... Le voyage de Loubavitch à Serebrinka suit les routes Shileve et Zarietche à travers les villages de Slabaditch, Haimovka et Shubkes, et à travers la ville de Rudnia. De Rudnia on prend l’autoroute pour quelque sept verstes1 jusqu’à l’embranchement vers Serebrinka. Encore une demi-verste et on arrive au domaine de Serebrinka.

Lorsque nous avons dépassé l’auberge routière de Haimovka, quelque quatre verstes après le début de notre voyage, Père (le cinquième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Chalom DovBer Schneersohn) a donné l’ordre de s’arrêter, il s’est lavé les mains, et, toujours assis dans le carrosse, a fermé ses saints yeux et a récité Tefilat HaDerekh (la prière pour faire bon voyage).

Plus tard, alors que nous roulions à travers un bosquet, Père a respiré profondément et, disant qu’il était épuisé, il a demandé qu’on ralentisse l’allure de la voiture. Fermant les yeux, il s’est appuyé contre le côté du carrosse et s’est reposé pendant un quart d’heure. Mon cœur s’est serré à la vue de sa santé fragile. Puis il a ouvert les yeux et a demandé que les chevaux reprennent leur rythme normal.

De loin, nous avons aperçu deux voyageurs à pied qui se reposaient sur un talus sur le côté de la route. Comme nous approchions, j’ai reconnu deux ‘hassidim, Reb Peretz et Reb Mena’hem Mendel, les maîtres d’école de Beshenkovitz. Quand j’ai dit à Père qui ils étaient, il a ordonné au cocher de ralentir et de passer à côté de l’endroit où ils étaient assis.

Lorsque nous sommes passés près d’eux, nous avons été témoins d’un spectacle merveilleux :

Reb Peretz et Reb Mena’hem Mendel étaient assis revêtus de leurs tsitsit et de leurs calottes, leurs manteaux, chaussures, chapeaux et cannes étaient posés à leurs côtés. Reb Mena’hem Mendel était assis les jambes croisées, appuyé sur ses coudes, ses yeux fermés ; il écoutait son ami Reb Peretz, qui était également assis les yeux serrés et répétait à haute voix un exposé de l’enseignement ‘hassidique avec l’intonation chantante employée lorsqu’on répète de la ‘Hassidout, faisant avec ses mains les gestes qu’on emploie pour expliquer une profonde idée.

Nous nous sommes arrêtés plusieurs minutes et avons observé ces deux ‘hassidim, qui ne s’en rendirent absolument pas compte. Lorsque nous avons repris notre voyage, Père a fait remarquer qu’ils révisaient le discours intitulé Qui a mesuré l’eau de Son pas que Père avait prononcé le second jour de la fête de Chavouot.

J’ai dit à Père que Reb Peretz et Reb Mena’hem Mendel m’avaient dit que ce Chavouot marquait leur trente-troisième voyage annuel à Loubavitch. Ils étaient venus la première fois en 1871. Chaque année depuis lors, y compris les années où Père n’était pas à la maison, ils marchent jusqu’à Loubavitch. C’est leur coutume d’arriver à Loubavitch le Chabbat précédant Chavouot et d’y rester jusqu’au Chabbat suivant la fête. Puis ils rentrent chez eux à pied comme ils sont venus.

Nous avons traversé la ville de Rudnia et avons atteint la grand-route qui traverse le marché. Nous y attendaient les rabbins, les cho’hatim, les notables de Rudnia ainsi que ses trois maîtres d’école – Reb Yera’hmiel, Reb Yehochoua et Reb Nathan Yits’hak – accompagnés de leurs élèves, environ 50 garçons. Tous étaient venus pour saluer Père et le bénir. Père a dit d’arrêter le carrosse et s’est entretenu avec l’assemblée plusieurs minutes, leur donnant ses bénédictions pour un été reposant et de bons revenus.

Nous avons repris la route. Il semble que la scène avec Reb Peretz et Reb Mena’hem Mendel ait fait une profonde impression sur Père, car quand nous partîmes de Rudnia, il dit :

« Pendant cinq mille six cent soixante et une années, neuf mois, treize jours, quinze heures et tant de minutes, cet endroit particulier a attendu Peretz et Mendel. Il a attendu que Peretz et Mendel viennent s’y asseoir pour répéter des mots de la Torah et ainsi accomplir et révéler le dessein divin contenu dans la pensée céleste originelle de la création, qui est scellée dans la lumière divine infinie qui vient faire émaner les mondes, qui est cachée dans la lumière divine infinie qui vient exprimer l’essence de D.ieu. (Néanmoins, ajouta Père, cette volonté et cette connaissance céleste n’empiète en aucune façon sur la liberté de choix que le Tout-Puissant a accordée à chaque individu.)

« On ne peut pas imaginer l’immensité du plaisir que cela procure au Tout-Puissant. Il est difficile d’imaginer l’envie avec laquelle les Partsoufim célestes (les « configurations » des attributs divins) convoitent l’acte de ces maîtres d’école de Beshenkovitz. Les rabbis, dont les âmes sont au ciel, se réjouissent d’avoir de tels « petits-enfants ».

« Les enseignants ‘hassidiques sont les véritables luminaires des maisons juives. Ils sont les “Abraham” de leur génération, qui répandent la divinité dans les maisons juives. Rabbi DovBer de Loubavitch témoignait d’une plus grande considération pour les enseignants que pour les rabbins, et disait : “Ce sont les enseignants qui rendent les Juifs réceptifs au divin.” »

À ce stade, nous avons quitté la grand-route pour nous engager dans le chemin de terre. Bientôt, nous avons passé les rangées d’arbres et la maison sur la colline nous apparut. C’est notre logement dans la résidence de campagne de Serebrinka – puisse le Tout-Puissant couronner notre arrivée de succès.

Reb Guershon le forgeron a préparé la soupe et le lait, et les a placés sur la grande terrasse qui donne sur le terrain. Après avoir bu une tasse de soupe chaude, je suis allé visiter le parc... Et maintenant je suis assis et j’écris ; l’air est bon, et tout est calme et reposant.