Traduction libre d’un extrait d’une lettre écrite par le Rabbi à l’été 1963 à Shalom Levine, un éducateur israélien de renommée internationale :

Par la grâce de D.ieu,
2 Eloul 5723 [22 août 1963]
Brooklyn, NY

Salutations et bénédiction :

Après une longue interruption depuis notre rencontre, vous serez sûrement étonné de recevoir une lettre de ma part. Néanmoins, j’ai bon espoir que, tout comme notre entrevue et le contenu de notre discussion sont restés dans mon esprit, il en est de même pour vous, d’autant que notre échange a porté sur des sujets qui concernent le plus grand nombre et mérite donc d’être poursuivi.

En tout état de cause, la raison immédiate qui me conduit à vous écrire maintenant est la nouvelle diffusée par la presse selon laquelle vous avez été élu président de l’association internationale des enseignants, IFTA. Je souhaite donc vous exprimer mon souhait que vous vous serviez pleinement des possibilités nouvelles qui vous sont ainsi accordées dans un but de vérité : l’établissement de l’éducation adéquate dans tous les pays du monde et en particulier en notre Terre Sainte. En effet, de nouvelles fonctions entraînent de nouvelles responsabilités, et il est certain que la Providence divine accorde les moyens de les réaliser.

Pour faire suite à notre discussion, je me permets d’exprimer une idée, bien que celle-ci puisse ne pas sembler adaptée à l’occasion du fait du point douloureux qu’elle présente. Néanmoins, le verset affirme que « Dans toute tristesse, il y a un bénéfice »,1 le bénéfice étant, en l’occurrence, la leçon qu’elle contient et c’est à cela que je m’intéresse...

L’éducation a deux objectifs de base : a) transmettre des connaissances à l’élève ; b) éduquer l’élève à avoir un comportement correct dans sa vie future. Chacun de ces deux champs possède bien sûr de multiples ramifications ; s’agissant de l’aspect comportemental de l’éducation, il y a le champ des relations interpersonnelles, et celui du développement de la propre personnalité de l’élève, c’est-à-dire la manière dont il considérera ses propres pulsions et désirs.

Quand on observe les résultats des écoles publiques aux États-Unis et dans nombre de pays européens, et, de ce qu’on m’a dit, il en est de même en Terre d’Israël, on parvient à la conclusion que ces écoles ont eu un succès considérable dans le domaine de l’éducation qui concerne les relations sociales, réussissant à diminuer les facteurs de division entre les gens et à les rapprocher les uns des autres et à former les élèves à ce que l’on appelle de nos jours un comportement « démocratique » (ceci s’ajoutant à leur succès dans la transmission de connaissances). Bien sûr, il y a toujours des exceptions à la règle, des lieux où, délibérément ou non, les écoles ont été mises au service d’objectifs totalement opposés. Toutefois, le constat qui précède est vrai dans la majorité des cas.

Cependant – et c’est là le point douloureux –, cette même réflexion conduit également au constat que les écoles élémentaires publiques n’ont pas réussi dans le domaine du développement personnel des élèves, c’est-à-dire à les former à réfréner leurs envies. C’est seulement grâce à l’influence du foyer et de l’instruction religieuse que la jeunesse de cette génération n’a pas rejeté totalement les contraintes de la civilisation et n’a pas transformé le monde en jungle.

Il en résulte que, dans les pays où l’influence des parents a été affaiblie pour quelque raison que ce soit, on constate un accroissement disproportionné de la délinquance juvénile en comparaison avec d’autres endroits jouissant d’un système scolaire de qualité similaire.

Je n’ai pas les statistiques permettant d’étayer cette conclusion de manière chiffrée, mais étant un expert dans ce domaine, vous n’avez certainement pas besoin de « preuves » en la matière.

Ce constat n’a rien de surprenant. S’agissant de l’élargissement des connaissances de l’élève, il existe de nombreux moyens d’éveiller et d’encourager sa volonté de progresser et d’accomplir en lui en expliquant l’utilité aussi bien au présent que pour l’avenir proche. Il en est de même s’agissant de ses aptitudes sociales et démocratiques. Le simple fait qu’il doive interagir avec d’autres garçons et filles y contribue beaucoup. Il n’en est toutefois pas de même s’agissant de son autodiscipline morale. Cela ne peut pas venir naturellement de l’intérieur, comme dans la fameuse analogie selon laquelle une personne ne peut pas se soulever en tirant ses propres cheveux vers le haut, mais doit, pour cela, recourir à un point d’appui extérieur à elle-même.

Dans notre génération, nous avons pu constater, à notre grand désarroi, l’inefficacité de compter que l’élève « s’en remettra », pour guider sa vie, au sens de la justice et de la droiture transmis par son professeur, ou à l’influence de son grand frère ou même à la crainte du policier. D’une année à l’autre, les jeunes inventent de nouvelles ruses pour échapper à la crainte du policier et du juge et la plaie de la délinquance ne cesse de s’étendre. Quant à l’influence civilisatrice de la culture humaine, nous avons vu ce qui s’est passé en Allemagne, un pays dont la supériorité en matière de philosophie, et même de « philosophie morale », était de notoriété mondiale et qui, concrètement, a produit des générations de bêtes sauvages à forme humaine.

Il est clair qu’il n’y a pas d’autre moyen d’implanter dans le cœur des enfants et des jeunes une autodiscipline réelle et effective qu’à travers la crainte ou l’amour d’une force plus élevée que l’homme lui-même. C’est seulement de cette façon qu’ils peuvent être formés et éduqués à maîtriser leurs envies et leur volonté. Et cette éducation ne peut pas être repoussée jusqu’à ce que l’enfant ait dix-huit ans, ni même treize ans, en le laissant suivre les caprices de son cœur dans l’espoir que la crainte des institutions humaines le mènera sur le chemin du bien et de la droiture.

Il n’est d’autre solution que d’implanter dans le cœur des enfants, depuis leur plus jeune âge, une foi profonde en Celui qui a créé le monde et qui continue de le diriger aujourd’hui. Selon la formulation de nos Sages, il y a « un œil qui voit, une oreille qui entend et toutes tes actions sont consignées dans un livre »,2 un livre que l’on ne peut pas falsifier, un œil et une oreille que l’on ne peut pas corrompre ou abuser par quelques stratagèmes ou ruses que ce soit.

Or selon notre Torah, la loi de vie, cette foi en le Créateur et Dirigeant du monde est requise de tous les peuples du monde. De plus, (et dans certains cercles c’est l’argument qui prévaut,) cette foi est une nécessité rationnelle.

En conséquence, toute école, dès lors que son programme inclus l’« éducation » – morale tout autant que sociale – se doit d’intégrer cette foi parmi ses fondements, non pas comme sujet d’étude théorique, mais comme quelque chose qui concerne la vie quotidienne... Bien qu’il y ait des écoles n’ayant pas le terme « religieuse » dans leur dénomination, il est évident, sur la base de ce qui précède, qui la différence réside seulement dans le volume d’heures consacré aux matières religieuses. Mais si l’école est complètement dénuée de religiosité, à D.ieu ne plaise, il lui manque ce qui, en particulier dans notre génération, compte parmi les premières fonctions de l’école : éduquer l’élève à être un être humain digne de ce nom, à savoir distinct de l’animal. Et la première chose qui distingue l’homme de l’animal est que l’homme n’est pas asservi à ses instincts, ses tendances et ses désirs naturels et, au minimum, s’efforce de les réfréner et de les maîtriser.

Je me rappelle que vous m’avez dit, lors de notre discussion, que vous étiez seulement le secrétaire de l’association des enseignants de notre Terre Sainte, de sorte que les sujets dont nous avions discuté n’étaient pas de votre compétence. Il me semble vous avoir alors répondu que mon propos n’était pas de formuler une requête officielle, mais d’en appeler à vous en tant que personne possédant la possibilité et les facultés de trouver des moyens de corriger la situation actuelle qui, à notre grand désarroi, ne va pas en s’améliorant, bien au contraire. En tout état de cause, vous voilà désormais président, et encore, d’une organisation internationale !

Il peut sembler étrange que j’adresse cette demande à quelqu’un qui n’est pas membre d’un parti religieux, mais d’un parti socialiste... Mais il est certainement inutile d’expliquer que la situation actuelle n’a rien à voir avec le contexte dans lequel est né le socialisme, d’autant que, même à l’époque, l’idée reçue selon laquelle le socialisme impliquait un combat contre la religion était fausse.

J’espère donc que, même si après une première lecture de cette lettre, mon appel vous paraît quelque peu étrange, eu égard à l’importance de l’enjeu vous y réfléchirez de nouveau, sans idée préconçue, en reprenant point par point, auquel cas vous découvrirez certainement différents moyens d’agir en ce sens...

Je saisis cette opportunité pour vous remercier encore une fois de continuer à m’envoyer les publications de l’association des enseignants. J’espère que vous continuerez de le faire à l’avenir et je vous en remercie d’avance.3