Dans le calendrier juif, c’est comme si nous avions deux anniversaires chaque année. L’un a lieu à Roch Hachana, comme nous le disons dans les prières de ce jour : « Aujourd’hui le monde est né. » L’autre est à Pessa’h, comme le dit le Arizal (Rabbi Isaac Louria) à propos de ce jour : « Et l’on sait que la nuit du Seder fut la conception, et que la septième nuit de Pessa’h fut la naissance. »
Ces deux « dates de naissance » marquent des étapes différentes, il est donc important de comprendre la teneur de leur différence.
Chacun existe grâce à l’autre
Pourtant, décider où commencer la discussion est déjà une source de confusion. Comme dans le tableau de M. C. Escher où deux mains se dessinent l’une l’autre, c’est ainsi que les deux moitiés de l’année s’emboîtent. Leur interdépendance est totale. Chacune existe grâce à l’autre, et il est impossible de déterminer laquelle est vraiment la première. Chaque fois que je commence à choisir un point de départ, j’ai l’impression de me retrouver au milieu d’une histoire, comme si j’avais raté la première moitié.
Et la Torah n’aide pas à démêler tout cela. C’est plutôt le contraire. Elle appelle le mois de Pessa’h, Nissane, « le premier mois » ; pourtant, elle appelle le mois de Roch Hachana, Tichri, « le début de la nouvelle année ».
En réfléchissant au schéma général des choses, il apparait que les mois allant de Pessa’h à Eloul sont davantage axés sur notre développement collectif, sur la construction, le renforcement et l’extension du « récipient » de notre destinée commune appelé « le corps mystique d’Israël ». Au cours de cette moitié de l’année, l’accent est mis sur la construction de la nation et le travail consiste à intégrer nos talents individuels dans la grande communauté d’Israël. Le Arizal qualifie ces mois de « moitié féminine de l’année », tikoun noukva.
À l’inverse, pendant les mois de Tichri à Adar (le mois de Pourim), notre effort se situe principalement au plan individuel. Notre principale responsabilité pendant cette période est de nettoyer et de développer l’étincelle d’âme particulière dont nous avons la charge, avec laquelle nous vivons, et qui est élevée par l’intensité de notre travail sur nous-mêmes, ou rabaissée par notre manque de travail sur nous-mêmes. On pourrait dire que Pessa’h est l’anniversaire de notre naissance collective, et que Roch Hachana est l’anniversaire de la naissance de chacune de nos âmes individuelles. À Roch Hachana, chacun passe sous le bâton et est jugé selon ses propres mérites.
Le défi consiste maintenant à ce que le récipient collectif soit capable d’encourager et d’accueillir la croissance individuelle de ses parties constituantes. Il s’agit de deux fronts d’évolution distincts qui sont liés, mais indépendants. Le corps collectif du peuple d’Israël est un organisme à part entière, qui a son propre chemin de vie et son propre voyage, de la naissance à la maturité – ce qui correspond essentiellement aux 3 500 ans de l’histoire de notre peuple, de l’Égypte à notre rédemption finale. De même, les différents éléments constitutifs de cette entité collective – ses cellules, c’est-à-dire chacun d’entre nous – ont leur propre destin individuel et leur propre parcours de développement. Ils doivent travailler ensemble. Et s’ils se désynchronisent, il se produit une brisure.
- D’une part, si le récipient collectif devient si fort qu’il commence à étrangler la croissance de ses cellules individuelles, il en résultera une brisure.
- D’autre part, si notre développement individuel commence à saper notre sens de l’identité collective, là encore, la brisure se produit. C’est essentiellement le défaut de la haine gratuite, lorsque notre égocentrisme nous aveugle à la vérité que nous sommes tous des cellules d’un grand corps collectif appelé la nation d’Israël.
Le premier front de croissance se situe au niveau individuel.
Nous arrivons donc à Tichea BeAv, où notre récipient collectif se brise, nos temples sont détruits, notre nation est conquise. Nous sommes dispersés aux quatre vents. Nous nous écroulons et sommes brisés, et cela marque le début de la seconde moitié de l’année, qui est la phase où chacun effectue son propre travail intérieur et prend la responsabilité de son propre développement. Ce n’est pas que nous ne travaillons pas aussi en équipe pendant ces mois de Tichri à Adar, c’est simplement que le premier front de croissance se situe au niveau individuel.
Et cela nous amène au mois d’Eloul, le mois qui précède Roch Hachana, qui sert de transition d’une phase à l’autre, du collectif au personnel. En Eloul, nous nous regroupons en réfléchissant aux leçons léguées par l’année précédente. Dès le premier jour d’Eloul, le shofar sonne et nous incite à ce travail qui, selon Rav Its’hak Ginsburg, comporte deux parties :
- La première consiste à faire le bilan de l’année précédente, tant en pensée qu’en acte. Il s’agit de regarder en arrière et de réfléchir à ce qui a bien marché et ce qui n’a pas marché. Comment ai-je contribué à son succès ? Quel a été mon rôle dans son échec ? Que puis-je faire pour y remédier ? Qu’est-ce qui doit changer, et qu’est-ce qui est bien comme ça ? Ce travail axé sur le passé comporte également une dimension pratique : résoudre les conflits, rendre les objets empruntés, rembourser ses dettes, présenter des excuses depuis longtemps dues. C’est une partie du travail : régler les derniers détails et trier la récolte de l’année précédente, laisser le mauvais derrière soi et extraire le bon.
- Et puis, avec tout cela à notre actif, nous devons maintenant regarder vers l’avant et formuler nos visions, nos prières, nos espoirs et nos résolutions pour la nouvelle année à venir.
Ce sont les questions directrices qui orientent nos efforts en Eloul. Compte tenu de ce que j’ai appris au cours de l’année précédente, notamment à travers mes difficultés, comment puis-je agir plus sagement cette année ? Comment faire en sorte que ce soit ma sagesse qui dirige mes actes ? Comment faire pour que ce soit réel, au point où quelqu’un puisse considérer ma vie et dire : « Tu as tout fait avec sagesse. » Et le travail consistant à réfléchir à cette question, à la formuler en mots, à écrire des visions concrètes et à formuler des résolutions, est une action en soi, et c’est le travail principal d’Eloul. C’est l’action directrice qui, espérons-le, affectera, élèvera et guidera toutes les myriades d’actions de l’année à venir, afin qu’elles soient coordonnées et s’appuient les unes sur les autres pour créer une année de joyeux mouvement vers l’avant.
Comment puis-je agir avec plus de sagesse cette année ?
Le mois d’Eloul marque le début de la seconde moitié de l’année, où la réalisation de soi est notre priorité. Contrairement à l’autre moitié de l’année, axée sur l’établissement de limites, il s’agit ici de la voix intérieure qui demande la préservation de soi. Elle a la tâche sacrée d’assurer l’accomplissement et le développement de soi. Son travail consiste à s’assurer que nous disposons du temps, de l’espace et des ressources nécessaires pour matérialiser le plein potentiel de nos âmes. Chaque perspective est essentielle, et chacune a aussi ses expressions rectifiées et non rectifiées.
D’un côté, la demande constante d’abnégation peut devenir abusive, et même finir par saboter la tâche sacrée de l’épanouissement personnel.
De l’autre, on peut devenir si égocentrique que l’on perd toute capacité à donner, à partager et à faire des compromis, ce qui paralyse la capacité à fonctionner dans des relations saines ou à participer à la vie communautaire.
Alors, comment commencer ? En quoi consiste ce travail ? Comme nous l’avons expliqué, il y a une double tâche : faire le bilan du passé et créer une vision pour l’avenir.
Ainsi, dit Rabbi Tsadok, Roch Hachana est l’anniversaire de la vision de D.ieu de la perfection, à la fois pour nous collectivement et pour chacun d’entre nous individuellement. Et chaque année, à Roch Hachana, D.ieu crée une nouvelle vision du plus haut degré qu’il nous est donné d’atteindre au cours de l’année à venir.
Le travail d’Eloul, dit Rabbi Tsadok, consiste à prêter une attention particulière aux désirs et aux craintes qui surgissent en ce moment, et à les tisser dans une vision pour l’année à venir qui est verbalisée sous forme de prière. Selon Rabbi Tsadok, cette vision ne doit pas seulement exprimer nos désirs, mais doit également inclure les contreparties positives de nos craintes. Il explique qu’en particulier pendant le mois d’Eloul, D.ieu peut communiquer ce pour quoi il veut que nous priions en faisant naître en nous une crainte, qui devient un indice qu’Il veut que nous priions pour l’antidote positif de cette peur. Par exemple, la crainte d’un effondrement financier indique que D.ieu veut que nous priions spécifiquement pour une année prospère. Une peur de la maladie signifie que D.ieu veut que nous priions spécifiquement pour une année de santé, etc.
Tel est l’effort attendu en Eloul : créer une liste de prières et de résolutions qui reflètent nos espoirs spécifiques pour nous-mêmes, nos proches et notre peuple saint cette année à venir. Et plus la vision est réfléchie, plus elle a de chances de refléter fidèlement la vision de D.ieu pour nous, et plus elle sera puissante.
Je veux donc nous bénir, en tant qu’individus et en tant que communauté, pour que nous ouvrions nos cœurs et nos esprits aux communications que D.ieu nous adresse en ce mois d’Eloul. Que nous saisissions Ses allusions, et que nous les transformions en saintes prières qui percent les firmaments et adoucissent les jugements sévères dès leur formation. Puisse le pouvoir combiné de nos prières et de nos visions transformer nos vies d’une manière uniquement positive. Et puissent-elles créer un récipient de vision et d’aspiration suffisamment grand et fort pour embrasser nos destinées individuelles et collectives, et pour attirer dès à présent la rédemption dans le monde.
Commencez une discussion