Un jour, une femme très désemparée se présenta dans la ville de Loubavitch. Les femmes ne se promenaient généralement pas toutes seules il y a cent ans, mais cette pauvre femme avait fait un voyage pénible d’une semaine parce que quelqu’un lui avait dit que le Rabbi de Loubavitch pouvait l’aider.
– Est-ce ici que se trouve Rabbi Chalom DovBer ? Je dois le voir, plaida-t-elle auprès de l’un des secrétaires du Rabbi. Je viens de si loin, et votre Rabbi est mon seul espoir. S’il vous plaît, il faut que je le voie ! Lui seul peut m’aider.
Mais ses pleurs étaient vains ; le Rabbi ne recevait pas.
– Si vous écrivez votre demande sur un papier, je promets que je la remettrai au Rabbi et le Rabbi la verra, mais je ne peux pas promettre plus que cela. Je suis désolé, dit le secrétaire s’excusant.
Sans autre choix, la pauvre femme trouva un endroit tranquille pour s’asseoir et écrire sa demande. C’était une agouna, une veuve vivante. Son mari s’était éloigné du judaïsme environ deux ans plus tôt, puis l’avait soudainement quittée. Elle n’avait aucune source de revenus, trois enfants affamés à nourrir et elle ne pouvait pas se remarier sans recevoir un acte de divorce officiel (un guett) de son mari. Mais elle n’avait aucun moyen de le retrouver, et personne ne savait même par où commencer. La femme était désespérée. Elle n’avait ni argent, ni mari, ni expérience, et maintenant son dernier espoir, le Rabbi, s’évanouissait sous ses yeux.
– Le Rabbi ne fera probablement même pas attention à ma lettre, se dit-elle. Mais elle la remit au secrétaire et s’en remit à D.ieu.
La réponse fut rapide. Moins d’une heure plus tard, le secrétaire du Rabbi était devant elle avec de bonnes nouvelles.
– Le Rabbi a dit que vous devez vous rendre à Varsovie.
Elle était ravie ! Mais son sourire s’estompa lorsqu’elle réalisa que c’était là toute la réponse du Rabbi.
– Mais où cela à Varsovie ? Que dois-je y faire ?
– C’est tout ce que le Rabbi a répondu, dit le secrétaire. Je suis désolé, il n’y a rien de plus.
Elle écrivit alors une autre lettre demandant des détails, mais aucune réponse ne fut reçue cette fois.
Quand les ‘hassidim entendirent l’histoire, ils se cotisèrent et lui achetèrent un billet de train aller-retour et lui donnèrent de quoi payer une chambre d’hôtel et se nourrir pendant un mois. Deux jours plus tard, elle était là, perplexe dans la gare de Varsovie avec sa vieille valise, ne sachant pas où aller ni quoi faire ensuite.
Les gens se précipitaient à côté d’elle, la heurtant parfois, quelqu’un faillit presque la renverser, mais elle restait là, immobile. Elle avait à la main l’adresse d’un hôtel sur un morceau de papier froissé. Elle le sortit de sa poche, mais elle ne voulait plus marcher, elle était fatiguée, elle voulait juste laisser tomber. « Les enfants sont entre de bonnes mains », se dit-elle. Elle était seule et confuse et elle avait envie de pleurer. Quelqu’un d’autre la heurta. « Peut-être que je vais rentrer à la maison. » Cette pensée était toujours dans son esprit lorsqu’elle entendit quelqu’un dire : « Excusez-moi. »
Elle sortit de sa rêverie et vit devant elle un Juif bien habillé avec une barbe rousse.
– Excusez-moi, dit-il en yiddish, je remarque que vous êtes debout depuis longtemps. Vous vous sentez bien ? Puis-je vous aider ? Attendez-vous quelqu’un ?
– Je suis ici parce que le Rabbi Loubavitch a dit... et elle répéta mécaniquement toute son histoire.
– Dites-moi, dit l’homme quand elle eut fini, quel était le nom de votre mari et à quoi ressemblait-il ?
– Eh, eh bien...
Elle était encore dans un état semi-étourdi.
– Son nom était Feivel, mais je suis sûr qu’il l’a changé. Et il était corpulent. Il marchait avec une sorte de boitement, et il avait une barbe noire épaisse, mais je suis sûr qu’il s’est rasé la barbe, et il a une sorte de marque sur son front. Ça fait deux ans, qui sait à quoi il ressemble maintenant…
Elle se mit presque à pleurer quand il l’interrompit.
– Je pense que je sais où il est. Suivez-moi, je vous prie. Ce n’est pas loin d’ici.
Il la fit sortir de la gare et la conduisit à un grand carrefour très fréquenté. Il lui indiqua comment se rendre de là à une certaine taverne. « Je crois que votre mari est assis au fond de ce bar, à jouer aux cartes. »
Après tout ce qu’elle avait traversé, elle ne posa aucune question. Elle fit un signe de tête à l’étranger et se mit en chemin selon ses instructions. Et au bout d’une heure, elle trouva l’endroit ! Elle prit une profonde inspiration et entra dans la taverne faiblement éclairée, traînant sa valise et se sentant terriblement gênée.
Elle se fraya un chemin à travers la fumée et le bruit jusqu’au fond de la pièce et regarda fixement les silhouettes assises là, attendant que ses yeux s’adaptent à l’obscurité.
Soudain, l’un des joueurs se retourna, la regarda et poussa un cri d’horreur. « Sarah !!! Comment as-tu su que j’étais ici ? Comment es-tu arrivée ici ?! » Elle pouvait voir plus clairement maintenant, et l’homme qui parlait ressemblait à son mari. Il était plus mince, sans barbe... mais c’était lui !
Quand elle expliqua comment le Rabbi l’avait envoyée et comment un Juif lui avait donné des instructions depuis la gare, il se mit à faire les cent pas comme un fou, passant ses doigts dans ses cheveux, agitant ses bras en se répétant : « Je ne connais aucun juif, je ne connais aucun Rabbi ! Comment quelqu’un a-t-il pu savoir ? Comment ? »
Il fut tellement affecté par le miracle qu’il se mit à pleurer et tomba à genoux devant sa femme en lui demandant pardon. Une chose en amena une autre et un mois plus tard, il rentra honteusement chez lui avec elle et s’amenda complètement.
L’année suivante, la femme se rendit de nouveau à Loubavitch, mais cette fois pour remercier le Rabbi. Le secrétaire du Rabbi s’arrangea pour qu’elle se tienne devant la porte du Rabbi, de sorte qu’au moment où le Rabbi sortirait, elle pourrait le remercier personnellement et lui donner une lettre de gratitude.
Elle se mit à l’endroit indiqué et resta là, tenant sa lettre et attendant nerveusement. Puis le grand moment arriva, la porte s’ouvrit et le Rabbi sortit. Elle le vit... et s’évanouit !
Quand elle revint à ses esprits, un médecin était agenouillé auprès d’elle. « Vous étiez si impressionnée que vous vous êtes évanouie », expliqua-t-il, alors qu’elle se relevait doucement.
– C’était le Rabbi ?, demanda-t-elle. C’était lui ?
– Assurément, répondit le médecin. Pourquoi le demandez-vous ? Ne saviez-vous pas que c’était le Rabbi ?
– Parce que, dit-elle, c’est l’homme que j’ai vu à Varsovie. C’est lui qui m’a aidé dans la gare de Varsovie !
Plus tard, le secrétaire du Rabbi fit des calculs. Il se rappela que le jour où la femme affirmait avoir vu le Rabbi dans la gare de Varsovie, il était entré dans le bureau du Rabbi et l’avait trouvé assis, demeurant longtemps immobile, inconscient de son environnement, comme s’il était « ailleurs ».
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