Matot – Les défis
La neuvième partie du livre des Nombres s’ouvre lorsque Moïse s’adresse aux chefs des tribus (matot, en hébreu) pour leur enseigner les lois relatives aux vœux et aux serments. Le récit historique se poursuit par la guerre contre Madian et l’installation des tribus de Ruben et de Gad.
Les second et troisième sujets s’inscrivent bien dans le récit historique de la Torah. La guerre contre Madian constitue le dernier acte du drame de la confrontation entre Israël et l’alliance moabite-madianite, dont le récit commença dans la paracha de Balak. L’installation des tribus de Ruben et de Gad représente la phase suivante de la conquête de la terre d’Israël, initiée à la fin de la paracha de ‘Houkat et se poursuivant à travers le livre de Josué et au-delà.
Qu’en est-il alors des lois des vœux et des serments ? Pourquoi sont-elles mentionnées ici ? La raison est qu’elles revêtent une importance singulière pour la conquête de la terre d’Israël. Cela transparaît dès que nous passons en revue les événements qui ont mené à cette paracha, comme l’on verra aussitôt.
La dérive du peuple juif dans l’idolâtrie de Péor et la promiscuité avec les femmes moabites–madianites débuta comme un malentendu au sujet de la manière dont le peuple était censé s’engager dans le monde matériel. Les Juifs savaient que la génération de leurs parents avait été condamnée à vivre dans le désert quarante années durant (après l’épisode des explorateurs) parce qu’elle avait cherché à éviter les défis propres à un tel engagement. Se tenant au seuil de la Terre Promise, ils se sentaient prêts à les relever et étaient résolus à ne pas répéter les erreurs de leurs parents ; ils étaient prêts à affronter la matérialité du monde concret et à l’imprégner de la conscience de D.ieu.
Or leur enthousiasme les égara et ils négligèrent la nécessité d’être prudents, croyant que leur haute conscience spirituelle les rendait invulnérables aux machinations du mal. Ils savaient que le but de la vie était de transformer toute la réalité en demeure pour D.ieu ; et de la conversion de Jéthro et des prophéties de Balaam, ils avaient appris que, pour y parvenir, il fallait élever à la sainteté jusqu’aux éléments les plus bas de l’existence. Aussi, ils firent le raisonnement qu’eux également devaient faire l’expérience des élans dangereux mais puissants de la convoitise et de la spiritualité impie afin de les élever à leur source une fois transformés en élans de sainteté.
Sans aucun doute, ils avaient tort. Si nous sommes décidés à faire fi de la prudence et tout risquer, il faut aller dans la direction opposée, celle de combattre le mal, à l’instar de Pin’has. Bien qu’il ne soit nullement question de nous soustraire au défi de nous engager dans la matérialité de ce monde, nous devons être bien conscients de sa propension à nous détourner et à corrompre nos intentions. Voilà ce qui explique la pertinence des lois des vœux et des serments : par leur moyen, l’individu peut se fixer des limites là où il estime qu’elles lui sont nécessaires.
Le prochain sujet de cette paracha, la guerre contre Madian, peut dès lors être considéré comme une suite logique aux lois des vœux et des serments. Ces lois constituent la rectification spirituelle de l’erreur de Péor, et la bataille contre Madian, l’effort pour extirper la source de cette erreur.
L’établissement des tribus de Ruben et de Gad est encore un développement du même sujet. Ces tribus désiraient s’installer dans le territoire à l’est du Jourdain, que Moïse avait saisi aux rois Si’hon et Og. Or, à ce moment de l’histoire, D.ieu n’avait pas ordonné aux Juifs de coloniser ces terres. Ces tribus considérèrent, cependant, que la sainteté de la terre d’Israël proprement dite était plus grande que celle des territoires situés en dehors de ses frontières ; il s’avérait donc essentiel à leur avis d’élever également vers la sainteté ces terres de moindre sainteté. Ainsi, leur argument était une variation du thème précédent. Mais cette fois-ci – Moïse le comprit – ils avaient en partie raison.
Les trois sujets de la paracha de Matot étaient donc pertinents lors de l’entrée imminente du peuple en terre d’Israël. Sur le plan personnel, ils sont tout aussi pertinents pour chacun de nous dans notre rencontre avec le monde matériel et pour notre génération dans son ensemble, puisque nous approchons du moment de la Délivrance messianique.
Cela se reflète également dans le nom de la paracha. Un maté (singulier de matot) est une branche d’arbre qui s’est détachée de sa racine (tout comme chaque tribu est une branche du peuple poussant d’un ancêtre commun). Lors de notre rencontre avec le monde matériel, nous devons manifester la fermeté du bâton dans notre dévouement à nos principes et notre résistance au mal. Nous pourrons ainsi relever les défis de la vie en toute confiance et faire du monde la demeure de D.ieu qu’il convient.1
Massei – Voyages
La dixième et dernière partie du livre des Nombres commence par une récapitulation des voyages (massé, en hébreu) entrepris par les Juifs depuis l’Égypte jusqu’à la lisière de la terre d’Israël. Le reste de la paracha de Massé traite des instructions spécifiques relatives à la conquête de la terre : comment en expulser ses habitants idolâtres, tracer ses frontières, nommer ceux qui en feront le partage, détailler où vivront les Lévites et le rôle particulier que joueront leurs villes, et préciser des lois d’héritage supplémentaires.
Il paraît ainsi que le sujet ouvrant la paracha est radicalement différent du reste de son contenu. Si ce compte rendu préliminaire de l’itinéraire des Juifs constitue la fin du récit des événements ayant eu lieu dans le désert, il aurait peut-être dû se placer à la fin de la paracha précédente. Cette paracha-ci serait alors entièrement consacrée à la vie que mènerait le peuple après avoir traversé le Jourdain.
Pour comprendre le fait que l’itinéraire est au moins aussi pertinent pour ce qui sera que pour ce qui a été, il convient de rappeler que le nom hébreu pour l’Égypte (Mitsraïm) signifie « limites » et « frontières » (metsarim). La sortie d’Égypte est ainsi l’archétype du dépassement des limites dans la vie spirituelle. Or nous trouvons ici une nuance instructive dans la façon dont est introduit l’itinéraire des Juifs : « Voici les voyages des enfants d’Israël qui quittèrent l’Égypte. » Cette phrase semble impliquer que tous les voyages partirent de la terre d’Égypte, alors qu’à proprement dire ce n’est que le premier qui le fit.
En introduisant ainsi le parcours entier, la Torah nous enseigne que chaque fois que nous sortons d’Égypte, chaque fois que nous transcendons un niveau dans la vie, nous devons considérer notre nouveau degré de conscience, notre conscience élargie, comme une nouvelle « Égypte », comme un degré de conscience restreint par rapport à celui où nous voulons aller ensuite. Ainsi donc, nous sommes sans cesse en train de sortir d’Égypte.
Dans ce contexte, il est hautement instructif de reconnaître que tout ce qui eut lieu le long de ce parcours, depuis l’Égypte jusqu’au seuil de la Terre promise, ne fut pas totalement positif. À maintes reprises le peuple juif rebroussa chemin, battant même en retraite, et apprenant à ses dépens les leçons de la vie divine. Néanmoins, tous les voyages peuvent se considérer comme des étapes, car ils contribuèrent tous à la destination. C’est que, pour progresser dans la vie, nous devons apprendre à considérer tout pas en arrière comme une leçon sur la façon de progresser davantage, et transformer ainsi les échecs en succès.
Cela est possible parce que, en dépit de l’impératif de progresser sans cesse, certaines choses ne doivent pas changer. C’est la leçon que nous avons apprise dans la paracha précédente, Matot.2 Ces constantes de base – nos croyances fondamentales et notre résistance au mal – représentent le fondement de notre vie spirituelle, et nous fournissent la stabilité sur laquelle nous pouvons fonder notre ascension continue. Notamment, nous sommes capables de survivre à nos chutes dès lors que nous comprenons qu’elles ont toutes ont été orchestrées par la Providence divine : nous tombons surtout dans les domaines de la vie où D.ieu voit que nous avons besoin de monter ; le reste de notre vie reste intact, fournissant le cadre qu’il nous faut pour nous remettre sur pied.
Ces leçons devinrent particulièrement pertinentes au moment où les Juifs s’apprêtaient à entrer en Terre sainte. La vie d’isolement dans un environnement spirituel à tous égards favorise le développement spirituel de manière naturelle. Le principal défi pour rester spirituellement vivant se trouve sur la terre habitée de la vie matérielle, la vie profane. Aussi, il convient de souligner cette question au moment même où nos regards se tournent vers le labeur de la terre située de l’autre côté du Jourdain, de sorte que nous nous souvenions, tout au long de notre vie profane, de fournir des efforts et de progresser constamment vers des degrés de conscience divine chaque fois plus élevés. En gravissant l’échelle de la croissance spirituelle et en aidant les autres à monter de même, nous concrétisons les leçons apprises dans le désert et relevons avec succès le grand défi de transformer le monde en demeure pour D.ieu.3
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