Vaét’hanane – Les fondements du judaïsme

La deuxième section du Deutéronome s’ouvre sur le rappel fait par Moïse de comment il supplia ( vaét’hanane, en hébreu) D.ieu d’entrer en terre d’Israël, et de la réponse négative de D.ieu. Moïse poursuit en retraçant les quarante ans que le peuple juif vécut dans le désert, soulignant le don de la Torah au mont Sinaï.

Moïse savait que la génération qui se tenait devant lui ne se trouvait pas au même niveau spirituel que la précédente, qui avait été témoin des miracles de la sortie d’Égypte et du don de la Torah. Il comprit que, de ce fait, la rencontre des Juifs avec le monde matériel serait un combat, et qu’il leur faudrait du temps pour réaliser l’objectif pour lequel ils allaient entrer bientôt dans le pays. Il voulut donc les accompagner afin de stimuler leur conscience divine. S’il traversait le Jourdain avec eux, cela leur donnerait peut-être la volonté de conquérir la terre de la manière la plus aboutie et la plus spirituelle.

Comme nous le verrons,1 la perception spirituelle de la génération de la conquête, comparée à celle de la génération du désert, s’apparente à la relation existant entre l’ouïe et la vue. Lorsque nous voyons quelque chose, nous sommes certains de ce que nos yeux ont perçu. En revanche, lorsque nous entendons parler de quelque chose, notre certitude est susceptible d’être renversée par la persuasion. Voir implique une perception directe et par là incontestable, alors que l’audition est indirecte et donc susceptible d’être contestée. Ainsi, même si la génération entrant sur la terre d’Israël ne doutait pas de la vérité de ses croyances juives, la façade de la matérialité retentirait dans son esprit plus fort ce qui aurait pu être le cas pour leurs parents.

Moïse souhaitait accorder cette vision spirituelle à la nouvelle génération : « Éternel, Tu as pris l’initiative de montrer à Ton serviteur Ta magnanimité… S’il Te plaît, permets-moi de traverser et de voir la bonne terre… »2 Si lui-même avait la possibilité de voir la terre de ses propres yeux, elle paraîtrait alors différente aux yeux de tout le peuple juif.

Cependant, à la sollicitation raisonnée de Moïse, D.ieu répondit par la négative et ne lui permit de voir le pays que de loin.3 Résigné au fait que son peuple ne parviendrait pas à atteindre ce degré de perception divine, Moïse l’enjoignit au moins d’« écouter les décrets et les statuts que je vous enseigne »,4 donnant ainsi le ton pour le reste de son discours et, de fait, pour le reste du Deutéronome.

Mais pourquoi D.ieu n’accepta-t-Il pas la demande de Moïse d’entrer dans le pays ? Pourquoi ne consentit-Il pas à ce que le peuple juif atteigne le niveau de perception spirituelle de Moïse, ce qui lui aurait permis d’accomplir sa tâche sur la terre d’une façon meilleure et plus rapide ?

La réponse est que, si la vue présente des avantages par rapport à l’ouïe, l’ouïe en possède aussi un par rapport à la vue. Il est vrai que, lorsque nous voyons quelque chose, notre sentiment de la réalité de l’objet perçu est beaucoup plus fort que lorsque nous en entendons parler. Cependant, ce sentiment de certitude résulte uniquement de la force de l’expérience, et non d’un travail que nous aurions accompli pour affiner notre perception. Ainsi, son effet sur nous est éphémère. Dès que nous cessons de regarder ce que nous avons vu, notre expérience commence à s’estomper, devenant finalement si faible qu’elle peut être remise en question.

En revanche, la conviction que nous atteignons de manière indirecte nous engage à un degré beaucoup plus élevé. Pour parvenir à cette conviction, il nous faut lutter contre les arguments avancés par le monde qui remettent en question et contredisent cette vérité. Nos réponses et nos réussites à surmonter ces épreuves ne nous laissent pas inchangés.

Puisque, comme nous le savons, la finalité de la création est que la conscience Divine imprègne la réalité dans la plus large mesure possible, il était impératif que Moïse n’accompagne pas le peuple juif dans sa traversée du Jourdain. Lorsque nous aurons affiné la réalité dans toute la mesure du possible, par nos propres efforts, à nous aussi sera accordée la perception spirituelle de Moïse, comme il est écrit :5 « Et la gloire de l’Éternel sera révélée, et toute chair la verra ensemble. »6