Remarque : Ce qui suit est un extrait librement traduit d’un récit de R. Pin’has Reizes de Shklov, l’un des principaux disciples du fondateur du ‘hassidisme ‘Habad, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, retranscrit par le sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneerson (1880–1950).

En 5547 (1786-1787), l’hiver fut extrêmement rigoureux et la première neige tomba dans la ville de Liozna pendant la fête de Soukkot. Pour pouvoir s’asseoir dans la Soukka, il était nécessaire de porter un manteau de fourrure et des bottes fourrées, et il fallait enlever à plusieurs reprises la neige amoncelée sur le toit. Chemini Atséreth tombait un Chabbat, et la neige était tombée toute la nuit. Le Rabbi1 demanda que l’on dise à Kumza, le serviteur non-juif : « Nous devons manger dans la Soukka, et nous ne pouvons pas y manger tant qu’il y a de la neige dessus », afin qu’il comprenne qu’il fallait retirer la neige.

Beaucoup des invités venus passer Sim’hat Torah avec le Rabbi cette année-là était arrivés à Liozna avec les doigts et les orteils gelés, et beaucoup étaient tombés malades du fait de ce froid inattendu.

Vendredi, je suis entré dans le bureau du Rabbi pour l’informer que tous les rouleaux de la Torah avaient été correctement enroulés et enveloppés pour les hakafot de cette soirée.2 À cette occasion, j’ai mentionné au Rabbi le sort des ‘hassidim malades, dont beaucoup avaient une forte fièvre.

Le Rabbi appuya sa sainte tête sur ses mains et entra dans un état dveikouth (contemplation méditative). Pendant un long moment, il demeura profondément absorbé dans ses pensées. Il ouvrit ensuite les yeux et, avec son célèbre air mélodieux, il dit : « La Torah dit que la Torah est une “loi de feu”.3 Aujourd’hui, c’est Sim’hat Torah, la réjouissance de la Torah. Le feu consume le feu : que tous soient amenés aux hakafot à la synagogue, et le feu de Sim’hat Torah consumera la fièvre provoquée par le gel. »


À Liozna vivait un vénérable vieillard érudit de la Torah du nom de Reb Eizik. Reb Eizik se considérait comme l’un des mitnagdim (ceux qui s’opposaient au mouvement ‘hassidique), mais il avait un grand respect pour le Rabbi, car il reconnaissait l’étendue de sa connaissance de la Torah et de sa piété.

Reb Eizik avait un neveu du nom de Reb Moshé Uptzuger qui était un ‘hassid du Rabbi. Ce Sim’hat Torah, Reb Moshé, accompagné de deux fils et d’un gendre, était venu à Liozna pour passer la fête auprès du Rabbi. Tout le groupe séjournait dans la maison de Reb Eizik.

Reb Moshé était d’une santé fragile, et le voyage dans le froid glacial l’avait beaucoup affecté. Il était alité avec une forte fièvre. Ses fils et son gendre étaient également gravement malades. Avraham le Médecin prédit que les jeunes hommes, avec l’aide de D.ieu, survivraient à la maladie. Mais s’agissant de Reb Moshé, en raison de son âge avancé, de sa fragilité, des douleurs sévères qu’il ressentait des deux côtés et de sa forte fièvre, il était extrêmement douteux qu’il s’en sorte.

Reb Eizik était profondément affligé par le sort de son neveu et dénonça à plusieurs reprises le comportement irresponsable des ‘hassidim. Se rendre auprès de son maître en de telles circonstances, soutenait-il, n’était pas une mitsva mais un péché.


Après la prière du soir de Chemini Atséreth, moi, avec Ephraïm Michel (un jeune ‘hassid également de Shklov), ‘Haïm Elya Dubrovner et un certain nombre d’autres jeunes ‘hassidim, avons fait le tour des auberges de Liozna pour convoquer – et s’il le fallait, amener – tout le monde à la synagogue pour les hakafot, pour être réchauffés et guéris par la loi de feu de la Torah.

Dans chaque endroit, j’ai répété les instructions du Rabbi (dont tout le monde était déjà informé : moins d’une heure après mon départ du bureau du Rabbi, les paroles du Rabbi étaient connues dans tout Liozna ; malgré cela, tous voulaient que je répète les paroles du Rabbi mot pour mot).

C’était vraiment gratifiant d’être témoin de la grande joie que les paroles du Rabbi suscitaient chez les invités, leurs enfants et les membres de leurs familles. Tous étaient convaincus que les malades seraient guéris, avec l’aide de D.ieu.

Ce soir-là régnait un froid terrible, de la neige mouillée mêlée de pluie gelée tombait et un vent soufflait qui pénétrait les os. De plus, de grandes masses de boue obstruaient les rues. Mais rien de tout cela n’empêcha les ‘hassidim malades de venir à la synagogue. Beaucoup durent être aidés ; d’autres durent être portés sur nos épaules.

En arrivant chez Reb Eizik, nous le trouvâmes au milieu d’une furieuse dispute avec les fils et le gendre de Reb Moshé. Ces derniers exigeaient que les jeunes ‘hassidim qui faisant leur tournée dans Liozna soient appelés pour les aider à se rendre à la synagogue du Rabbi pour les hakafot, et que leur père et beau-père y soit également transporté. Reb Eizik disait avec véhémence qu’ils ne devaient pas quitter la maison dans leur état, et concernant leur père, c’était tout à fait hors de question. Depuis le matin, disait Reb Eizik, Reb Moshé était allongé, terrassé par la fièvre, et n’était plus conscient de ce qui se passait autour de lui. Selon Avraham le Médecin, sa vie même était en danger. S’il devait être amené dehors, la première rafale de vent signerait sa fin, à D.ieu ne plaise.


Lorsque ‘Haïm Elya Dubrovner, moi-même et deux autres jeunes hommes avons pénétré dans la maison de Reb Eizik, il y eut une grande joie parmi les enfants de Reb Moshé. Nous fûmes accueillis par des cris de « Merci mon D.ieu ! », « Nous sommes sauvés, et Père aussi ! », tandis que Reb Eizik criait : « Meurtriers ! Assassins ! Vous agissez contre la sainte Torah ! »

Lorsque je me suis approché du lit de Reb Moshé et que je l’ai vu allongé là, raide comme une bûche, sa peau d’une teinte bleu-noirâtre, les yeux fermés et la chaleur de sa fièvre irradiant de lui, j’en fus si alarmé que je faillis perdre mes repères.

« Que proposez-vous ?, s’écria Reb Eizik. Que l’on amène cette personne gravement malade à la synagogue pour les hakafot ? Même à l’époque du Saint Temple, quand c’était un commandement biblique de faire le pèlerinage à Jérusalem, le Talmud déclare explicitement que “les malades et les boiteux étaient exemptés”.4 Et aller à la synagogue pour les hakafot n’est qu’une ordonnance rabbinique. Si l’on emmenait Moshé à l’extérieur, ce ne serait rien de moins qu’un meurtre pur et simple ! »

‘Haïm et Baroukh, les enfants de Reb Moshé, rétorquèrent que si le Rabbi disait que cela mènera au rétablissement, ils croyaient d’une foi totale qu’amener Reb Moshé à la synagogue le guérira.

Je dois vous dire qu’à ce moment-là, j’étais complètement confus et je ne savais pas quoi dire. D’une part, j’avais entendu les arguments de Reb Eizik et vu Reb Moshé brûler de fièvre ; d’un autre côté, j’avais entendu les paroles de pure foi des fils de Reb Moshé, de simples jeunes gens – l’un était le tailleur du village, et l’autre avait une petite affaire dans le village – en qui brillait une foi si intense en les tsaddikim qu’elle les amenait au sacrifice de soi, sans contemplation ni préparation de leur part.

La logique humaine dictait que Reb Eizik avait sûrement raison : une personne si gravement malade ne devait pas être déplacée. Dans un tel froid, il pourrait même ne pas survivre jusqu’à la synagogue, à D.ieu ne plaise. Mais la logique divine de l’âme divine disait que ‘Haïm et Baroukh avaient raison : le Rabbi avait dit que la loi de feu de la Torah est une guérison, et il fallait accomplir son instruction avec sacrifice de soi.


Mon estime pour les enfants de Reb Moshé – ces simples jeunes gens au cœur pur – grandissait d’instant en instant. À ce jour, je me souviens de la honte intérieure que j’ai ressentie à ce moment-là. En cet instant, je décidais qu’il me fallait entrer en ye’hidout5 avec le Rabbi pour discuter de la bassesse de ma condition spirituelle.

Moi, Pinyé, le fils de Henikh de Shklov, qui a étudié le Talmud et ses commentaires et la philosophie juive sous la tutelle des grands érudits de Shklov, qui ai reconnu la grandeur du Rabbi par ma compréhension et mon appréciation de ses enseignements, et qui est depuis huit ans déjà un disciple du Rabbi, prévaut encore en moi une suprématie de la matière sur l’esprit, de la raison naturelle sur la raison divine ; tandis que ces simples jeunes gens, qui viennent chez le Rabbi avec leur seule crainte de D.ieu et une simple soumission à Sa volonté, qui n’ont aucune compréhension des enseignements du Rabbi, en eux brillent une raison divine et une foi absolue. Honte à toi, Pinyé fils de Henikh ! Sois honteux devant le ‘hassid tailleur du village et le ‘hassid marchand du village !

Absorbé par ces pensées, j’avais perdu contact avec la réalité jusqu’à ce que ‘Haïm Elya Dubrovner me pousse doucement et m’annonce que selon Abraham le Médecin, Reb Moshé avait atteint ses derniers instants, à D.ieu ne plaise.

Avant que j’aie eu le temps d’absorber cette information, j’entendit Baroukh crier à son père : « Père ! Le Rabbi a envoyé des émissaires pour t’emmener aux hakafot ! Père, réveille-toi ! Nous devons aller aux hakafot du Rabbi ! » J’entendis alors une grande agitation dans la chambre de Reb Moshé. En entrant dans la chambre, je vis Reb Moshé allongé avec les yeux ouverts et une expression joyeuse sur son visage, qui attendait d’être emmené aux hakafot du Rabbi.

‘Haïm Elya se dépêcha d’aller chercher quelques autres jeunes hommes. Pendant ce temps, nous revêtîmes Reb Moshé de vêtements chauds, car il était trop faible pour bouger un seul membre tout seul. Lorsque les jeunes gens arrivèrent, ils le soulevèrent et le portèrent jusqu’à la synagogue du Rabbi pour les hakafot.


Quand je suis entré dans la synagogue, une vague de chaleur me frappa au visage. La synagogue était bondée d’une foule composée en grande partie de malades. Certains étaient assis en s’appuyant au mur, tandis que d’autres n’avaient pas même la force de s’asseoir et gisaient silencieusement au sol. D’autres souffraient d’une toux inextinguible, et il y avait ceux dont les gémissements d’angoisse déchiraient le cœur au point où l’on pouvait à peine les regarder.

La coutume du Rabbi était de procéder en premier lieu à des hakafot « privées » dans la petite synagogue attenante à son bureau, avec la participation d’un petit nombre de ses disciples. Après ces hakafot privées, il allait à sa Soukka et faisait le kiddouch, puis il venait à la grande synagogue dans la cour pour les hakafot publiques.

Cette année-là, le Rabbi convoqua à sa Soukka trois ‘hassidim : Reb Michael Aaron de Vitebsk, Reb Shabtaï Méir de Beshenkovitz et Reb Yaakov de Semilian. À leur arrivée à la Soukka, le Rabbi dit à Reb Michael Aaron : « Tu es un Cohen », à Reb Shabtaï Meir, il dit : « Tu es un Lévite », et à Reb Yaakov : « Tu es un Israélite ».

« J’ai besoin d’un beth din (tribunal) de trois membres, dit alors le Rabbi. Et ce beth din de trois membres doit inclure un Cohen, un Lévite et un Israélite. Je vous ai choisis pour être mon beth din. Écoutez le kiddouch, répondez “Amen” à chaque bénédiction, et ayez à l’esprit que votre Amen doit se rapporter aux pensées et aux méditations sur lesquelles je me concentrerai en récitant le kiddouch. »

Le Rabbi demanda alors que plusieurs flacons de vin lui soient apportés.

Après avoir récité le kiddouch, le Rabbi prit les restes du vin dans sa coupe et les versa dans l’un des flacons. Il dit ensuite aux trois membre du tribunal qu’il les nommait comme émissaires de guérison. Il leur ordonna de mélanger le flacon de vin qu’il leur donnait avec les autres flacons et de distribuer leur contenu aux malades pour leur guérison complète. Il chargea également les trois membres du tribunal de monter à la galerie des femmes et de donner du vin aux femmes qui n’avaient pas encore eut la bénédiction d’avoir des enfants et à celles qui faisaient des fausses couches, à D.ieu ne plaise.

Le beth din de trois membres entra dans la cour de la grande synagogue, où tous avaient déjà entendu parler de la nature de leur mission et les regardaient avec respect et vénération.

Reb Yaakov Semilianer monta sur le podium et répéta, mot pour mot, ce que le Rabbi avait dit.

Après avoir transmis les paroles du Rabbi, il annonça qu’il avait quelque chose de plus à dire qui était lié à la situation actuelle :

« Il nous a été transmis, a déclaré Reb Yaakov, de vieux ‘hassid en vieux ‘hassid, que pour qu’une personne mérite l’accomplissement d’une bénédiction, deux conditions doivent être remplies : a) celui qui est béni doit croire en la bénédiction de celui qui l’accorde avec une foi simple et sans équivoque ; b) celui qui est béni doit s’engager à accomplir la volonté de celui qui accorde la bénédiction en tout ce qui concerne le service de D.ieu, dans la Torah, la prière et la conduite pieuse. »

Bien que tous aient entendu les paroles de Reb Yaakov, il fut décidé que pour éviter tout doute, Reb Michael Aaron, qui avait une voix puissante, allait répéter ce qu’avait dit Reb Yaakov. Lorsque cela fut fait, les jeunes hommes que les trois membres du beth din avait enrôlés comme assistants commencèrent la distribution ordonnée du vin de la coupe du Rabbi.


Un silence se fit dans la pièce lorsque le Rabbi entra dans la synagogue pour les hakafot. Selon sa coutume, le Rabbi récita le premier et le dernier verset d’Atah Horeita, et participa à la première et à la septième hakafah.

Le lendemain matin, tous parlaient du grand miracle. Avraham le Médecin attesta que, pour plusieurs patients âgés, ce qui s’est passé était littéralement une « résurrection des morts », car selon les lois de la nature et de la médecine, ils n’avaient aucun espoir de guérison.6