lui. »

Il existe toutefois une autre version de cette histoire (Rabbi Chalom DovBer, alors petit garçon, ne se souvenait pas de l’incident, et ne connaissait l’histoire – en deux versions – que par des ‘hassidim qui étaient présents), selon laquelle la réponse du grand-père fut : « Quand un Juif Tsadik, âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans décide qu’il doit se circoncire, alors il mérite que D.ieu Se révèle à lui. »

2. Le sens de la circoncision

Quel était le sens de cet acte d’Abraham ? Même quand un Juif a quatre-vingt-dix-neuf ans, et pas simplement en années de calendrier, mais en années de service ininterrompu (car quand la Torah décrit Abraham comme étant « avancé en âge », le Zohar4 explique que cela signifie que chaque jour était complet dans son service), il est quand même tenu de se circoncire, entendant spirituellement par-là retirer le « prépuce » du monde, cette couche superficielle de plaisirs égoïstes qui masque sa vraie nature en tant que création divine. Car il est écrit dans les Pirkei Avot5 : « Quand un homme a cent ans, c’est comme s’il était déjà mort et retiré du monde. » En d’autres termes, arrivé à ce stade, en âge ou en esprit, quand le monde ne masque plus le Divin, un homme a accompli le sens profond de la circoncision. Mais avant cela, même s’il ne manque qu’une seule année ou un seul degré de sainteté, la tâche demeure inaccomplie.

3. La circoncision et la perfection d’Abraham

Il y a une relation particulière entre Abraham et la circoncision. Car il est dit6 que six commandements furent donnés à Adam ; un septième fut donné à Noé… et, outre ceux-ci, un nouveau commandement fut donné à Abraham : celui de la circoncision. Dans la mesure où c’est à Abraham que ce commandement fut donné en premier, il devait avoir un lien particulier avec lui, ce qui enseigne que sa circoncision n’a pas seulement ajouté quelque chose à quatre-vingt-dix-neuf ans de service complet, mais qu’avant celle-ci sa vie manquait de son élément central. Cela est renforcé par le fait que, en référence au commandement de la circoncision, D.ieu dit à Abraham : « Sois parfait », impliquant que jusque-là, Abraham souffrait d’une carence, et que son service était incomplet.7

4. Les œuvres des pères

La circoncision d’Abraham porte un sens encore plus profond. D’un côté, il est notoire que les commandements que nous accomplissons (suite au Don de la Torah) sont bien plus élevés que ceux accomplis par nos Patriarches avant que la Torah ne fut donnée, au point où le Midrash8 peut dire : « Tous les commandements que les Patriarches ont observés devant Toi sont comme l’arôme (de la bonne huile), tandis que les nôtres sont comme “de l’huile qui se déverse”. » Comparés aux nôtres, les actes de nos Pères sont comme un parfum comparé à sa source, comme une émanation comparée à son essence.

Il en est ainsi parce que nos Pères accomplirent ces actes de par leurs propres forces et de par leur propre inclination (comme lorsqu’Abraham prit l’initiative de la prière du matin et qu’Isaac prit celle de la dîme), et non pour répondre à un commandement divin. Alors qu’après le Don de la Torah, quand nous observons l’un des commandements, nous sommes reliés à Celui qui l’a prescrit, c’est-à-dire à l’Essence de D.ieu, car Il donna la Torah avec ces mots d’ouverture : « Je [dans Mon Essence] suis l’Éternel, ton D.ieu. » Cette relation transforme le monde de façon permanente, l’investissant d’une sainteté intemporelle. Mais la vertu spontanée de nos Pères ne répondait pas à un commandement, et ne les reliait donc pas à l’Essence de D.ieu. C’est pourquoi la sainteté de leurs actions n’était que temporaire dans ses effets sur le monde.

Nous avons cependant la maxime : « Les œuvres des Pères sont un signe pour les enfants », qui signifie que les ressources spirituelles qui nous rendent aptes à observer les commandements sont un héritage issu de la vertu de nos Pères avant que la Torah fut donnée. Comment cela fut-il transmis si, comme il paraît, il n’y a aucun lien entre les commandements d’avant et ceux d’après le Sinaï ? Un commandement, toutefois, possède ce lien, celui de la circoncision ; car elle seule fut commandée par D.ieu à Abraham (encore qu’elle ne fût pas précédée par la révélation de Son Essence : « Je suis l’Éternel, ton D.ieu »), c’est pourquoi son effet sur le monde persista à travers le temps. C’est là le lien qui rattache tous les actes de nos Pères à la capacité ultérieure des Enfants d’Israël à accomplir la volonté de D.ieu : la circoncision d’Abraham, dont le mérite se perpétue.

5. Perfectionner le passé

Nous pouvons maintenant comprendre que la décision d’Abraham de se circoncire après quatre-vingt-dix-neuf ans de service n’avait pas simplement pour but d’ajouter quelque chose qui aurait rendu complète sa vie ultérieure, mais plutôt de remédier rétroactivement à son défaut antérieur.

Cela s’applique à tous ceux qui n’ont pas encore atteint le stade des « cent ans » : il ne s’agit pas pour eux d’améliorer leur service, mais d’amener leurs déficiences antérieures à leur perfection.

6. Les deux versions de l’histoire

Nous pouvons maintenant comprendre le sens des deux versions de la réponse du Tséma’h Tsédek à Rabbi Chalom DovBer.

La seconde version nous enseigne qu’il est du devoir même du juste (Tsadik) de se soumettre à (l’équivalent spirituel de) la circoncision. Combien plus, dès lors, est-ce le devoir du Juif ordinaire.

Mais comment la première version peut-elle tenir ? N’est-elle pas incluse dans la seconde par un raisonnement a fortiori ? Et aussi : Abraham était un Juif juste même avant sa circoncision (il lui manquait seulement cela pour atteindre la perfection). Comment alors peut-il être appelé « un Juif ordinaire » ?

La réponse est la suivante : l’acte de circoncision d’Abraham était une réponse au commandement divin et avait un rapport avec les aspects les plus profonds de la Divinité. Ce qui eut pour conséquence l’appel des forces les plus profondes de l’âme, au niveau desquelles il n’y a aucune distinction n’existe entre le Juste et le Juif ordinaire, et où les caractères distinctifs des hommes sont effacés.

C’est-à-dire que la seconde version adopte le point de vue superficiel auquel le Juste se distingue des autres (et souligne donc le devoir du juste) ; la première version suit le point de vue plus profond où toutes les âmes juives sont égales dans leur source.

7. Une relation au-delà du temps

L’idée du mérite de la circoncision d’Abraham est sous-tendue par celle de la valeur éternelle de chaque acte relatif au service divin qui unit Celui qui commande, celui qui est commandé et le commandement même par un lien qui transcende le temps.9 Mais, bien que ce lien existe même pour le non-juste (car « même les pécheurs d’Israël sont pleins de Mitsvot »10), l’action d’Abraham nous rappelle que même le Juste doit constamment le renouveler en « retirant le prépuce du monde », ce qui lui vaudra la récompense accordée à Abraham : la conscience prophétique de D.ieu.

(Source : Likoutei Si’hot, vol. 5 p. 86-91)