4:1 Et à présent, Israël. Comme il a été noté auparavant,1 le nom Israël désigne le vainqueur dans la bataille, celui qui « a lutté contre D.ieu et contre les hommes et a vaincu ».2 C’est bien « à présent », c’est-à-dire dans l’ordre actuel des choses – où notre âme divine doit se battre contre les pulsions innées de notre âme animale – que le peuple juif est nommé Israël en raison de sa victoire dans cette lutte. Or dans le monde futur, lorsque la réalité matérielle révélera sa véritable source divine et que cette bataille sera superflue, le peuple juif ne sera plus désigné par ce nom. Il nous a été enseigné que, puisque l’âme divine pourra alors se manifester librement, les justes seront identifiés en utilisant le Nom de D.ieu Lui-même – chaque Juif sera un canal transparent pour la Divinité dans le monde.3

4:4 Qui êtes vivants. La Torah nous enseigne ici que notre véritable individualité dépend strictement de la profondeur de notre attachement à D.ieu. Ce que nous confondons normalement avec notre personnalité est en réalité notre côté secondaire, animal. Puisque nous partageons les mêmes pulsions animales avec le reste de l’humanité, la personnalité née de ces pulsions est tout au plus une variation sur le thème commun que vit chacun.

Ainsi, l’individualité apparente qui ressort de cet aspect de notre personnalité est en fait une illusion.

En revanche, puisque D.ieu est infini, les voies par lesquelles Sa Divinité peut se manifester à travers nous sont également infinies ; aussi, c’est notre personnalité divine qui nous rend vraiment uniques. Il s’ensuit donc que, plus nous permettons au côté animal de notre personnalité de se dissoudre en nous rapprochant de D.ieu, plus nous permettons à notre personnalité divine unique de briller.4

4:35 Il a “ouvert”… puis “déchiré”. La différence de base entre les mondes spirituels (« ciel ») et l’univers matériel (« terre ») est que les premiers manifestent chacun le Divin à son propre niveau, tandis que le second nie le Divin, au moins a priori. Par conséquent, afin de montrer au peuple qu’Il est la seule présence dans les mondes spirituels, D.ieu n’avait qu’à « ouvrir » ces mondes, c’est-à-dire les débarrasser tout simplement de leur opacité spirituelle naturelle, permettant au peuple de « voir » comment les mondes spirituels manifestent le Divin. En revanche, pour montrer au peuple Sa présence dans la réalité matérielle et leur démontrer qu’elle est la seule vraie réalité – soit que tous les mondes (du haut en bas jusqu’en à arriver au nôtre, l’univers matériel entier) ne sont en fait qu’une partie de Son essence –, D.ieu devait « déchirer » le ciel et la terre, autrement dit renverser la façade extérieure de l’existence indépendante qui imprègne toute la hiérarchie de la création.

En nous montrant les deux aspects de Son lien à la réalité, D.ieu nous permet de nous relier à Lui de ces deux mêmes manières générales :

• Révéler Sa présence dans la hiérarchie spirituelle de la création nous permet d’élever tous les aspects de la vie à leur source divine en les orientant vers leur but divin, dévoilant ainsi leur véritable essence divine intérieure. Cela inclut la capacité d’affiner notre intellect et nos émotions en les concentrant sur D.ieu à travers la méditation sur Sa création et Sa providence.

• Révéler Son essence au-delà de la Création nous permet de dépasser les limites de la nature en répondant aux défis majeurs par le don de soi, c’est-à-dire en dépassant (« déchirant ») les limites imposées par notre intellect et nos émotions, ainsi que par nos instincts, pour assurer notre conservation et notre bien-être matériel.

Ce dernier processus fonctionne également en sens inverse : pour pouvoir surmonter les défis et les épreuves de notre vie, il suffit de se rappeler que « rien d’autre n’existe que Lui », autrement dit que rien ne peut constituer un obstacle réel à l’accomplissement des desseins de D.ieu puisque, en dernière analyse, tout fait partie de Son essence. Évoquer cela élève notre conscience divine au point qu’elle parvient à percevoir véritablement l’essence de D.ieu partout. Ceci contribue alors à hâter la Délivrance messianique, lorsque « la gloire de D.ieu sera révélée et toute chair la verra ensemble ».5

4:35, 39 Il n’y a pas d’autre existence en dehors de Lui… il n’y a pas d’autre réalité. Dans le verset 35, Moïse explique au peuple que, lorsque D.ieu fit don de la Torah, Il montra qu’il n’y avait pas d’autre réalité que Lui. Dans le verset 39, Moïse leur dit qu’ils ne doivent pas se complaire dans le souvenir de cette révélation, mais y répondre en s’efforçant de connaître D.ieu par eux-mêmes.

Ainsi, dans le verset 35 ne sont pas mentionnés « le ciel et la terre » (comme c’est le cas dans le verset 39) parce que, lorsque D.ieu retira le voile de la réalité pour montrer au peuple qu’elle n’est rien d’autre que Lui, l’accent était mis sur Sa présence plutôt que sur la nature de la réalité : la force de la révélation de D.ieu devint si écrasante que toute autre réalité s’évanouit totalement de la conscience de chacun. En revanche, lorsque nous aspirons à la connaissance de D.ieu par notre travail depuis notre perspective terrestre, la nature de la réalité devient une question très pressante, d’où la nécessité d’amener la conscience que « l’Éternel est D.ieu » dans « le ciel en haut comme ici-bas sur terre ».

C’est pour cette même raison que le verset 35, décrivant la manifestation de D.ieu, se conclut par la phrase : « Il n’y a pas d’autre existence en dehors de Lui », impliquant par-là que, par rapport à cette révélation, il n’y a vraiment rien d’autre que D.ieu ; par contre, le verset 39, qui décrit notre ascension vers la connaissance du Divin, se termine juste par les mots : « Il n’y a pas d’autre réalité », ce qui implique que, de notre point de vue, il se trouve certes une réalité « en dehors de Lui », mais que nous sommes conscients qu’elle n’existe pas vraiment de manière autonome.

La conscience divine qui nous a été accordée lors du don de la Torah était plus élevée que toute conscience divine que nous aurions pu atteindre tous seuls, puisque la première a été suffisamment puissante pour anéantir toute conscience de la réalité créée, tandis que la seconde ne l’est pas. En outre, c’est un exploit bien plus grand de voir D.ieu en tout lorsqu’on œuvre dans l’obscurité spirituelle initiale de notre monde matériel que de Le voir en tout alors que tout a déjà été dissous dans Sa présence indépassable. En fait, voir D.ieu en toute chose sans perdre pour autant la conscience du monde n’est possible que lorsque nous contemplons le monde du point de vue de l’essence de D.ieu (plutôt que de celui de toute révélation de Lui, aussi sublime soit-elle), car l’essence de D.ieu transcende la dichotomie révélation/dissimulation.

Le verset 39 décrit ainsi l’ascension progressive vers la conscience divine que nous sommes appelés à suivre : nous devons d’abord « connaître » D.ieu par la recherche intellectuelle, c’est-à-dire par la méditation sur Sa présence dans le monde. Puis nous devons parvenir au stade – bien plus ardu – de « Le voir dans notre cœur », c’est-à-dire rendre cette réalité concrète au point de nous y impliquer émotionnellement. La Torah décrit ensuite comment le contenu de notre méditation s’élève lui aussi progressivement : premièrement, nous réalisons que « l’Éternel est D.ieu », c’est-à-dire que D.ieu est à la fois transcendant et immanent. Nous devons comprendre ensuite que la transcendance de D.ieu régit les mondes spirituels (« dans le ciel en haut »), ce qui est relativement aisé à concevoir ; puis qu’elle gouverne l’univers matériel (« ici-bas sur terre »), ce qui est plus difficile à saisir. De là, nous devons nous élever à la conscience que la réalité, si elle existe, existe entièrement grâce à D.ieu, et n’est donc rien d’autre qu’une expression du Divin (« il n’y a pas d’autre réalité »).6

4:41 Moïse décida de désigner. Moïse savait que ces villes ne commenceraient pas à fonctionner comme des villes de refuge avant que soient désignées celles se trouvant plus tard à l’ouest du Jourdain, mais il fut d’avis que leur désignation à ce moment-là épargnerait à Josué la tâche de le faire. Il savait de même que la désignation des villes de refuge est un commandement qui ne peut s’exécuter que sur la terre d’Israël, et, puisque D.ieu ne lui permettait pas d’y accéder, il n’était pas sûr (a) que ses actions seraient valables au sens juridique, ou (b) que D.ieu voudrait qu’il fasse cela. Néanmoins il les désigna, espérant ainsi accomplir ce commandement au moins en partie.7

4:42 Et vivra. Celui qui avait commis un meurtre involontairement devait demeurer dans une ville de refuge. Il n’était pas autorisé à en sortir, car dans ce cas il s’exposait à la vengeance d’un parent de sa victime, qui était légalement autorisé à le tuer. Le meurtrier involontaire n’avait pas la permission de sortir hors de sa ville de refuge, pas même pour sauver la vie de quelqu’un.

De manière analogue, on peut dire que la Torah est notre « ville de refuge ». À l’intérieur de la Torah et du mode de vie que D.ieu nous prescrit, nous sommes spirituellement vivants ; si nous nous aventurons en dehors des limites du mode de vie préconisé par la Torah, nous nous exposons au risque de mort spirituelle.

Cela est vrai même lorsqu’il semble que nous puissions sauver quelqu’un du danger spirituel en faisant des compromis avec les directives de la Torah. La Torah est synonyme de vie, de sorte que ce n’est que par la fidélité à ses principes que nous pouvons à la fois maintenir notre vitalité spirituelle et préserver ou renforcer celle d’autrui.8

5:6–19 La répétition des Dix Commandements. Dans cette paracha, Moïse décrit comment D.ieu donna les Dix Commandements la première fois, avant la faute du veau d’or. Néanmoins, son récit a lieu longtemps après que D.ieu eut remplacé les premières tables par les secondes. Aussi, sa répétition des Dix Commandements exprime l’état spirituel de la réalité telle qu’elle se trouvait incarnée dans les secondes tables.9

En d’autres termes, bien que Moïse s’adresse aux membres de la génération qui n’a pas été témoin de la révélation au mont Sinaï et vit dans la réalité d’après la chute de la conscience spirituelle, il leur enseigne qu’ils doivent toujours nourrir une vision intacte de la réalité, celle d’avant la chute. Le rappel de cet état spirituel originel et idéal sera essentiel à leur succès dans leurs confrontations de l’autre côté du Jourdain, autant qu’au juste discernement de leur propre réalité existentielle.10

5:19 Une voix puissante, qui se s’arrêtait pas. Une des significations de l’expression « qui ne s’arrêtait pas » est que la voix de D.ieu au mont Sinaï continua – et continue toujours – d’être révélée dans les prophéties et les enseignements des prophètes et des sages de chaque génération.11 Le fait que ces prophéties et enseignements n’aient pas été explicitement exprimés lorsque la Torah fut donnée pour la première fois est simplement dû au fait que le monde et le peuple juif n’en avaient pas encore besoin. Elles se trouvaient cependant implicites dans la révélation originelle de la Torah.

Comme on l’a dit,12 D.ieu S’adressa sur le mont Sinaï à chaque Juif, un à un. Dans le même sens, les paroles de chaque prophétie et de chaque enseignement prononcées par un vrai sage de la Torah sont adressées à chaque Juif individuellement.

Une autre signification au fait que les paroles de D.ieu « ne s’arrêtaient pas » est qu’elles ne retentissaient pas en écho.13 Il est vrai que l’absence d’écho est généralement le signe d’un son faible et non d’une « voix puissante ». Ici, cependant, l’absence d’écho indique que la voix de D.ieu ne fut pas répercutée par les montagnes mais que celles-ci l’absorbèrent.

Dans la mesure où le spirituel et le matériel constituent deux faces distinctes de la réalité, nous ne nous attendons normalement pas à ce que la spiritualité de la Torah soit absorbée par la réalité matérielle. Cependant, dès lors que D.ieu révéla Son essence au mont Sinaï et que Son essence transcenda la dichotomie habituelle du spirituel et du matériel, cette révélation parvint à imprégner la dimension matérielle de l’existence.

Sur la base de ce que nous avons expliqué auparavant, la raison pour laquelle ces détails de la révélation qui eut lieu au mont Sinaï sont fournis précisément ici et non dans la description de l’événement que nous offre la paracha de Yitro, apparaît clairement. La génération de la conquête était sur le point d’entreprendre un long voyage dans l’histoire, un voyage qui l’emmènerait, elle et ses descendants, loin du souvenir originel de la voix de D.ieu retentissant sur le mont Sinaï. Comme ce souvenir s’estomperait avec le passage du temps, il était d’importance majeure que ces descendants gardent la conscience qu’elle continuerait de leur parler par l’intermédiaire des prophètes et des sages de chaque génération.

D’autre part, alors que le peuple juif était sur le point de passer de son existence spirituelle dans le désert à son existence matérielle sur la terre d’Israël, il fallait lui rappeler que la voix de D.ieu et la Torah imprègnent toute existence, et que tout, même le royaume de l’inanimé, est empli de la conscience de D.ieu à l’état latent. Rien de ce qui existe dans le réel ne saurait être un moyen de dissuasion pour l’accomplissement de la volonté de D.ieu ; si cela semble en être ainsi, il s’agit juste d’une apparence, d’une épreuve pour notre détermination et notre dévouementà notre destin divin. En abordant la Torah et son mode de vie comme une rencontre avec D.ieu Lui-même, nous continuons à faire pénétrer Sa voix dans toute la réalité, faisant ainsi du monde une demeure pour Lui et accomplissant le but de la Création.14

6:4 Écoute, Israël. Ce verset, connu sous le nom de Chema d’après son premier mot en hébreu, est l’énoncé de base du monothéisme juif. Ce verset proclame en substance que D.ieu est la seule et unique Divinité, et qu’en outre il n’existe aucune puissance mineure avec laquelle D.ieu partagerait Sa juridiction et Sa domination sur toute la création.15

Mais, sur un plan plus profond, ce verset décrit la relation de D.ieu avec la création entière et les implications que cette relation a dans notre vie.

Comme cela a été mentionné plus haut,16 l’existence de D.ieu n’est pas quelque chose qui puisse être prouvé de manière concluante par la logique. C’est la raison pour laquelle D.ieu Se montra (pour ainsi dire) lors du don de la Torah, imprimant la mémoire de cette révélation sur toutes les âmes juives, présentes – nous enseigne-t-on – sous une forme ou une autre à cette occasion.17 Bien que cette certitude de l’existence de D.ieu puisse être masquée par le penchant disproportionné vers la perspective matérielle de la création inhérente à toutes les créatures matérielles, nous pouvons toujours la récupérer par la méditation sur la vraie nature de l’existence et « redécouvrir » ainsi D.ieu au sein du monde, car, tout comme un regard superficiel sur le monde dément l’existence de D.ieu, un regard attentif nous confirme Son existence. C’est bien ce que signifie la Torah quand elle nous demande de connaître l’existence de D.ieu : retrouver la conscience de cette vérité parfois obscurcie.

Cependant, comme cela a également été mentionné, cette connaissance de l’existence de D.ieu ne s’applique qu’à D.ieu le Créateur, autrement dit à Son immanence au sein de la création, qui l’engendre et en garantit le maintien en permanence. Il se trouve en outre un aspect de D.ieu qui transcende le contexte de la création et qui n’a été en rien changé ou affecté par la création de la réalité. C’est en cette dimension transcendante de D.ieu que nous sommes tenus de croire, car la connaissance directe devient à présent hors de portée.

Les deux noms de D.ieu les plus couramment utilisés dans la Torah se réfèrent à ces deux aspects de Lui. Le nom Elokim fait référence à la Divinité immanente, Qui façonne la création, tandis que le nom Havayah fait référence à la Divinité transcendante, Qui se déploie en dehors du contexte de la création. Ainsi, le Chema est premièrement un rappel que « l’Éternel [Havayah] est notre D.ieu [Elokim] », c’est-à-dire qu’en tant que Juifs nous possédons la croyance, innée et inébranlable, que D.ieu n’est pas seulement immanent mais également transcendant. De plus, nous ne sommes pas seulement enjoints de croire à la transcendance de D.ieu, mais également de la connaître. C’est pour cela que le verset poursuit par les mots « l’Éternel est un ».

L’adjectif « un » peut décrire :

• une entité parmi d’autres (« il est l’un d’eux ») ;

• une unité composée de parties (un corps constitué de plusieurs membres et organes) ; ou

• une entité unique (« une seule et unique »).

Bien que D.ieu soit certainement « un » dans le troisième sens, comme on l’expliquera, lorsque nous disons que « D.ieu est un » nous entendons « un » dans le deuxième sens, car l’intention qui sous-tend ces mots est que le monde et tous sesconstituants, plutôt que d’être des entités individuelles et disparates, font en réalité partie de D.ieu.18 Cette réalisation découle logiquement de la conscience du caractère transcendant de D.ieu, car, lorsque nous affirmons que D.ieu transcende l’univers, nous ne voulons évidemment pas dire qu’Il le fait dans un sens matériel, car D.ieu n’est pas corporel. Au contraire, nous voulons dire que D.ieu, tout comme Il est présent à l’intérieur et à travers la création, S’en trouve en même temps au-delà et n’est pas affecté par elle, nullement soumis aux limites du temps et de l’espace.19 De ce point de vue, la création du monde n’a provoqué en D.ieu aucun changement ; Il est le même après la création qu’avant la création – car Il remplit chaque instant du temps et chaque point de l’espace. Lorsque nous contemplons le monde depuis cette perspective, nous ne voyons plus d’arbres et de tables ; nous ne voyons que D.ieu. D.ieu est tout.20

Les implications d’une telle vision du monde ont une portée radicale. Si D.ieu est tout, la possibilité de l’égocentrisme ou même de la conscience de soi cesse d’exister. Les anciens intérêts personnels et les questions pressantes se dissolvent face à notre conscience divine globale. L’importance et la signification que nous accordons normalement au monde, et l’attention et le dévouement que nous lui permettons d’habitude de réclamer, se dissolvent dans le néant. Plus aucun obstacle apparent que le monde prétendrait poser à l’observance de la Torah ne nous perturbera,21 car – comme l’implication inverse de ce que nous avons dit plus haut – nous verrons bien des arbres et des tables mais nous saurons qu’en fait, c’est D.ieu Que nous voyons sous la forme d’arbres et de tables. Nous pourrons vraiment « connaître D.ieu dans toutes nos voies »,22 car tout est D.ieu.23

Moïse savait – tout au moins dans l’ordre pré-messianique actuel – que nous ne sommes pas capables de soutenir un degré de conscience divine à ce point élevé. Cependant, il fut d’avis que la méditation à ce sujet nous inspirerait au moins à aimer D.ieu, nous fournissant toute la motivation nécessaire pour mener une vie totalement dévouée à Lui et à Sa loi.

Or les sages comprirent que cela n’était pas suffisant. Aussi, ils instituèrent une déclaration supplémentaire pour accompagner notre récit du Chema : « Que le nom de la gloire de Son royaume soit béni pour toujours et à jamais. »24 Cette déclaration nous invite à nous centrer sur l’immanence de D.ieu plutôt que sur Sa transcendance. Notre attention est moins attirée par la méditation sur D.ieu Lui-même que sur Son « Nom », Sa « gloire » et Son « royaume », qui représentent les traces de D.ieu qu’il nous est donné de percevoir dans notre existence terrestre. (Le nom d’une personne ne fait nullement partie de la personne elle-même ; la « gloire » de son nom est encore plus éloignée d’elle ; le « royaume de la gloire de son nom » est encore plus lointain.)25 En méditant sur la façon dont D.ieu Se manifeste à travers la création, nous rappelons comment l’existence de tout, y compris de nous-mêmes, dépend de la Sienne (puisque cette conscience est contraire à notre intuition par rapport à la vue superficielle du monde, elle est formulée comme une prière afin qu’elle soit pour toujours « bénie », c’est-à-dire retenue dans notre conscience).26 En méditant sur la façon dont il suffit d’une simple lueur de l’énergie créatrice de D.ieu – le « nom de la gloire de Son royaume » – pour animer la création entière, nous réalisons à quel point notre sentiment complaisant du moi est un leurre.27

Les implications de cette vision du monde, bien qu’elles soient, au même degré, universelles, sont moins radicales que celles de la vision du monde basée sur la transcendance de D.ieu. Ici, nous sommes pleinement conscients de notre existence et nous nous sentons comme des agents libres, séparés de D.ieu. Néanmoins, notre connaissance de la nature contingente de notre existence nous amène et nous oblige à nous soumettre à Sa volonté.

Le Zohar appelle la conscience de l’unité que constituent D.ieu et la création vis-à-vis de Sa transcendance « la plus haute [perception de] l’unité [de D.ieu] » (יחודא עילאה), et la conscience de l’unité de D.ieu et la création vis-à-vis de Son immanence, « la plus inférieure [perception] de l’unité [de D.ieu] » (יחודא תתאה).28 Dans « l’unité supérieure », la création entière est unie à D.ieu par le fait que tout ce qu’elle renferme est bien une manifestation de Lui ; dans « l’unité inférieure », tous les éléments constitutifs de la création se trouvent unis à D.ieu par la vertu de la dépendance de leur existence à la Sienne.

Les sages insistent pour que nous méditions à l’» unité inférieure » après nous être centrés sur l’» unité supérieure », car, comme nous l’avons dit, notre perception de l’» unité supérieure » s’apparente à celle du sens de l’ouïe, qui a pour inconvénient le fait d’évoquer une réponse émotionnelle beaucoup moins intense que le sens de la vue.29 En revanche, puisque notre perception de « l’unité inférieure » est semblable à la vue, nous pouvons parvenir davantage à nous éveiller à l’amour de D.ieu en contemplant « l’unité inférieure », c’est-à-dire par la méditation centrée sur l’immanence de D.ieu dans la création.

Néanmoins, la méditation sur « l’unité inférieure » doit avoir lieu après la méditation sur « l’unité supérieure » parce que le contraste dans la façon dont nous percevons ces unités vise à éveiller en nous un désir extatique de faire l’expérience de « l’unité supérieure » avec la même intensité que nous pouvons ressentir en faisant l’expérience de « l’unité inférieure » – autrement dit, de faire l’expérience de la conscience divine qui façonnera le monde dans le futur messianique.30

Il existe bien un troisième niveau de conscience divine, au-delà de « l’unité inférieure » comme de « l’unité supérieure ». À ce niveau, non seulement l’existence de tout ce qui est créé dépend de la création de D.ieu ; non seulement D.ieu est tout ce qui existe parce que tout ce qui est créé fait partie de Lui ; D.ieu est tout ce qui existe parce que le créé n’existe pas. Une formulation convenable de cette idée serait d’appeler D.ieu « unique » (יחיד) plutôt que simplement « un » (אחד). Telle est la perspective de la réalité du point de vue de l’essence de D.ieu, qui se trouve au-delà de toute idée de création.31

Il est important de comprendre que la vérité de cette troisième perspective ne dément pas la vérité – certes paradoxale – des deux autres. C’est dire que notre monde, tel que D.ieu l’a créé, existe sûrement, et les deux perspectives reconnaissant cette réalité sont conçues pour être les objectifs de notre quête de la conscience divine. C’est la raison pour laquelle la Torah nous enseigne à méditer sur le fait que D.ieu est « un » plutôt que sur le fait qu’Il est « unique ».

De plus, la perspective que D.ieu est un avec Sa création est en un sens encore plus élevée que celle montrant que la création est une illusion, car cette dernière admet que la pluralité de la création contredit en quelque sorte l’unicité de D.ieu, tandis que la première ne peut être vraie que si nous affirmons que D.ieu transcende la dichotomie unicité/pluralité. Ainsi, même si la perspective selon laquelle D.ieu et Sa création font un n’est pas la perspective de l’essence de D.ieu, elle insiste plus fortement sur Son essence que sur la perspective centrée elle-même sur l’essence de D.ieu (pour qui la création est une illusion) ! C’est également pour cette raison que la Torah nous invite à méditer sur le fait que D.ieu est « un » plutôt que sur le fait qu’Il est « unique ».

Néanmoins, cet avantage de « l’un » par rapport à « l’unique » ne devient apparent qu’après avoir pris conscience de ce dernier caractère : pour percevoir que D.ieu transcende la dichotomie de l’unité et de la pluralité, nous devons d’abord ressentir qu’une telle dichotomie existe, et qu’il y a un avantage de l’unité sur la pluralité.32 La perspective selon laquelle D.ieu est en fait tout ce qui existe est ainsi évoquée dans le Chema par la première mention du Nom de D.ieu. Dans ce contexte, le Chema peut se lire ainsi : « Écoute, Israël. L’Éternel, [dont rien n’existe devant Son essence,] [Se contracte par Son Nom Elokim afin de devenir] notre “D.ieu”, [puis crée le monde, mais reste toujours le D.ieu transcendant], D.ieu [qui Se manifeste de façon égale dans la création entière, rendant ainsi toute chose] un [c’est-à-dire faisant partie de Lui]. »33

Ainsi, l’affirmation du monothéisme contenue dans le Chema inclut, à un degré plus profond, la croyance que tout ce qui est créé fait partie de D.ieu. Il s’ensuit que la négligence à méditer sur cette croyance et l’intérioriser constitue une forme subtile d’idolâtrie ; notre mission de rejeter les idoles se voit ainsi élargie pour inclure celle de rejeter toute existence indépendante en dehors de D.ieu.

Cette croyance a toujours fait partie intégrante du judaïsme ;34 ce furent les contraintes de l’histoire qui poussèrent vers sa formulation explicite avec l’avènement du mouvement ‘hassidique. Nous sommes donc tenus d’intégrer cette « nouvelle » compréhension du Chema dans notre vie, tout comme nous sommes tenus d’intégrer toutes les autres facettes latentes de la Torah qui se révèlent au fur et à mesure que progresse l’histoire.35

6:5 Tu aimeras. Celui qui aime D.ieu n’a pas besoin qu’on lui demande de L’aimer ; celui qui n’aime pas D.ieu ne L’aimera pas, même si on le lui demande. Aussi, Maïmonide36 et le Baal Chem Tov37 expliquent ce verset comme un commandement et une promesse en même temps. Il nous est ordonné de méditer sur l’unicité de D.ieu, comme il est décrit dans le verset précédent. Si nous méditons profondément sur sa signification, nous sommes assurés que nous en viendrons à aimer D.ieu.38

De tout ton cœur… ton âme… tes moyens. Ayant descendu l’échelle conceptuelle de l’unicité de D.ieu dans le verset précédent (et dans les propos ajoutés par les sages) – en commençant par Son essence, en continuant avec Sa transcendance, et en concluant avec Son immanence –, nous sommes maintenant invités à remonter cette échelle en répondant à ces trois degrés de conscience divine avec trois intensités correspondantes d’amour de D.ieu.

La conscience de l’immanence de D.ieu partout dans la création nous inspire de L’aimer « de tout notre cœur », c’est-à-dire de rediriger vers Lui l’amour que nous ressentons normalement pour les choses terrestres. La démarche à l’œuvre est bien simple : la méditation sur le fait que tous les aspects de la vie ont pour origine la Divinité nous permet de réaliser que l’expérience la plus vraie de toutes ces choses se trouve dans l’expérience accrue de D.ieu – et que, de plus, le désir que nous ressentons pour ces choses n’est rien d’autre que notre désir inné de D.ieu revêtu d’autres habits.

La conscience de la transcendance de D.ieu nous incite à L’aimer « de toute notre âme », voulant dire par là « même aux dépens de notre âme » – jusqu’au don de soi, s’il en était besoin. Le fait que tout ce qui est créé soit une partie de D.ieu – et que, dès lors, D.ieu soit tout ce qui existe – rend triviale, sinon ridicule, toute quête profane, laissant D.ieu comme seul centre légitime de notre amour. Cet amour nous donne non seulement la volonté de renoncer à notre vie pour Lui en cas de besoin ; il nous donne en outre la volonté d’abandonner totalement la comédie de la vie profane et de nous consumer dans le feu ardent de la présence de D.ieu. La manière la plus efficace d’accomplir ceci est l’immersion totale dans l’étude de la Torah, dans laquelle notre esprit fusionne, pour ainsi dire, avec l’esprit de D.ieu.

Ce qui nous empêche de nous dissoudre effectivement au cours de ce ravissement divin est notre nouvelle ascension vers la conscience de l’essence de D.ieu, qui, comme il a été indiqué auparavant, transcende la dichotomie de la transcendance et de l’immanence. À ce stade de l’amour, nous nous confondons totalement avec D.ieu et, en une soumission absolue à Sa volonté (cette forme d’union surpassant celle de l’union de l’esprit réalisée au niveau précédent), nous nous rappelons qu’Il nous veut vivants et opérants dans le monde matériel afin de l’élever et de le transformer en Sa demeure. Tel est le sens d’aimer D.ieu « de tous tes moyens ». Cela inclut principalement l’utilisation de notre argent à des fins spirituelles, dont le principal est la charité.39

Faire don de ta vie. D.ieu avait promis aux Juifs qu’Il ferait fuir leurs ennemis de devant eux,40 et Il réitérerait bientôt cette promesse, disant : « Personne ne se lèvera contre vous… L’Éternel répandra la crainte de toi et l’épouvante de toi sur toute la terre. »41 De là, nous pouvons déduire qu’il n’était pas besoin d’inciter le peuple au don de soi à la veille de son entrée en Terre Promise. Il était toutefois nécessaire de lui donner les moyens d’exécuter les instructions de la Torah à tout moment, même s’il était enclin à agir autrement. Aussi, Moïse exhorta les Juifs à aimer D.ieu au point d’être prêts à donner leur vie pour Lui s’ils étaient appelés à le faire, et à rappeler constamment cet engagement. Ainsi donc, ils étaient prêts à tout moment à sacrifier leur vie pour D.ieu, et seraient d’autant plus prêts à surmonter tout défi d’une envergure moindre afin de ne pas être séparés de Lui, même temporairement.

Nous aussi, nous pouvons faire appel à cette disposition au don de soi pour nous permettre de surmonter tout défi qui serait posé à notre observance des instructions de la Torah, qu’il vienne de nous-mêmes ou de l’extérieur.42

6:7 Quand tu t’allongeras… à ton réveil. Cette phrase, expliquée dans la Torah orale,43 signifie que nous sommes tenus de réciter « ces paroles », autrement dit le paragraphe où elles apparaissent, deux fois par jour : au réveil le matin, et la nuit avant d’aller dormir. La même phrase apparaissant plus bas, dans un paragraphe parallèle,44 ajoute ce dernier à cette obligation. Enfin, la phrase « afin que vous vous souveniez du jour où vous êtes sortis d’Égypte tous les jours de votre vie », située encore plus bas,45 ajoute à cette obligation le paragraphe décrivant le commandement des tsitsit et la sortie d’Égypte46 .47 (On trouve d’autres passages nous enjoignant de nous souvenir de la sortie d’Égypte, mais ce paragraphe en particulier a été choisi parce que le commandement des tsitsit sert à nous rappeler également tous les commandements de la Torah.)48

Ainsi, la récitation du Chema comprend ces trois paragraphes, qui constituent un point central des prières quotidiennes du matin et de la nuit (en revanche, le Chema ne fait pas partie de la prière de l’après-midi).

6:20 Quels sont les témoignages, les décrets et les statuts. Les statuts de la Torah sont les commandements que l’intellect humain dicterait de toute façon, tels que les interdictions de vol, de meurtre, etc. Les témoignages sont les commandements commémoratifs, tels que les fêtes, les tefilin, etc., que l’intellect humain ne prescrirait pas nécessairement, mais qui font parfaitement sens dès lors que c’est la Torah qui les enjoint. Les décrets se réfèrent aux commandements dépourvus de tout fondement rationnel (même si l’on peut en tirer des enseignements), comme l’interdiction de mélanger le lait et la viande, la laine et le lin, ou le rite de la vache rousse.

Ainsi, en termes d’implication de l’intellect humain dans les commandements, les trois catégories détaillées ici ne suivent pas un ordre croissant ou décroissant. En fait, elles sont énumérées par ordre décroissant, d’après l’aspect du Divin qu’elles expriment. Puisque les statuts sont pleinement saisissables par l’intellect humain, ils reflètent l’énergie divine immanente présente dans la Création et qui peut être saisie par l’intellect. Les décrets, qui transcendent l’intellect humain, reflètent l’énergie divine qui transcende la Création et se trouve donc au-delà de notre capacité d’appréhension par notre intellect. Les témoignages, qui ne sont ni imposés par l’intellect ni par ce qui se trouve au-delà de l’intellect, reflètent l’essence de D.ieu, qui transcende même la dichotomie de l’immanence et de la transcendance.49

6:24 D’accomplir tous ces décrets. Alors que plus haut, au verset 20, sont mentionnées les trois catégories de commandements, il est fait ici seulement mention des décrets (‘houkim), les commandements dénués de fondement rationnel. L’implication est que nous devons accomplir tous les commandements, même ceux qui font appel à la compréhension intellectuelle humaine, comme s’ils n’étaient que de simples décrets. En fin de compte, nous devons nous conduire conformément à la volonté de D.ieu, non pas parce que cela nous semble raisonnable, mais tout simplement parce qu’il s’agit de Sa volonté ; même lorsque nous faisons effort pour comprendre la signification d’un commandement et que nous nous y enthousiasmons, nous le faisons parce qu’ici encore, il s’agit de la volonté de D.ieu. Ceci est la manière la plus élevée et la plus désintéressée d’accomplir Ses commandements.50

7:7 Vous êtes le moins nombreux de tous les peuples. Parmi les peuples du monde, le peuple juif a presque toujours été une minorité ; parmi le peuple juif lui-même, les Juifs qui ont scrupuleusement accompli les commandements sont depuis toujours une minorité ; et même les plus religieux d’entre nous ne parviennent à consacrer qu’une partie minime de leur temps à des activités explicitement saintes, telles que la prière et l’étude de la Torah. Cette réalité objective peut nous amener à nous demander comment nous pouvons accomplir notre mission divine. Même si nous parvenons à survivre, comment une petite minorité influencerait-elle la majorité ? Qui plus est, l’assimilation et la guerre nous ont érodé en nombre sans cesse, tandis que les exigences de la vie moderne nous laissent de moins en moins de temps pour les quêtes spirituelles et nous rendent moins sensibles à la vie de l’esprit.

La réponse décisive à cette question n’a été découverte que dans les temps modernes. À présent que les hommes de science ont appris à dégager la puissance de l’atome, le monde a appris que la taille n’est pas toujours un indicateur de puissance. Dès que nous apprenons à accéder à son énergie latente, même la plus petite particule de matière peut dégager une force inouïe.

Le procédé de base utilisé pour libérer l’énergie atomique est la fission nucléaire, par laquelle l’atome se désagrège en des éléments plus petits. En tant que Juifs, cela nous enseigne que la clé pour libérer notre potentiel latent et infini est de briser notre ego, laissant ainsi jaillir la lumière de notre essence divine intérieure. Mieux nous maîtrisons cette « technologie spirituelle », et moins nous serons intimidés par le fait d’être une minorité apparemment insignifiante ou par le temps et l’énergie limités que nous possédons pour nous consacrer à ces entreprises saintes. En nous réside le pouvoir de changer, pour le bien, le monde entier !51