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Dr. ________
New York, N.Y.
Bénédiction et salutations,
J’accuse réception de vos deux dernières lettres.
En référence à l’autre sujet de notre correspondance, à savoir ma suggestion que les protestations d’une personne contre D.ieu sont elles-mêmes la preuve de la croyance en l’existence de D.ieu, peut-être ne me suis-je pas expliqué de façon suffisamment claire, en ce que ce n’est pas tant la négation elle-même que je considère être une preuve, que la manière dont celle-ci est exprimée. Car, lorsque l’on affirme son athéisme une fois pour toutes, en affirmant que, désormais, on n’accordera plus de place à D.ieu dans ses pensées, son lexique et sa vie quotidienne, alors la question est réglée et close. Cependant, quand on affirme que D.ieu n’existe pas, mais en même temps lorsque l’on voit une injustice dans le monde on en éprouve de la douleur et on demande promptement : « Où est D.ieu ? », le fait de revenir sempiternellement sur ce thème est la preuve qu’au plus profond de son cœur, on croit en D.ieu, et c’est précisément la raison pour laquelle on se sent si blessé et indigné. Plus important encore, non seulement croit-on en un Être Surnaturel de manière générale, mais aussi en Celui qui possède toutes les qualités que les Juifs Lui attribuent, parmi lesquelles de s’intéresser aux affaires humaines, malgré le fait que « si tu es vertueux, que Lui apportes-tu ? » etc. En outre, il est un D.ieu qui intervient dans la vie quotidienne de chaque individu, au point même où Il écoute sa prière. Et la prière, telle que le Juif la conçoit, n’a pas pour objet de servir de tranquillisant ou de tout autre moyen de soulagement émotionnel susceptible de rencontrer l’approbation d’un psychiatre. Une telle tromperie est contraire à l’esprit de toutes les religions, et en particulier de notre Torah, qui est appelée Torat Emet [la Torah de vérité]. La Amida quotidienne comprend la prière pour recevoir « la sagesse, la compréhension et la connaissance » de la part de Celui « qui accorde avec grâce la connaissance », tout comme elle comprend la prière pour la guérison de la part de Celui « qui guérit les malades de Son peuple Israël », au sens premier de ces mots. Bien sûr, il n’est nullement nécessaire de me convaincre que nos prières comportent de profondes significations et allusions ésotériques dans le domaine de la Kabbale, etc, mais cela ne doit pas occulter le fait qu’elles sont avant tout l’expression directe de notre dépendance vis-à-vis de D.ieu pour la satisfaction de nos besoins élémentaires, « du pain à manger et des vêtements pour se couvrir ».
Je suis, bien sûr, au courant des objections soulevées contre ce qui précède, certaines d’entre elles mentionnées dans votre récent article et dans des articles antérieurs. Plus précisément, il est demandé comment il est possible qu’un Être censé être incorporel, sans forme, immuable, etc, se laisse influencer par des prières pour la pluie en temps de sécheresse, ou par d’autres demandes similaires ? Mais le fait que l’esprit humain ne puisse pas comprendre quelque chose ne prouve rien de plus que cela même : l’intelligence est limitée, et il nous a déjà été dit il y a longtemps qu’« Il est incompréhensible à ceux qui comprennent par les sens ». Il n’est donc pas nécessaire de ressasser un problème qui occupe les Juifs et les Gentils depuis la nuit des temps, et qui continue de nous interpeller aujourd’hui. Je suis certain que ce n’est pas à cause de cette question contrariante que l’incroyant a perdu la foi, mais au contraire : après qu’il ait perdu sa foi, il cherche à apaiser sa conscience en réchauffant ce problème.
Dans votre lettre, vous mentionnez à plusieurs reprises le cas d’Elicha ben Avouyah (« A’her »). Toutefois, les Sages du Talmud étaient généralement plus préoccupés par la halakha pratique, et il est clair que toutes les références à son sujet dans le Talmud ne sont pas destinées à nous donner une image complète de lui. Cependant, il ressort de la littérature disponible que son problème était plutôt qu’il fut dérangé par la question de la dualité (deux rechouyot), et non qu’il devint et demeura un athée convaincu.
En ce qui concerne mon attitude envers les jeunes hommes juifs qui fréquentent l’université, je n’ai qu’à présenter votre propre raisonnement à l’appui de ma position. Vous illustrez votre propos en disant que quand une personne contracte une maladie contagieuse, il doit se trouver quelqu’un prêt à prendre le risque d’essayer de le guérir, plutôt que de l’abandonner à son sort. J’emploierai la même analogie dans ma réponse à votre égard. Comme le veux la coutume chez les Juifs, je vais répondre à votre question par une question : avez-vous jamais rencontré une mère qui ait tenté de convaincre son fils de choisir comme carrière le domaine des maladies infectieuses, à l’exclusion de tout autre domaine, alors que lui-même voulait choisir un autre moyen de parnassah qui ne serait pas aussi dangereux que celui-là ? Pour affermir encore plus mon propos, que penseriez-vous d’une mère qui, pressant son fils de poursuivre cette carrière dangereuse, lui demanderait de commencer immédiatement en entrant quotidiennement en contact avec des gens ayant déjà contracté différentes maladies infectieuses, en s’imaginant que, d’une manière ou d’une autre, il finira par tomber sur les mesures à adopter pour se protéger de l’infection et, de cette manière, il deviendra un spécialiste de cette discipline, à même d’apporter secours et guérison aux infortunés malades ? Je crois qu’en pareil cas il n’échapperait à aucune mère que, si le danger est certain et immédiat, les chances que son fils devienne un spécialiste par cette méthode sont, au mieux, à des années de distance. L’analogie est évidente.
Avec ma bénédiction,
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