Nous ne savons pas de quelle manière se déclenchera la délivrance messianique ni comment le Machia’h se révélera. Mais malgré cela, la tradition nous permet d’avoir quelque idée du déroulement du processus messianique, car la délivrance d’Égypte constitue le précédent et le prototype de la délivrance future. La littérature talmudique et kabbalistique évoque à d’innombrables reprises la similitude entre ces deux événements, se basant essentiellement sur le verset de Michée : « Comme aux jours de ta sortie d’Égypte, Je lui montrerai des merveilles. »1
Le Sfat Emeth, par exemple,2 souligne qu’il convient de distinguer entre « la venue du Machia’h » et la délivrance proprement dite. Selon lui, de même qu’en Égypte Moïse vint dans un premier temps annoncer la délivrance du joug égyptien à venir et seulement ensuite eurent lieu les événements qui conduisirent à la Sortie d’Égypte, ainsi en sera-t-il de l’avènement messianique : en premier lieu le Machia’h annoncera au peuple juif que le temps de la délivrance est arrivé, mais sans qu’on en voie encore la concrétisation car celle-ci interviendra à une étape ultérieure.
Moïse dans la maison de Pharaon
Toutefois, le parallèle entre la délivrance d’Égypte et la délivrance messianique ne se limite pas au déroulement des événements, mais concerne également la figure du libérateur. De nombreuses sources comparent le goel richone, le « premier libérateur » au goel a’harone, le « dernier libérateur ». Les deux connaissent une période où ils sont révélés puis dissimulés, etc. Le lien entre eux est si étroit qu’il est dit : « Moïse est le premier libérateur et est le dernier libérateur. »3
L’un des aspects les plus surprenants dans le récit que fait la Torah de la vie de Moïse est que celui-ci fut élevé dans la maison de Pharaon. N’aurait-il pas mieux convenu, en effet, que Moïse, le maître de tous les prophètes, le libérateur d’Israël, grandît dans un saint et pur foyer juif ? Pourquoi fallut-il qu’il fût élevé dans la demeure de Pharaon, l’épicentre de l’impureté de l’Égypte ?
Le Midrache répond à cela de façon succincte : « La fille de Pharaon élève celui qui sera amené à faire payer son père. »4 et cite à ce propos le verset prononcé au sujet de ‘Hiram : « ...aussi ai-Je fait surgir un feu du milieu de toi »5. Par la suite, il enseigne qu’il en sera de même du Machia’h : « De même le roi Machia’h, qui sera amené à faire payer Édom, vivra avec eux dans la ville, comme il est dit : “...là-bas le veau viendra paître et là-bas il se couchera et il en broutera toutes les jeunes pousses.”6 » C’est-à-dire qu’aussi bien Moïse que Machia’h proviendront respectivement du royaume même qu’ils seront amenés à frapper.
Le Maharal de Prague développe abondamment ce sujet.7 Il relie cela avec le verset au sujet de Jacob : « Et sa main tenait le talon d’Ésaü. »8 Il explique que la sainteté et la kelipa – la force du mal9 – sont liées l’une à l’autre au point où c’est la kelipa elle-même qui donne à la sainteté la force de l’anéantir. À l’instar d’un fruit qui, « lorsqu’il est inachevé, se trouve dans son écorce, jusqu’à ce qu’il ait grandi et ait atteint sa plénitude ; puis, lorsqu’il est devenu grand, l’écorce tombe par la force de la croissance du fruit ».
« Il fera payer à Édom »
Ainsi Moïse, le libérateur d’Israël, devait-il grandir chez Pharaon, de sorte que s’accomplisse en lui qu’il « tenait le talon d’Ésaü » : il « tenait » la royauté égyptienne par son « talon », c’est-à-dire par son point de déchéance. C’est de là qu’il tira les forces qui lui permirent par la suite d’exercer sur elle le jugement divin.
Il en sera de même du Machia’h qui mettra un terme à la royauté d’Édom et fera disparaître l’esprit d’impureté de la terre : il devra pour ce faire connaître un processus dans lequel « il vivra avec eux dans la ville ». Le Maharal explique que, dans le verset d’Isaïe cité par le Midrache – « ...là-bas le veau viendra paître, et là-bas il se couchera » –, « le veau » désigne le Machia’h « avant qu’il n’ait atteint toute sa grandeur, tel un veau dont la croissance n’est pas achevée ». Au sujet de cette période, il est dit « là-bas le veau viendra paître » : c’est précisément de « là-bas » qui tirera ses forces. Puis finalement, « il en broutera toutes les jeunes pousses » : il anéantira la royauté d’Édom et fera disparaître l’esprit d’impureté de la terre.
Et le Maharal d’achever son explication sur ces mots : « Ce sujet est mystérieux même pour ceux qui comprennent... car il est d’une grande profondeur. »
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