Reb Binyamin Kletzker comptait parmi les disciples de l’Admour Hazakène. Il était à la fois un marchand de bois prospère en Russie et un mystique connu pour ses longues méditations.

Un jour, après avoir dressé son bilan annuel qui affichait un bénéfice considérable, il écrivit en hébreu : « Eïn od milvado », « Il n’y a rien en dehors de Lui ».

Un associé le réprimanda, considérant qu’il n’était pas approprié de faire étalage de sa spiritualité avec de telles déclarations.

Reb Binyamin expliqua qu’il n’essayait pas de se mettre en avant, cela correspondait simplement à ce qu’il ressentait à ce moment-là. Répondant au regard stupéfait de son associé, il poursuivit : « Si nous pensons parfois à nos affaires pendant la prière, il nous arrive aussi de penser à la prière pendant nos affaires ».

La conscience qu’« Il n’y a rien d’autre en dehors de Lui », que nous vivons dans le monde de D.ieu, est un concept juif fondamental. Ce n’est pas qu’un principe abstrait : il peut servir de guide pour notre conduite au quotidien.

Parachat Vayéra

La lecture de la Torah de cette semaine relate qu’Abraham établit une auberge pour les voyageurs, et là, il « invoqua le nom du D.ieu éternel ». Nos Sages interprètent cette phrase en expliquant que l’intention n’était pas qu’Abraham seul invoque D.ieu, mais qu’il amenait aussi les autres à proclamer la Divinité.

Comment procédait-il ? Il avait installé sa tente à un carrefour dans le désert et fournissait généreusement nourriture et boisson aux voyageurs. Après qu’ils eurent terminé leur repas, il leur demandait de « bénir Celui qui vous a fourni nourriture et boisson ».

Lorsque les convives commençaient à le bénir lui, Abraham leur disait : « Est-ce moi qui vous ai fourni la nourriture ? Bénissez Celui qui a parlé et a créé le monde ». En pourvoyant aux besoins matériels des gens, il leur faisait prendre conscience de la réalité spirituelle.

Le terme hébreu traduit par « le D.ieu éternel », « El Olam », a aussi retenu l’attention des commentateurs. « El HaOlam » signifierait « D.ieu du monde », c’est-à-dire qu’il y a D.ieu et il y a le monde, et même le monde reconnaît que D.ieu est Tout-Puissant et qu’Il dirige tout.

Mais « El Olam » représente une perception différente et plus profonde. Il n’y a pas de différence entre D.ieu et le monde ; tout est une expression de la Divinité. C’est le sens de la phrase « D.ieu est Un » que nous récitons dans la prière du Chéma : non seulement il n’y a qu’un seul D.ieu, mais tout dans le monde ne fait qu’un avec Lui.

Ce n’est pas seulement un concept abstrait. Cela influence fondamentalement l’approche qu’une personne a de la vie. Quand elle voit D.ieu comme « D.ieu du monde », elle comprend qu’elle a des obligations envers Lui. Après tout, si D.ieu est le Maître du monde, une personne doit s’acquitter de son dû.

Mais – pense-t-elle – c’est là tout ce à quoi elle est tenue. Dans le reste de ses affaires, sa vie lui appartient. C’est comme payer des impôts : vous devez donner au gouvernement un pourcentage de vos revenus, mais ensuite, vous disposez du reste de votre argent à votre guise. De même, dans un sens spirituel, une telle personne reconnaît qu’elle doit quelque chose à D.ieu, mais sa vie lui appartient essentiellement et elle peut en disposer comme elle l’entend.

En revanche, quand nous réalisons que le monde ne fait qu’un avec D.ieu, toute notre relation avec Lui change. La religion n’est pas simplement aller à la synagogue ou observer un certain nombre de lois, mais une expérience globale, qui affecte chaque élément de nos vies.

Chaque situation dans laquelle nous nous trouvons, chaque personne que nous rencontrons nous donne l’opportunité de progresser dans notre connaissance de D.ieu et notre lien avec Lui.

C’est l’héritage qu’Abraham a légué à ses descendants : faire prendre conscience que nous vivons dans Son monde, que nos vies ne sont pas destinées simplement à nous procurer un peu de plaisir et de satisfaction, mais constituent plutôt des moyens de révéler Sa présence aux autres.

Vers l’horizon

Ces concepts portent une dimension future. Car bien que, dans notre conscience actuelle, nous puissions croire que la Divinité imprègne chaque élément de l’existence matérielle, nous n’en aurons, au mieux, qu’une compréhension intellectuelle. Cela ne sera pas perçu ouvertement comme un fait réel.

À l’ère de la Délivrance, cela changera. À cette époque, l’humanité dans son ensemble aura une expérience directe de D.ieu. Comme le déclare le prophète : « Un homme n’enseignera plus à son prochain... en disant : “Connais D.ieu”, car tous Me connaîtront, du plus grand au plus petit ».1

À cette époque, « La terre sera remplie de la connaissance de D.ieu, comme les eaux recouvrent le fond de l’océan ».2 Cette similitude implique que tout comme l’océan contient une multitude d’êtres, de même, à l’ère de la Délivrance, toutes les entités continueront d’exister. Cependant, tout comme lorsqu’une personne regarde l’océan et voit l’eau, elle ne remarque pas tous les différents êtres qu’il contient, de même, à l’ère de la Délivrance, quand nous regarderons le monde dans lequel nous vivons, nous percevrons la Divinité qui embrasse toute existence. Chaque entité sera englobée dans la conscience de Sa présence.