Certaines personnes ont du mal à assimiler l’idée d’un « roi messie », bien que, généralement parlant, elles acceptent l’idée de délivrance messianique. Elles croient ainsi que viendra une ère de paix et de fraternité universelles lors de laquelle s’accompliront les prophéties telles que « ils transformeront leurs épées en socs de charrue ».1 Ce qu’il leur est difficile d’admettre, c’est l’idée que tout ceci sera accompli par un être humain, le Machia’h.
On peut comprendre la base psychologique d’une telle réticence. Nous vivons une époque démocratique. Il n’y a plus de rois et l’époque où le peuple suivait aveuglément des « leaders » tout-puissants est également révolue. C’est aujourd’hui le citoyen qui est roi : c’est lui qui nomme les gouvernants et qui les remplace le moment venu. Il est compréhensible que quelqu’un qui a grandi à notre époque ait du mal à accepter l’idée qu’un homme de chair va devenir roi et exercer un pouvoir absolu, tel que le Machia’h est défini.
Cette vision des choses, selon laquelle la délivrance messianique se résume à l’avènement d’un « monde meilleur » constitue une dénaturation de la foi juive en la venue du Machia’h. On ne peut non plus l’accepter sous le prétexte que la Torah évoque le Machia’h par des allégories et des métaphores. Il y a certes des sujets qu’il est possible – voir qu’il convient – de percevoir sur le plan métaphorique. Par exemple, on peut interpréter le fameux « âne » du Machia’h comme symbolisant la matière, que « chevauche » le Machia’h,2 ou dans le sens d’un long processus qui s’inscrit dans les voies de la nature.3 Mais dénier à l’ensemble du sujet de Machia’h tout sens littéral est en totale contradiction avec la foi juive en la venue du Machia’h.4
Il y a également une idée populaire opposée, selon laquelle le Machia’h sera une figure céleste et spirituelle, une sorte d’ange qui apparaîtra soudainement pour rédimer le monde. Cette image aussi est en contradiction avec le personnage du Machia’h telle que les sources du Judaïsme le décrivent.
S’il existe dans la Torah et dans les enseignements de nos Sages nombre de sujets pouvant être compris sur un plan allégorique, ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de la Halakha, la loi juive. Lorsque la Halakha statue sur quelque chose, cela doit être compris dans son sens le plus littéral et le plus pratique. Or, l’avènement messianique est défini dans la Halakha de manière incontournable comme étant celui d’un être humain, un roi de la lignée du roi David, qui apportera la délivrance au peuple d’Israël et au monde entier.
Le Machia’h n’est pas une « ère »
Au début des lois relatives au Machia’h, Maïmonide ne laisse place à aucun doute :
« Le roi Machia’h se lèvera un jour pour rétablir la royauté de David en son état, comme lors de son institution »5
Le rôle du Machia’h est ainsi avant tout de rétablir la royauté de la dynastie de David. Il s’agit donc bien d’un roi, membre de cette dynastie, à travers lequel la royauté qui s’était éteinte en notre peuple sera restaurée. C’est également ainsi que l’a prophétisé Isaïe6 :
« Un rameau sortira de la souche de Jessé,7 un rejeton poussera de ses racines. »
Dès lors, le Machia’h, ce n’est pas une ère ou une époque, c’est un homme, un Juif, descendant du roi David.
Ainsi, la Délivrance sera le fait d’un homme qui deviendra roi et conduira le peuple, le « roi Machia’h ». Dans les mots de Maïmonide : il « amènera tout Israël à suivre les chemins [de la Torah] et à en fortifier les positions » : il « livrera les guerres de D.ieu » ; il construira le Temple ; il rassemblera les exilés d’Israël ; et il « préparera toute l’humanité à servir D.ieu de concert ».8
Toutefois, le règne du Machia’h se distinguera en cela qu’il sera exempt de toute soif de pouvoir et de toute motivation personnelle. Le Machia’h sera certes un homme, mais un homme empreint d’une grande puissance divine, comme le décrit le prophète Isaïe9 :
« Sur lui reposera l’esprit de D.ieu : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte de D.ieu. Animé ainsi de la crainte de Dieu, il ne jugera point selon ce que ses yeux croiront voir, il ne décidera pas selon ce que ses oreilles auront entendu. »
Il dirigera avec la plus grande droiture :
« Mais il jugera les faibles avec justice, il rendra des arrêts équitables en faveur des humbles du pays ; du sceptre de sa parole il frappera les violents et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. La justice sera la ceinture de ses reins, et la loyauté l’écharpe de ses flancs. »10
La raison de la création
Mais la question demeure : pourquoi la rédemption doit-elle se faire précisément par l’entremise d’un homme ? Pourquoi ne pourrait-elle pas prendre la forme d’une évolution globale de l’humanité vers les degrés de sainteté, de foi et de justice qui caractériseront l’ère messianique ?
De fait, cette question touche à la raison profonde de la création de l’homme et à celle de la fonction du peuple d’Israël dans le monde. Car on peut poser la même question sur la création de l’homme : D.ieu ne pouvait-il pas amener le monde à sa perfection sans pour cela recourir à l’homme ?
Mais D.ieu a expressément désiré que la Création soit raffinée et amenée vers sa perfection par les Enfants d’Israël – des êtres humains – qui accompliraient la Torah et les mitsvot et sanctifieraient ainsi le monde par leurs actions. C’est précisément à travers l’action d’hommes, âmes revêtues d’un corps, que s’accomplit la volonté divine de posséder une « résidence dans les mondes inférieurs ».11
C’est là l’unicité de l’homme, qu’à travers lui se manifeste la combinaison du divin et de la réalité matérielle. D’un côté, il est un être de chair, de l’autre, il est doté d’une âme divine. D’un côté, il est soumis aux limites de la nature, de l’autre, il a reçu le libre arbitre. Du fait que lui seul incarne le mélange de la sainteté surnaturelle et de l’existence physique, l’homme est seul à même d’effectuer la rencontre de la lumière infinie de D.ieu avec ce monde terrestre.
C’est chez le Machia’h que ce dualisme existera de la manière la plus parfaite. D’un côté, il sera un homme, tout ce qu’il y a de plus humain, et d’un autre, « sur lui reposera l’esprit de D.ieu ». Son action d’amener le monde à sa plénitude ne relèvera pas du miracle, d’une approche faisant fi de la réalité matérielle, mais sera la combinaison d’une action humaine avec l’énorme puissance divine qui se trouve en elle. C’est pourquoi c’est précisément lui qui sera en mesure de mener le monde à la rédemption et à la perfection, conformément à la volonté de D.ieu.
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