Lois relatives aux dommages [causés] par les biens [d’une personne] : Chapitre Huit

« Si le bœuf d’un homme encorne le bœuf de son prochain » (Ex. 21, 29).
Le terme « son prochain » laisse entendre que les lois des dommages ne s’appliquent que pour un bœuf qui a un propriétaire. Ce chapitre va étudier le cas du bœuf consacré au Temple (§1-3), ainsi que le cas du bœuf sans propriétaire (hefker, § 4). On sera ensuite amené à étudier le cas du bœuf qui appartient à un gentil (§ 5).
Puis, Rambam aborde les droits respectifs de l’auteur du dommage et de la victime sur le bœuf qui a causé le dommage quand il est tam (§ 6-8) ou mouad (§ 9), les modalités de la réparation intégrale du dommage et les biens affectés à cet effet (§ 10-13). Il conclut sur les preuves qui doivent être produites pour cela (§ 13-14). (Ndt)


1. Quand un bœuf appartenant à un juif encorne un bœuf consacré [au Temple] ou qu’un bœuf consacré encorne un bœuf appartenant à un juif, le propriétaire du bœuf [qui a encorné l’autre] est exempt, ainsi qu’il est dit [Ex. 21, 29] : « [Si le bœuf d’un homme encorne] le bœuf de son prochain » .
Les lois relatives aux dommages ne s’appliquent pas aux [animaux] consacrés [au Temple] pour lesquels, [en cas d’usage personnel,] on est coupable de sacrilège (méila) .
Les [animaux consacrés en] offrande [qui ont été] disqualifiés [suite à un défaut physique par exemple, et qui ont été rachetés] sont sujets aux lois relatives aux dommages, qu’ils causent ou subissent un dommage, parce qu’[après] avoir été rachetés, ils sont devenus profanes [bien qu’il soit toujours défendu de les tondre ou de les employer pour un travail].

2. Si un [animal consacré comme] sacrifice de paix cause un dommage, la victime perçoit [la réparation de la moitié du dommage] sur sa viande. Elle ne perçoit pas [une part supplémentaire] de la viande en contrepartie [de la part qui aurait dû lui revenir] des parties consumées [sur l’autel] . Car on est [coupable de] sacrilège pour [l’utilisation illicite] des parties consumées des sacrifices de moindre sainteté , comme nous l’avons expliqué dans les lois relatives au sacrilège.
De même, si un [animal consacré en] sacrifice de reconnaissance (toda) cause un dommage, la victime perçoit [son indemnité qui consiste en la réparation de la moitié du dommage] sur la viande, et ne perçoit [rien] sur [l’offrande de] pain qui l’accompagne , car « le pain ne fait pas partie de la viande ».

3. Comment la victime perçoit-elle [son indemnité] ? La victime du dommage mange, avec sa compagnie, en état de sainteté, [une quantité] de la viande correspondant à [la réparation de] la moitié du dommage.
Et comment [s’applique la règle selon laquelle] elle ne peut pas percevoir [une part supplémentaire de viande] en contrepartie [de la part qui aurait dû lui revenir] des parties consumées [sur l’autel] ? [Par exemple :] la victime doit percevoir l’équivalent d’un dinar en [réparation de] la moitié du dommage ; toute la viande avec les parties consumées valent deux dinars, alors que, sans les parties consumées, la viande vaut un dinar et demi. [Dans pareil cas,] la victime ne recevra pas deux tiers de la viande [l’équivalent d’un dinar], mais la moitié de la viande seulement [soit l’équivalent de ¾ de dinar. Elle perd ainsi ¼ de dinar, c’est-à-dire la part qui aurait dû lui revenir des parties consumées sur l’autel].

4. De même, si un bœuf sans propriétaire cause un dommage, il est exempt [c'est-à-dire qu’aucune réclamation ne peut être faite], ainsi qu’il est dit [Ex. 21, 35] : « [Si le bœuf d’un homme encorne] le bœuf de son prochain » ; il faut que les biens [le bœuf] aient un propriétaire.
Comment cela ? Soit un bœuf sans propriétaire qui encorne [un autre animal qui a, lui, un propriétaire]. Avant qu’il soit saisi par la victime [en réparation du dommage], une autre personne vient et en prend possession. Cette dernière est exempte [elle n’est pas tenue de restituer le bœuf à la victime du dommage].
Plus encore, si un bœuf ayant un propriétaire cause un dommage, et qu’après avoir causé le dommage, son propriétaire le consacre ou le déclare sans propriétaire [en se désistant ainsi de son droit de propriété], il est exempt. Il faut que le bœuf ait un propriétaire au moment du dommage et au moment de la comparution en justice .

5. Si le bœuf d’un juif, qu’il soit tam ou mouad, encorne le bœuf d’un gentil, le propriétaire du bœuf est exempt. Car les gentils ne condamnent pas la personne dont l’animal a causé un dommage [à la réparation de celui-ci], et on [ne fait que] les juger selon leurs lois.
Si le bœuf d’un gentil, qu’il soit tam ou mouad, encorne le bœuf d’un juif, le gentil doit payer [la réparation de] l’entier dommage. Cette pénalité est infligée aux gentils, parce qu’ils ne se soucient pas des commandements et n’ôtent pas les sources de dommage. Et si on ne les condamne pas [à payer] pour les dommages causés par leurs animaux, ils ne les gardent pas et causent des pertes aux autres.

6. Soit un bœuf tam ayant causé un dommage ; si l’auteur du dommage [son propriétaire] le vend avant d’avoir comparu en justice, bien qu’il soit [effectivement] vendu, la victime perçoit [la réparation du dommage] sur le bœuf. L’acheteur revient et perçoit [son dû] de l’auteur du dommage qui le lui a vendu.
En effet, dès lors qu’un bœuf encorne, une rumeur court à son sujet [le fait est connu de tous ] : l’acheteur n’aurait [donc] pas dû l’acheter avant que la victime du dommage perçoive dessus [son dû].

7. Si l’auteur du dommage [le propriétaire du bœuf] consacre son bœuf , il est [effectivement] consacré [et il devra être racheté par un tiers (quoique à bas prix) avant que la victime du dommage puisse percevoir son dû. Les Sages ont institué cette obligation ], afin que les gens ne disent pas qu’« un [bien] consacré peut perdre son statut sans être racheté ».
Si l’auteur du dommage abat son bœuf, la victime du dommage perçoit [la réparation du dommage] sur sa chair.
Si l’auteur du dommage fait don de son bœuf [à un tiers], ce qu’il a fait est un fait accompli, et la victime du dommage perçoit [la réparation du dommage] sur celui-ci [l’animal].

8. Si un bœuf cause un dommage et que son propriétaire le vende après avoir comparu en justice, la vente n’est pas [valable]. S’il le consacre, la consécration n’est pas [valable]. S’il en fait don, son action n’a aucune [valeur].
Si des créanciers de l’auteur du dommage précèdent la victime et saisissent le bœuf, que le propriétaire ait contracté ces dettes avant que le bœuf cause le dommage ou que le bœuf ait causé le dommage avant que son propriétaire contracte ces dettes, les créanciers ne l’acquièrent pas. Plutôt, la victime perçoit [la réparation du dommage] sur le bœuf. Car même s’il avait appartenu aux créanciers depuis le début [avant le dommage], et avait alors causé le dommage, la victime en aurait perçu [la réparation] sur le bœuf .

9. Si un animal mouad cause un dommage et que son propriétaire le consacre, le vende, en fasse don ou l’abatte, qu’il ait comparu en justice ou pas, son action est [un fait] accompli .
[De même,] si des créanciers [du propriétaire] précédent [la victime] et dirigent l’animal , que le propriétaire ait contracté ces dettes avant que l’animal cause le dommage ou que l’animal ait causé le dommage avant que son propriétaire contracte ces dettes, les créanciers acquièrent le bœuf. Car la victime ne perçoit pas [dans ce cas la réparation du dommage sur le corps de l’animal, mais] sur le meilleur des biens de l’auteur du dommage [elle a donc le statut d’un créancier ordinaire] : [ce sont] tous les biens de l’auteur du dommage qui sont grevés [aux fins] de [réparer] ce dommage [comme du paiement des autres créances. La victime ne jouit pas d’un privilège particulier sur le bœuf].

10. Quand le tribunal s’occupe de percevoir [la créance de] la victime sur les biens de l’auteur du dommage, il perçoit [cette créance] tout d’abord sur les biens meubles . Si l’auteur du dommage n’a pas du tout de biens meubles ou s’il n’[en] a pas suffisamment pour [payer la réparation de] la totalité du dommage, le tribunal perçoit le reste [de la créance] sur les meilleures terres parmi les biens de l’auteur du dommage. Tant que le tribunal trouve des biens meubles [disponibles], même du son, il n’a pas recours aux terres.

11. Si l’auteur du dommage décède avant d’avoir payé [la réparation du dommage], le tribunal ne doit pas recourir aux biens meubles des orphelins [héritiers], mais aux terres, et percevoir [la créance de] la victime sur les [terres] les plus mauvaises. Car la victime devient comme un créancier ; or, les biens meubles [du débiteur] ne sont pas grevés [de la dette envers] un créancier.
Si la victime s’est saisie de biens meubles du vivant de l’auteur du dommage, le tribunal perçoit [la réparation du dommage] sur ces biens après le décès de l’auteur du dommage.

12. Les guéonim ont institué [toutefois] qu’un créancier puisse percevoir [sa créance] sur les biens meubles [de la succession], et cette ordonnance a été acceptée par tous les tribunaux.
C’est pourquoi, [si l’auteur de dommages décède,] le tribunal perçoit [la réparation des] dommages sur les biens meubles des orphelins [héritiers]. Si leur père n’a pas laissé de biens meubles, le tribunal rabbinique perçoit [la réparation du dommage] sur [les terres] les plus mauvaises. En effet, quiconque vient percevoir [sa créance] sur les biens des orphelins [héritiers du débiteur] ne [la] perçoit que sur [les terres] les plus mauvaises, comme nous l’avons expliqué.

13. C’est seulement sur la base d’une preuve formelle et de témoins aptes à témoigner que [la réparation] des dommages est payée, que l’on est passible de la rançon et qu’un animal est mis à mort .
Il ne faut pas dire : « Puisque seuls les esclaves, les bergers et leurs pareils [disqualifiés pour le témoignage] sont présents dans les écuries, les étables à bœufs ou les parcs à moutons, s’ils témoignent que tel animal a causé un dommage à tel autre, on [doit] les écouter [accepter leur témoignage], et [de même,] si des mineurs ou des femmes [disqualifiés eux aussi pour le témoignage] témoignent que telle personne a blessé telle autre ou déposent au sujet d’autres dommages, on [doit] s’appuyer sur eux ». Il n’en est pas ainsi ; plutôt, on ne condamne jamais à un paiement sur la base de la déposition de témoins, à moins que ces derniers soient fiables pour rendre d’autres témoignages, qu’ils témoignent [du dommage] et que le tribunal condamne l’auteur du dommage à [en] payer [la réparation].

14. Si, alors qu’un bœuf pâture sur le bord d’un fleuve, on trouve un [autre] bœuf tué à côté de lui, bien que le bœuf mort ait été encorné, et le bœuf vivant soit mouad pour [l’action] d’encorner, [ou bien] que le bœuf mort ait été mordu et le bœuf vivant soit mouad pour [l’action] de mordre, on ne dit pas : « Il est certain que celui-ci [le bœuf vivant] l’a mordu ou l’a encorné ».
Même si un chameau au milieu [d’un troupeau] de chameaux s’accouple [à une chamelle] et que l’on trouve un [autre] chameau tué à côté de lui, on ne dit pas : « Il est certain que celui-ci [le chameau en rut] l’a tué », à moins que des témoins fiables aient vu [la scène].