Le voyage commence

La troisième paracha du livre des Nombres débute lorsque D.ieu enseigne à Aharon comment allumer (behaalote’ha, en hébreu) le candélabre du Tabernacle. Elle se poursuit avec les préparatifs du peuple pour le départ du mont Sinaï et ses premières étapes dans le désert.

La première moitié de cette paracha vient en complément de la première partie du livre des Nombres, qui décrit l’organisation du peuple en tant qu’armée et les préparatifs pour son voyage dans le désert. La seconde moitié constitue, pour sa part, le début de la deuxième partie du livre des Nombres, où le peuple amorce enfin son voyage décisif vers la Terre Promise.

Or dès son départ, nous voyons le peuple commettre une suite d’erreurs qui déclenchent le tragique décret de D.ieu décidant de la mort dans le désert de toute la génération, et le report de l’entrée dans la Terre Promise à trente-huit ans plus tard. Ce drame poignant contraste fortement avec le ton optimiste de la première moitié de la paracha.

La paracha de Behaalotekha s’ouvre par le commandement d’allumer le candélabre. Aharon reçoit l’ordre d’allumer les lampes jusqu’à ce que les mèches brûlent d’elles-mêmes, ce qui, comme nous verrons par la suite, constitue une allégorie de notre but sur terre : allumer la flamme de la conscience divine jusqu’à ce que toute la réalité créée par D.ieu brûle d’elle-même avec l’enthousiasme nécessaire à la transformation du monde en Sa demeure.

Pour quelle raison la même paracha comprend-elle des passages à ce point opposés l’un à l’autre ? La question gagne en pertinence lorsque nous considérons le nom de la parachaBehaalotekha, « lorsque tu élèveras » –, qui fait référence à l’ordre de faire que la flamme « monte » d’elle-même. Comment cette image, qui évoque l’élévation de la conscience du monde, correspond-elle à la chute morale survenant immédiatement après ?

Nous serons à même de le comprendre si l’on se rappelle que la mission de faire du monde la demeure de D.ieu s’applique à la réalité tout entière. En effet, la seule façon d’accomplir cette mission est de transformer tous les aspects de la vie en éléments présents dans notre relation avec Lui. Il ne suffit pas de nous sentir proches de D.ieu pendant que nous étudions la Torah ; la conscience Divine doit également imprégner nos activités profanes.

Cette attitude devant la vie peut être la nôtre pourvu que nous nous exercions à surmonter la tendance naturelle de la réalité matérielle à voiler la présence de D.ieu. La vie Divine devient ainsi une seconde nature.

Or la façon la plus profonde de recréer notre identité ou celle d’autrui est de révéler le Divin en nous. Lorsque nous sommes pleinement conscients que l’existence de D.ieu est la seule réalité véritable, nous découvrons notre nature la plus authentique : notre conscience est conscience Divine. Nous découvrons que le fait de voir D.ieu partout, et d’être conscients de Lui dans tout ce que nous faisons, n’est pas une seconde nature que nous aurions mais notre nature première, notre vraie identité, faisant partie de nous dans une plus large mesure que celle qu’on croyait être notre nature première.

Telle est la signification profonde de l’expression « allumer une mèche jusqu’à ce qu’elle brûle d’elle-même » : nous faisons l’effort de nous raffiner nous-mêmes et le monde autour de nous jusqu’à en révéler la nature Divine intrinsèque, qui en vient alors à enflammer la conscience Divine en tant que partie intégrante de leur propre nature.

Cela signifie également révéler le Divin inhérent à nos révoltes. La manière la plus profonde d’étouffer une révolte est d’en exposer la véritable nature : notre refus de nous complaire dans notre compréhension actuelle de D.ieu, et notre dégoût vis-à-vis de la relation superficielle que nous entretenons avec Lui. Notre révolte exprime notre désespoir : « Si tout ce qu’il y a de vie Divine se résume à cela, je n’en veux rien ! »

Vues sous cet angle, nos révoltes – et celles qui éclatèrent au sein du peuple juif dès qu’il se mit en route – constituent un appel au retour sincère à D.ieu (techouva) afin de rétablir notre relation avec Lui à un niveau plus profond que jamais auparavant.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Aharon est celui qui allume le candélabre.1 Aharon était connu pour son amour sans limites envers tout le peuple ; il s’approchait même d’individus éloignés de toute sainteté et enflammait leur âme avec amour jusqu’à ce qu’eux aussi soient attirés dans les chemins de D.ieu.

Lorsque nous « allumons la mèche » de la réalité « jusqu’à ce qu’elle brûle d’elle-même », les aspects les plus bas comme les plus élevés de la vie deviennent partie intégrante du processus continu de l’« allumage des lampes ».2