Eikev – L’affection et l’amour

Dans la troisième partie du Deutéronome, Moïse poursuit son deuxième discours d’adieu au peuple juif. Il y exhorte à observer même les commandements qui seraient en apparence mineurs, que, au sens figuré, on piétinerait du talon (eikev, en hébreu). Puis il continue son rappel des événements survenus tout au long des quarante ans où le peuple juif voyagea à travers le désert, en mettant l’accent sur les leçons à en tirer.

La paracha d’Eikev commence ainsi : « Si vous écoutez… » Comme on l’a expliqué, la perception que nous offre le sens de l’ouïe est inférieure à celle que nous fournit la vue. En effet, le nom de cette paracha, Eikev, signifie littéralement « talon », l’extrémité inférieure du corps, sans doute sa partie la moins sensible.1 D’ailleurs, l’ouïe requiert de nous davantage d’effort d’interprétation que la vue. Nous sommes plus fermement convaincus de la vérité de ce que nous avons vu que de ce que nous avons simplement entendu. L’acquisition de connaissances au moyen de l’ouïe exige ainsi plus d’efforts.

Il en est de même pour la perception du Divin à travers la « vue » comparativement à celle obtenue par l’« ouïe ». L’avantage d’atteindre la conscience divine par l’« ouïe » est que cette démarche requiert que nous pénétrions plus profondément dans notre personnalité, nous obligeant à forger une relation plus profonde avec D.ieu que celle accomplie au moyen de la « vue ». « Voir » le Divin est quelque chose de plus direct, de plus immédiat et de plus exigeant, mais, dans le même temps, de plus insaisissable. En revanche, l’acte d’« écouter » le Divin nous oblige à creuser plus profondément, à revoir tout notre système de croyances jusqu’à atteindre le fondement même de notre âme Divine, qui devient ensuite la base de notre engagement à notre mission Divine dans la vie.

C’est peut-être pour cela que le verbe « écouter » signifie non seulement « entendre par l’oreille », mais également « obéir ». Lorsque nous « écoutons » une vérité depuis les fibres mêmes de notre être, nous nous engageons dans cette vérité.

Fait paradoxal, c’est alors l’ouïe, plutôt que l’expérience de la vue, qui nous permet de nous engager de tout notre cœur dans notre appel du Divin. C’est l’une des raisons pour lesquelles le mot pour « si » dans la phrase d’ouverture de cette paracha (« Si vous écoutez… ») signifie littéralement « talon » : comme nous l’avons noté, le talon (eikev) est le membre le moins sensible du corps. Il constitue donc une métaphore de l’engagement brut, la forme d’accomplissement de notre mission Divine la moins engageante du point de vue émotionnel.

L’engagement pur et simple et l’autodiscipline, pour essentiels qu’ils soient en tant que fondements de notre relation avec D.ieu, ne sont pas destinés à devenir la totalité ou la quintessence de cette relation. Nous sommes appelés à passer de l’« ouïe » à la « vue », dans la mesure où l’expérience de la vue dépasse notre entière conscience ; les facultés de l’intellect, l’émotion et l’expression seront ainsi imprégnées de cette énergie accrue. Le point culminant de ce processus est mentionné dans la paracha suivante, Reé, qui commence par les mots : « Voyez, j’ai placé devant vous en ce jour… ».2 La promesse implicite est que si nous « écoutons » d’une façon totale et véritable, comme le détaille la paracha d’Eikev, même dans le contexte d’exil auquel nous circonscrit « l’ouïe » nous sera accordée la possibilité d’expérimenter consciemment la vue divine qui est implantée en nous de façon subconsciente. Néanmoins, c’est le travail que nous faisons par l’« écoute » qui permet ensuite à notre « vue » de rester un trait permanent de notre psychisme, plutôt qu’un aperçu éphémère de la réalité supérieure qu’elle représente.

Ainsi, dans cette paracha Moïse poursuit son examen de l’histoire juive par les conséquences immédiates du don de la Torah (qu’il a relaté dans Vaét’hanane) : l’épisode du veau d’or, le mécanisme du retour à D.ieu et la réconciliation avec Lui – la techouva. La techouva est le thème sous-jacent à tout le Deutéronome, mais elle connaît ici une emphase toute particulière parce que c’est la lutte pour « entendre » D.ieu, plutôt que l’extase de Le « voir », qui caractérise le processus de techouva.

Dès lors, la phrase d’ouverture de cette paracha est interprétée dans le Midrach comme une référence allégorique à l’ère messianique.3 C’est parce qu’« entendre », en plus de nous conduire à « voir », nous prépare à la Délivrance messianique à venir. Comme il a été souligné, « entendre » – à savoir, amener la conscience divine jusqu’à notre « talon » – nous permet d’atteindre notre essence. De fait, le résultat et la récompense pour avoir manifesté notre essence divine est la révélation de l’essence de D.ieu, qui se produira après la Délivrance ultime.4