Bechala’h – L’ouverture des eaux

La quatrième section du livre de l’Exode commence son récit au moment où Pharaon « renvoie » (bechala’h) les Hébreux d’Égypte. Ces derniers se dirigent vers le mont Sinaï pour recevoir la Torah, mais sont poursuivis par Pharaon et son armée. Dieu ouvre alors les eaux de la mer des Joncs, permettant aux Hébreux de la traverser et y noyant ensuite les Égyptiens. Les Hébreux poursuivent leur route vers le mont Sinaï tandis que Dieu leur fournit miraculeusement de la nourriture (manne) et de l’eau. Sur le point d’arriver à leur destination, ils sont attaqués par le peuple d’Amalek.

La paracha de Bechala’h contient de nombreux évènements aussi fantastiques que décisifs ; or, elle porte tout simplement le nom de Bechala’h : « lorsque [Pharaon] renvoya [le peuple] ». C’est qu’il y a ici quelque chose qui dépasse les autres sujets abordés dans cette paracha.

En outre, le mot bechala’h laisse entendre que les Hébreux étaient réticents à partir et qu’ils durent être chassés de force. Il est difficile d’imaginer que ceci pourrait être le sujet de la paracha. En plus, ce commentaire semble porter un jugement désobligeant sur l’état du peuple juif à l’époque.

Il paraît étrange, en effet, que Pharaon ait dû renvoyer le peuple du pays. Pourquoi même un seul Juif n’aurait-il pas désiré partir ? L’Égypte les soumettait au joug de l’esclavage. Moïse leur avait promis que leur exode les conduirait à être choisis par Dieu comme Son peuple et qu’ils recevraient la Torah sur le mont Sinaï. Et cela serait le prélude à leur entrée sur la terre promise. Qui ne sauterait pas sur une telle occasion ? Pourquoi Pharaon eut-il donc à les « renvoyer » ?

La réponse est que le désir des Hébreux de quitter l’Égypte avait deux dimensions. D’une part, comme nous venons de dire, les Juifs se sentaient impatients de quitter l’oppression de l’exil. Ce désir, certes sincère, n’était qu’une conséquence de la situation et des choix qui s’offraient à eux. C’était un désir rationnel, dicté par la logique.

Or au moment où ils furent délivrés, ils éprouvèrent un désir de partir d’un caractère totalement différent. Dès l’instant où ils goûtèrent l’air frais de la liberté, ils furent touchés à vif par le contraste profond existant entre leur asservissement au matérialisme égyptien et la possibilité de s’en libérer par une vie divine. L’intensité de leur désir de partir s’éleva bien au-delà de celle qu’ils avaient connue auparavant, lorsque ce désir était dicté par la logique. Du coup, leur fuite devint un acte dépassant la raison, une obsession frénétique, un besoin ontologique. Par rapport à l’intensité transcendante de ce nouveau désir, leur désir antérieur parut forcé, imposé.

Le contraste est souligné par l’emploi du mot bechala’h comme nom de la paracha. Celui-ci nous rappelle que notre désir de partir se réduisit jusqu’à équivaloir à une expulsion forcée par rapport à la faim de liberté que nous éprouvâmes aussitôt les chaînes de l’esclavage brisées.

Dans ce contexte, tous les évènements miraculeux présents dans cette paracha peuvent ainsi être considérés comme secondaires devant l’idée centrale véhiculée par le terme bechala’h. En effet, dès lors que les Juifs commencèrent à se rapprocher de Dieu sur un plan qui dépasse la raison, la scène était montée pour que Dieu transcende les lois de la nature dans Sa relation réciproque avec eux, donnant l’impulsion qui entraînerait les évènements miraculeux du récit à venir.

Le terme bechala’h fait également allusion à ce que les Juifs accomplirent lors de ce processus. Leur désir pour la liberté Divine atteignit une intensité telle qu’il eut pour effet de transformer Pharaon lui-même, personnification du mal, en une force orientée vers le Divin. Pharaon ne se contenta pas de les laisser partir, mais il les renvoya de toute sa volonté.

Ceci est toujours valable en notre temps. Une relation avec Dieu fondée uniquement sur la raison est limitée dans son intensité. Il nous faut aller au-delà et atteindre une reconnaissance de Dieu transcendant notre moi. Ainsi, il sera possible de transformer même « Pharaon » – autrement dit nos traits les plus matérialistes – en un état de pleine conscience de Dieu. Lorsque nous constatons que les forces mêmes de la nature, jusqu’à présent nos obstacles les plus insurmontables, sont devenues des forces de soutien, c’est que nous atteignons notre but.

En transformant le matérialisme de la réalité en une force agissant pour la sainteté, nous hâtons la Délivrance messianique et les nouvelles révélations de la Torah, qui feront de ce monde la véritable demeure de Dieu.1