Dans un fascinant récit, le Talmud relate1 la singulière rencontre de Rabbi Yehochoua ben Lévi avec le Machia’h. Voici ce qui arriva : Rabbi Yehochoua rencontra tout d’abord le prophète Élie à l’entrée de la grotte où s’était caché Rabbi Chimone bar Yo’haï. Il lui demanda quand viendrait le Machia’h.
– Va donc le lui demander, lui répondit Élie.
– Mais où le trouverai-je ? demanda Rabbi Yehochoua ben Lévi.
– À la porte de Rome, fut la réponse d’Élie.
– Comment le reconnaîtrai-je ? demanda encore Rabbi Yehochoua.
– Il est assis parmi les pauvres affligés de maladies. Ceux-ci défont tous leurs bandages, soignent leurs plaies et refont ensuite tous leurs pansements. Le Machia’h agit différemment : il enlève un seul pansement, soigne la plaie qu’il recouvrait puis le remet en place. Il agit ainsi pour chacune de ses plaies, de sorte que, s’il est appelé pour délivrer le peuple d’Israël, il ne tardera pas.
Le Talmud raconte que Rabbi Yehochoua ben Lévi se rendit auprès du Machia’h et qu’il lui demanda :
– Quand viendras-tu, Maître ?
– Aujourd’hui, répondit le Machia’h à la grande joie de Rabbi Yehochoua.
Toutefois, le jour passa et le Machia’h ne vint pas. Rabbi Yehochoua ben Lévi s’en fut se plaindre auprès du prophète Élie que le Machia’h lui avait menti. Élie lui répondit que ce que le Machia’h voulait dire, c’était : « Aujourd’hui, si vous écoutez Sa voix. » (Psaumes 95, 7) Ainsi s’achève le récit de cette rencontre.
Par-delà la nature
Il est certainement inutile de préciser que cette histoire fait partie des paroles de nos Sages qui ne sont pas à interpréter de façon littérale. Il s’agit là d’une allégorie qui renferme en elle le mystère du Machia’h. Le Maharal de Prague2 jette sur celui-ci quelque lumière. Il prévient d’emblée que ce récit n’est pas à lire au premier degré : « Il ne s’agit pas d’un fait concret... car les paroles des Sages sont abstraites de toute considération matérielle. »
À quoi fait donc allusion ce récit ? Le Maharal explique que lorsque le prophète Élie dit à Rabbi Yehochoua ben Lévi de poser sa question directement au Machia’h, il l’engageait en fait à s’élever pour s’attacher au niveau spirituel du Machia’h. De même, quand Rabbi Yehochoua lui demanda en réponse où le Machia’h se trouvait, il lui demandait quel était le niveau spirituel du Machia’h. Élie répondit qu’il se trouvait « à la porte de Rome ». La porte est l’endroit où la maison se termine et où commence l’extérieur. « La porte de Rome » symbolise donc la chute de Rome ou, plus généralement, la chute du royaume d’Edom, la quatrième et dernière puissance maîtresse de l’exil des Juifs.3
Élie donne ensuite des signes révélateurs de la nature profonde du Machia’h : « Il est assis parmi les pauvres affligés de maladies. »
– « Les pauvres » symbolisent la séparation d’avec le monde, car les pauvres ne retirent pas de plaisir de ce monde.
– « Affligés de maladies » représente la guerre avec le monde naturel, car ils ont été meurtris par le monde.
Ainsi, dans les mots du Maharal, « le niveau du Machia’h ne relève pas du monde de la nature » et, de plus, « le monde de la nature s’oppose à lui ». C’est-à-dire que le Machia’h se tient intrinsèquement au-dessus des limites du monde naturel, ce qui entraine que le monde s’oppose à lui et lutte contre lui.
Il est prêt à venir aujourd’hui
Il existe cependant une différence entre « les pauvres affligés de maladies » et le Machia’h : s’ils sont tous « en dehors » du monde, les pauvres sont soumis à la nature, alors que le Machia’h en transcende toutes les limites. Cela s’exprime dans le fait qu’il défait un bandage et le refait aussitôt, ce qui montre qu’il est prêt à venir à chaque instant. Il ressort de cela que, même s’il semble que le monde naturel lutte contre lui et semble l’entraver, ce n’est pas un réel obstacle pour lui, car il est capable à n’importe quel moment de surmonter tous les obstacles et de mener à bien la Délivrance, car, comme nous l’avons dit, il transcende intrinsèquement toutes les limites du monde.
Lorsque Rabbi Yehochoua parvient à cette conscience et se lie au niveau du Machia’h, il arrive à la conclusion que c’est « aujourd’hui » qu’il vient. Car, du fait que rien ne saurait véritablement empêcher sa venue, il n’y a aucune raison que celle-ci n’ait pas lieu aujourd’hui même. D’où sa surprise que ce ne soit pas le cas. Il fait alors part au prophète Élie de son désarroi face à une situation qui lui semble illogique. Élie lui répond que, certes, en ce qui le concerne, Machia’h est prêt à venir aujourd’hui car ne saurait le retenir. Mais D.ieu veut que le monde soit prêt pour le recevoir et donc il vient « aujourd’hui, si vous écoutez Sa voix ».
Et rien n’empêche qu’« aujourd’hui » soit ce jour !
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