12:1 Va. Au sens littéral, cet ordre signifie : « Va vers toi. »1 Cet ordre donné à Abram s’adresse en fait à chaque individu : « Va vers toi ; (autrement dit) reviens afin de te relier à ton moi véritable, à ton essence et à ta racine spirituelle. »
Chacun d’entre nous possède une âme divine et une âme naturelle qui nourrit le corps de vitalité. C’est un rayonnement réduit de l’âme divine qui investit le corps et le vivifie. La part la plus intense de cette âme, sa racine, demeure en haut et transcende les limites du monde physique, et vit le divin de façon aussi tangible et naturelle que nous vivons la matérialité. Au cours de notre séjour dans ce monde, notre défi consiste à relier la part de l’âme qui anime le corps à sa racine transcendante. Plus nous nous relions à notre racine, plus nous percevons nous aussi le divin.2 Aussi, la Torah nous dit :
Va vers toi-même : reviens au cœur de toi-même, en partant
de ton pays : c’est-à-dire en transcendant les aspirations terrestres,
de ton lieu de naissance : en maîtrisant tes usages routiniers et tes inclinations, et
de la maison de ton père : en transcendant les limites intellectuelles de ton âme corporelle (dans la mesure où l’intellect « engendre » les idées et aussi les sentiments).
« Quitter notre lieu de naissance » (maîtriser nos usages routiniers et nos penchants) signifie en premier lieu et essentiellement dompter les penchants néfastes, comme la colère et la jalousie.3 Mais au-delà de cela, nous devons également maîtriser nos penchants louables, comme le désir d’être charitable, car il convient d’accomplir de bonnes actions parce que telle est la volonté de Dieu, et non du fait que notre penchant naturel nous dicte d’agir ainsi. C’est à ce moment seulement que nous pouvons être certains de transcender notre moi terrestre et de nous relier à la dimension la plus élevée de notre âme.4
Le pays que Je t’indiquerai. De même que, dans le but de répandre le message de Dieu à toute l’humanité, il devint nécessaire d’isoler une unique nation parmi toutes les autres et consacrer ses membres comme messagers de Dieu, il fallut de même désigner une patrie unique pour cette nation, comme le cadre depuis lequel elle devrait livrer le message de Dieu au monde entier.
Dans la mesure où le but de la Création était de révéler le divin au sein d’une réalité qui par nature n’était pas propice à une telle révélation, le Pays d’Israël devait faire écho à cette entreprise. Aussi, même si Dieu l’avait désigné comme la patrie du peuple juif dès sa création, Il le donna initialement à des peuples païens dans l’intention que le peuple juif le leur reprenne par la suite en le conquérant.
Dès lors que le peuple juif conquit le Pays d’Israël, il en changea la nature spirituelle, et il devint ainsi pour toujours un pays « juif ».5
2 Je ferai de toi. Dieu promit à Abram que ce départ lui serait bénéfique de cinq façons : (1) Il profiterait immédiatement de s’être démarqué de l’environnement idolâtre et malsain de ‘Harane.6 (2) Bien que voyager fait généralement diminuer les chances de procréer – et qu’étant sans enfant, Abram hésitait à entreprendre un tel voyage –, Dieu lui assura non seulement qu’Il le rendrait fertile ainsi que Saraï là où ils résideraient, mais qu’Il multiplierait encore leur postérité et ferait d’Abram une grande nation. (3) Bien que voyager implique de nombreuses dépenses, Dieu promit de bénir Abram en lui accordant la richesse dans sa nouvelle résidence. (4) Bien que voyager affecte généralement la renommée d’une personne en ce qu’elle est oubliée à l’endroit qu’elle a quitté et ne s’est pas encore établie à sa destination, Dieu promit de grandir le nom d’Abram et de lui assurer la renommée là où il se rendrait. (5) Dieu promit de faire d’Abram une source de bénédiction, autrement dit de le doter du pouvoir de bénir ses semblables, et lui assura que ses bénédictions se réaliseraient.
Je grandirai ton nom. Dieu n’avait nul besoin de promettre la renommée à Abram pour l’inciter à obéir à Ses ordres.7 Abram était un homme désintéressé et défait de la moindre aspiration à la renommée et à la gloire.
De fait, comme Abram ne se percevait que comme un relais de la volonté de Dieu, il avait conscience que sa renommée à lui était essentiellement celle de Dieu ; plus il deviendrait célèbre, plus sa réussite serait le signe qu’il réussissait dans sa mission de diffuser la conscience du divin à travers le monde.8
5 Les disciples. En tant que descendants d’Abram et Saraï, nous avons également la vocation « d’acquérir des âmes à ‘Harane » : dans la mesure où le mot ‘Harane est lié à un mot signifiant « colère », ‘Harane constitue une métaphore des lieux où règne l’indifférence, voire l’hostilité à la sainteté.9 Dieu envoie encore les héritiers d’Abram et Saraï à « ‘Harane » à la recherche de ceux qui, pour quelque raison, ont été défaits de leurs racines afin de les amener sous les ailes de la Présence divine et les relier à nouveau à Dieu en les engageant dans l’étude de la Torah et l’accomplissement des commandements.
En accomplissant cette mission, nous ne poursuivons pas seulement le but de faire du monde un lieu divin, mais nous récoltons encore des bénéfices de cette démarche. Le fait même d’œuvrer avec désintéressement avec nos semblables nous permet d’apprendre d’eux, car « le sage est celui qui apprend de tous ceux qu’il rencontre ».10 Prétendre n’avoir rien à apprendre de quiconque, c’est révéler notre propre manque de sagesse.11
7 Abram édifia là-bas un autel à l’Éternel qui lui était apparu. Le verset qui suit celui-ci relate également qu’Abram édifia un autel à Dieu, mais il ne mentionne pas que Dieu lui apparut. Aussi, ces deux versets caractérisent deux niveaux différents de perception de Dieu, dont sont issues deux formes d’amour pour Dieu.
Dans ce verset, Abram édifie un autel au Dieu qui lui était apparu, signifiant ainsi que son amour pour Dieu lui a été inspiré par sa perception de Dieu comme Créateur, l’aspect de Dieu en tant qu’évidence (autrement dit qui « apparaît ») au sein du monde. L’amour que nous ressentons pour Dieu comme notre Créateur est un amour issu de notre amour-propre : nous aimons le sentiment d’êtres vivants, et aimons ainsi la source de cette vitalité.12
Dans le verset suivant, Abram médite au Dieu qui ne lui apparaît pas, cet aspect de Dieu qui transcende la Création et que nous reconnaissons comme étant entièrement au-delà de notre entendement. Une telle méditation éveille un amour plus profond, qui transcende l’amour-propre : un amour passionné pour l’essence de Dieu et un désir de se fondre totalement dans cette essence.13
9 Vers le sud. Sur le plan métaphorique, le sud connote la chaleur et la bienveillance. Aussi, dire qu’Abram « se dirigeait à bonne cadence vers le sud » signifie qu’il intensifiait constamment son amour enthousiaste et chaleureux pour Dieu comme il intensifiait les actes de bonté envers ses semblables.14
13 Ils tenteront de s’attirer mes faveurs en me gratifiant de cadeaux. Pour Abram, la richesse matérielle n’était pas un but en soi ; il avait compris que la grande richesse que Dieu lui avait promise avait pour vocation d’être sublimée et utilisée à des fins de sainteté, dans le but de libérer les étincelles de divin qu’elle recelait. Il réalisa par la suite que la véritable finalité de sa descente en Égypte était d’acquérir cette grande richesse.15
C’est ainsi qu’il entrevit le moyen d’acquérir de la richesse en affirmant que Saraï était sa sœur, et il vit là comme un mandat de Dieu de faire un usage avantageux de la situation. D’après le Zohar,16 Abram savait que le mérite des bonnes actions de Saraï lui vaudrait d’être protégé ; aussi n’hésita-t-il pas à l’exposer à l’apparent péril de la voir enlevée au palais de Pharaon. De plus, Abram avait conscience que la richesse vient à un mari au titre du mérite de son épouse. Aussi vit-il en Saraï le canal par lequel ils recevraient leurs richesses.
De façon analogue, le Talmud17 affirme qu’un mari doit être toujours attentif à l’honneur de son épouse, car c’est à elle que le foyer doit les bénédictions dont il est comblé.18
17 À la parole de Saraï. La résistance de Saraï aux avances de Pharaon conféra à ses descendantes, les femmes juives en Égypte, la force morale de résister à l’attrait de l’adultère au cœur même de la lubrique culture égyptienne.19 Les sages remarquent que cette conduite vertueuse des femmes constitua l’un des quatre mérites qui permirent à la sortie d’Égypte d’avoir lieu.20
Nous pouvons nous aussi puiser de la force de l’exemple de Saraï et de celui des femmes juives vertueuses à travers l’histoire. Quel que soit le degré de dépravation de la société dans laquelle nous vivons, nous possédons la force morale de résister à ses tentations pour peu que nous la mettions à contribution.21
13:3 De rembourser les dettes qu’il avait contractées. Nous voyons ici l’extraordinaire générosité d’Abram : bien qu’il eût quitté ‘Harane nanti d’une grande richesse, on nous dit qu’au moment de descendre en Égypte il dut emprunter de l’argent ! La raison est qu’Abram avait distribué toute sa richesse aux nécessiteux au cours des années de famine, et avait manifesté sa bienveillance à tous ceux qu’il croisait. Il alla jusqu’à emprunter de l’argent pour héberger gracieusement et généreusement ses invités. C’est seulement à son retour d’Égypte « avec de grandes richesses » qu’il fut en mesure de rembourser ses dettes.22
18 Il édifia là-bas un troisième autel à l’Éternel. Les trois autels édifiés par Abram correspondent aux trois degrés à travers lesquels nous pouvons nous élever dans notre relation avec Dieu :23
Abram édifia le premier autel pour remercier Dieu de la promesse de subsistance, d’enfants et d’un pays dans lequel ils pourraient vivre. Cela correspond au premier aspect de notre relation avec Dieu – observer Ses commandements, ce qui insuffle la vie à l’âme et maintient son lien avec le corps.24
Abram édifia son second autel pour exprimer un plus haut degré de relation avec Dieu, celui du repentir. Pour amender notre relation avec Dieu après avoir fauté, nous devons surpasser notre degré préalable d’engagement (lequel était manifestement insuffisant puisqu’il ne nous a pas empêché de fauter). Pour nous astreindre à ce degré plus intense d’engagement, nous devons approfondir et intensifier notre relation avec Dieu ; nous devons révéler en nous un degré de conscience où notre relation avec Dieu ait préséance sur l’attrait de n’importe quelle transgression à laquelle nous ayons pu succomber.
Abram édifia son troisième autel au titre de la seule glorification de Dieu. Cet autel exprima un degré encore plus élevé de relation à Dieu : celui de notre aptitude à abandonner tout sentiment d’ego indépendant et de nous fondre en Lui. Lorsque nous ne faisons qu’un avec Dieu, nous transcendons notre ego et accomplissons notre mission divine avec un dévouement inaltéré,25 et sans aucune arrière-pensée d’ordre matériel ou spirituel.26
Bien que nous n’ayons pas encore atteint ce degré de perception, nous pouvons et devons néanmoins reconnaître qu’il constitue l’ultime accomplissement de notre mission divine. Une telle reconnaissance contribuera à nous faire aspirer encore davantage à l’ère messianique, lors de laquelle nous aboutirons tous à une telle abnégation, et à hâter ainsi son avènement.27
14:2 Le roi de Sodome. Le roi de Sodome était surnommé Bèra pour indiquer qu’il cherchait à être « mauvais » (ra) envers Dieu et envers l’humanité. Le roi de Gomorrhe était surnommé Bircha pour indiquer qu’il surpassait Bèra « en perversion » (be-recha) envers Dieu et envers l’humanité. Le roi d’Adma était surnommé Chineav pour indiquer qu’il « haïssait » (sana) Dieu, son « père » (av) céleste. Le roi de Tsevoyim était surnommé Cheméver pour indiquer qu’il « disposait » ses « membres » (sam ever) pour se rebeller contre Dieu.
Ainsi, les rois de Sodome et Gomorrhe cherchaient à se conduire avec méchanceté envers Dieu et envers l’humanité, tandis que les rois d’Adma et de Tsevoyim ne cherchaient à se conduire avec méchanceté qu’envers Dieu. Le roi de Béla, en revanche, n’était pas aussi perverti que ses compagnons : il ne rejoignit leur alliance que par commodité passive. C’est pourquoi aucun surnom caractéristique ne lui fut attribué et sa ville fut même épargnée.28
20 Abram lui donna alors la dîme de tout. Les trois patriarches accomplissaient d’eux-mêmes toutes les injonctions de la Torah.29 Lorsque la Torah fait mention de cas particuliers dans lesquels un patriarche observa un certain commandement, elle le fait pour deux raisons : (1) afin d’indiquer sa façon unique de servir Dieu en agissant ainsi, et (2) pour nous apprendre comment accomplir ces commandements de la façon dont les patriarches le faisaient.
Prélever la dîme de notre richesse atteste que tout ce que nous possédons appartient en réalité à Dieu, et doit ainsi être utilisé dans un but sanctificateur. D’ordinaire, nous amassons de la richesse dans le but d’améliorer notre vie et celle de ceux qui nous sont chers ; plus nous intériorisons les valeurs de la Torah, plus ces préoccupations se fondent avec notre désir de rendre le monde plus divin. Ainsi, une telle richesse est d’emblée dirigée vers des finalités plus élevées que la seule satisfaction des besoins corporels.
En revanche, lorsque des biens non mérités nous sont échus, nous risquons de ne pas les considérer du même regard. Selon Maïmonide,30 cependant, Abram donna bien à Malki-Tsedek le dixième du butin de guerre. En prélevant la dîme du butin, Abram signifia que c’est toute notre richesse qui appartient à Dieu et non uniquement celle produite par nous.
Dieu promet de nous restituer plusieurs fois le montant des dîmes que nous lui donnons, et de fait, Il nous conjure de l’éprouver dans ce domaine.31 Dans la mesure où le but de ce commandement est de montrer comment Dieu rétribue ceux qui accomplissent Sa volonté, la Torah nous relate la façon dont Abram l’accomplit lui-même, car Abram se dévoua pour diffuser la conscience de la bonté et de la bienveillance de Dieu à travers le monde.
De façon analogue, en suivant l’exemple d’Abram, notre vie attestera la façon dont Dieu rétribue ceux qui accomplissent Sa volonté. Ainsi, nous-mêmes, à l’instar d’Abram, diffuserons la conscience de la bonté et de la bienveillance de Dieu à travers le monde.32
15:3 Alors à quoi bon tout ce que Tu m’as donné d’autre ? Abram, dont le regard était toujours tourné vers le dehors pour donner et enseigner à ses semblables, n’était pas satisfait de recevoir une bénédiction destinée uniquement à lui assurer son propre bienêtre et sa chance mais qui ne n’assurerait pas la perpétuation de son héritage spirituel.33
5 N’accorde aucun crédit à tes calculs astrologiques. Dieu donna originellement à l’humanité le choix de passer outre aux mécanismes naturels du déterminisme et de la prédestination que les corps célestes rendent manifestes dans le monde. Au cours de l’histoire, les humains choisirent de relâcher leur lien avec Dieu, se privant en grande partie du libre arbitre conféré par ce lien, et se livrèrent aux influences naturelles des astres. En restituant le lien étroit de l’humanité avec Dieu, Abram retrouva la possibilité de passer outre à la prédestination.
De façon analogue, cette relation de proximité unique avec Dieu qu’Abram légua à ses descendants les élève au-dessus du cours naturel des événements. Ainsi, on nous enseigne qu’« aucun signe astrologique ne saurait avoir d’influence sur le peuple juif. »34
Compte les étoiles. Le peuple juif, les descendants d’Abram, est comparé aux étoiles qui illuminent le ciel : elles brillent tant que même ceux qui marchent dans la nuit noire ne trébuchent pas. Nous sommes tous les « étoiles lumineuses » d’Abraham en ce que nous possédons la force morale et spirituelle d’empêcher ceux qui sont autour de nous de trébucher, et d’exercer une influence salutaire sur eux.35
9 Prends-Moi. Les trois génisses correspondaient : (1) au taureau offert le jour de Yom Kippour,36 (2) au taureau offert lorsque la communauté agit par inadvertance en suivant une décision du haut tribunal,37 et (3) à la génisse dont le cou doit être brisé lorsque la dépouille d’une personne assassinée est découverte et que le meurtrier ne peut être identifié.38 Les trois chèvres correspondaient : (1) au bouc offert le jour de Yom Kippour,39 (2) au bélier offert lors de chaque fête,40 et (3) au bélier offert lors d’un sacrifice expiatoire individuel.41 Les trois béliers correspondaient : (1) au bélier offert lorsqu’une personne avait commis certaines transgressions,42 (2) au bélier offert lorsqu’une personne pensait avoir commis une transgression passible de retranchement,43 et (3) à l’agneau (un jeune bélier) offert à titre de sacrifice expiatoire individuel.44 La tourterelle et la jeune colombe correspondaient au sacrifice expiatoire offert en fonction des moyens dont on disposait.45
Cela marquera le fait. Dans l’Antiquité, pour formaliser une alliance on tranchait un objet en deux, et les partenaires de l’alliance marchaient entre les deux parts. Ils marquaient ainsi le fait qu’ils étaient tous deux incomplets par eux-mêmes, tout comme un animal n’est entier que lorsque ses deux moitiés ne font qu’un. Dans le cas présent, Dieu envoya une fournaise fumante et un éclair de feu comme Ses « mandataires » pour passer entre les moitiés et sceller l’alliance.46
10–11 Abram apporta. Les traitements différents du bétail et des oiseaux caractérisaient la différence entre les destinées des nations des gentils et celle de la nation appelée à descendre d’Abram. Dans l’imagerie prophétique, les nations des gentils sont représentées par du bétail, alors que le peuple juif est représenté par des oiseaux.47 Le partage du bétail en moitiés indiquait que les nations des gentils finiront par cesser d’exister en tant que peuples ; le fait que les oiseaux aient été laissés intacts indiquait que le peuple juif survivra lors du futur messianique.
Les vautours fondant sur les parts étaient une vision prophétique de la façon dont le roi David (symbolisé par le vautour) aspirera à en finir avec les ennemis parmi les nations des gentils, mais n’y sera pas autorisé. Seule sa descendance, le Messie, le fera.
12 Un pressentiment prophétique des horreurs de l’exil. D’un côté, Dieu venait de sceller une alliance éternelle avec Abram, affirmant Son amour immuable et illimité pour lui. Et cependant, au même moment Dieu révéla à Abram les souffrances et les ténèbres de l’exil que ses descendants vivraient dans l’avenir. Comment l’amour essentiel de Dieu pour Abram et pour le peuple juif peut-il aller de pair avec les horreurs de l’exil qu’Il lui prédit ? Et pourquoi Abram, qui avait plaidé de façon si poignante et si tenace pour les habitants pervertis de Sodome, accepta-t-il sans réagir le projet de Dieu de plonger ses descendants dans l’exil ?
La réponse réside dans le fait que, dans son sens profond, l’exil n’exprime pas l’éloignement de Dieu du peuple juif mais plutôt Son amour essentiel pour lui.
De façon métaphorique : pendant qu’il donne cours, un professeur peut penser à une nouvelle idée et focaliser son attention sur elle. Plus l’idée est profonde et convaincante, plus le professeur s’y absorbera. L’élève, de son côté, ne comprenant pas la véritable raison de la soudaine distraction du professeur, voit seulement que ce dernier s’est distancé de lui. Or, cette interruption un peu déconcertante va en définitive bénéficier à l’élève, dans la mesure où le professeur s’absorbe profondément dans cette nouvelle idée et la développe afin de la lui livrer. La distance et le détachement apparents sont essentiellement issus du dévouement de l’enseignant pour l’élève et de son désir que celui-ci bénéficie du nouveau concept.
De façon analogue, dans une perspective superficielle, l’exil apparaît comme une réalité effroyable. Mais la véritable finalité de l’exil est de servir de préparation à une plus ample révélation qui aura lieu lors de la rédemption future, une révélation qui fera la lumière sur le sens profond des souffrances de l’exil.
Telle est la raison pour laquelle l’exil est mentionné tout particulièrement au moment même où fut scellée l’alliance qui exprime l’immense amour de Dieu pour le peuple juif. Car dans sa forme la plus pure, l’exil est lui aussi une expression de l’amour infini de Dieu.48
14 Avec une grande richesse. Les Égyptiens avaient intentionnellement fait un usage dévoyé des étincelles de sainteté que recelaient les immenses ressources dont Dieu les avaient gratifiés eux-mêmes ainsi que leur pays. Ces étincelles étaient ainsi devenues prisonnières, happées par la civilisation matérialiste et dépravée de l’Égypte. En servant les Égyptiens et en gagnant ainsi à titre de rétribution l’immense richesse entreposée dans le pays, le peuple juif fut à même de libérer ces étincelles et de les restituer au domaine de la sainteté.
Il en va de même pour notre présent et ultime exil : sa finalité première n’est pas d’expier une faute, mais plutôt de nous permettre de racheter les étincelles de sainteté qui ont été parsemées à travers le monde et sont devenues captives de la réalité matérielle.49
La tâche de libérer ces étincelles ne se limite pas à une mission collective. Il a été attribué à chacun de nous un lien particulier à une étincelle spécifique, que nous seulement, et nul autre, pouvons libérer de sa captivité. La providence divine nous conduit vers notre étincelle ; en libérant ces étincelles nous nous libérons nous-mêmes de notre exil individuel également. Telle est la raison pour laquelle Dieu promit à Abram que ses descendants quitteraient l’Égypte « avec une grande richesse » : leur libération dépendrait de la réussite à extraire la richesse de l’Égypte.50
18 C’est à ta descendance que J’ai donné ce pays. Bien que la souveraineté du peuple juif sur le Pays d’Israël se concrétisa progressivement, de fait elle date du moment où Dieu le donna à la postérité d’Abraham comme héritage lors de l’Alliance entre les Parts. À ce moment même, le Pays d’Israël tout entier devint – et reste jusqu’à ce jour – l’héritage de chaque individu juif, et ne saurait être négocié ni même faire l’objet de transactions. C’est la seule promesse faite par Dieu à Abram – et non des traités, des victoires ou des tractations diplomatiques – qui fonde notre revendication de notre pays. Lorsque nous mettrons en œuvre ce principe avec confiance, et sans éprouver le besoin de nous justifier, la communauté des nations reconnaîtra son bien-fondé. En revanche, fonder notre revendication de la Terre promise sur des arguments purement humains ne fait que saper le respect des autres nations pour notre héritage.
En affirmant notre lien inaliénable avec le Pays d’Israël, nous hâtons la rédemption messianique, lors de laquelle Dieu nous en accordera la pleine souveraineté de façon pacifique.51
16:13 Donna un nouveau nom à l’Éternel, qui lui avait parlé. Bien qu’Agar a parlé à un ange et non à Dieu, la Torah désigne cependant l’ange comme « Dieu. » La raison en est que, lorsqu’un ange accomplit une mission divine, il est si défait d’ego que Dieu lui-même transparaît à travers lui, tant il véhicule Sa présence. C’est un pur relais de la volonté de Dieu, n’ayant pas d’identité propre.52
17:1 Marche dans Mes voies. Par ces mots, Dieu signifia à Abram : « Observe le commandement de la circoncision que Je vais te donner et, à travers lui, deviens parfait, car tant que tu demeures incirconcis Je te considère comme déficient. Et bien que tu te sois ennobli autant que tu le pouvais par toi-même, tu ne possèdes toujours pas la maîtrise de cinq de tes 248 parties du corps : tes deux yeux, tes deux oreilles et ton organe de procréation – tu ne maîtrises pas ce que tu vois ou entends ni la façon dont ton corps réagit aux stimulations charnelles. Mais à présent, Je vais t’accorder la maîtrise de tes organes et ainsi tu atteindras la perfection : tu pourras ignorer ce qu’il ne convient pas de voir ou entendre et maîtriser tes pulsions charnelles. La maîtrise que tu as actuellement sur 243 parties de ton corps est caractérisée par le fait que la valeur numérique de ton nom, Abram (אברם) est 243 ; Je vais à présent ajouter à ton nom la lettre hé (ה) qui élèvera sa valeur numérique à 248. »
Et sois intègre. Abraham avait marché dans les voix de Dieu durant quasiment toute sa vie. Cependant, le niveau de vécu divin auquel Dieu souhaitait l’élever était infiniment plus sublime. Au regard du passé, c’est à présent qu’il commencerait à réellement marcher dans les voix de Dieu.
En outre, si Abraham n’avait pas été à la hauteur de ce nouvel enjeu et n’avait pas accepté l’alliance formelle de Dieu, cela aurait signifié rétroactivement qu’il n’avait pas marché dans les voix de Dieu durant toutes ces années, mais qu’il avait à l’évidence été motivé par d’autres intérêts. En réussissant cette épreuve, Abraham prouverait qu’il avait bien toujours marché dans les voies de Dieu. La leçon est ici que nous ne saurions nous reposer sur nos accomplissements passés ; pour garantir l’authenticité de nos réalisations antérieures, nous devons constamment aspirer à améliorer la qualité de notre relation avec Dieu et de notre engagement envers Lui.53
5 Ta transformation ne diminuera en rien ton précédent statut. Cela nous enseigne que, même si en tant qu’héritiers d’Abraham nous avons le pouvoir et le devoir d’influencer le monde entier, nous devons en même temps garder à l’esprit que notre première obligation est d’influencer notre environnement immédiat – d’être tout d’abord le « père d’Aram » et seulement ensuite le « père du monde entier ».54
10 Que tout mâle soit circoncis. La circoncision fut le premier commandement donné au premier Juif ; de façon analogue, c’est le premier commandement accompli de nos jours par chaque Juif mâle. La raison est que nombre d’aspects de ce commandement permettent d’éclairer notre compréhension des autres commandements :
(a) La circoncision produit une modification physique du corps. De même, l’accomplissement de chaque commandement affecte le corps sur le plan physique, même si nous ne pouvons pas le percevoir.
(b) Bien que le bénéfice primordial de la circoncision soit d’ordre spirituel, elle possède également des avantages au plan physique.55 De façon analogue, l’apport primordial de tous les commandements est d’ordre spirituel, mais ils ont également tous des incidences au plan physique.
(c) La circoncision cause de la douleur à l’enfant, mais s’il réagit en criant, c’est parce qu’il ne comprend pas la valeur de ce qui lui est fait. De même, l’accomplissement d’un autre commandement implique parfois du labeur et des épreuves, mais plus nous apprécions la portée sublime du commandement, moins nous ressentons la gêne et les inconvénients qui peuvent l’accompagner.
(d) C’est avec joie que le peuple juif accepta le commandement de la circoncision ; de fait, les Juifs sacrifièrent parfois leur vie pour lui aux époques des persécutions religieuses.56 De même, nous devons accomplir tous les commandements avec joie et être disposés à tout abandonner pour le faire.57
15 Car Sarah, qui signifie “princesse”, sans restriction, est son nom. Abraham accomplissait sa mission d’influencer ses semblables en s’adressant directement à eux, et en les amenant (soit par la persuasion, soit le cas échéant par la coercition) à observer les lois de Dieu et à se conduire avec éthique. Sarah, en revanche, accomplissait sa mission d’influencer ses semblables de façon indirecte, en donnant l’exemple et à travers sa vertu édifiante.
Lorsque Dieu donna la Torah au peuple juif, en plus de nous enjoindre d’observer les commandements auxquels nous sommes astreints en tant que Juifs, Il nous a fait le devoir d’enseigner aux non-juifs des lois particulières auxquels ils doivent se conformer. Cela implique au moins de les convaincre de faire ce à quoi ils sont tenus ; de façon optimale, de les inspirer à agir ainsi parce que Dieu les en a enjoints à travers la Torah. La méthode d’Abraham de l’influence directe réussit à convaincre les non-juifs d’accepter les lois auxquelles ils sont tenus, mais ne les amène pas forcément à le faire pour la raison que Dieu a promulgué ces lois au mont Sinaï. En revanche, la démarche indirecte de Sarah inspire si profondément les non-juifs de la sagesse et sainteté de la Torah et du peuple juif qu’ils admettent instinctivement la nécessité d’accepter le code des lois noa’hides pour la seule raison que Dieu les en a enjoints au mont Sinaï.
L’ascendant du peuple juif sur le monde non-juif atteindra à son accomplissement ultime lors de l’ère messianique, lorsque les deux méthodes d’influence s’exerceront de concert. Dans un premier temps, le Messie disposera le monde entier à servir Dieu d’une même ferveur58 en s’adressant directement à lui. Mais dans une étape ultérieure, lorsque les conditions idéales du monde permettront au peuple juif d’aspirer à la sagesse et à la sainteté de Dieu conformément au dessein initial de Dieu à son égard, l’humanité tout entière sera profondément inspirée par l’exemple du peuple juif et, comme Maïmonide l’exprime de façon si éloquente : « La seule aspiration du monde entier sera de connaître Dieu. »59
18 Si seulement Ichmael pouvait vivre dans la crainte de Toi. On trouve deux différences essentielles dans les années de prime jeunesse des deux fils d’Abraham. En premier lieu, Ichmael naquit dans des circonstances naturelles, tandis que la naissance d’Isaac fut entièrement miraculeuse. De plus, Ichmael fut circoncis à treize ans, un âge auquel il était parfaitement capable de comprendre la signification et les implications de cet acte, tandis qu’Isaac fut circoncis quand il était un nourrisson, avant que sa conscience ne puisse en saisir l’importance.
C’est là que réside la différence essentielle entre les deux fils : la naissance d’Ichmael et son développement moral suivirent un cours naturel et logique, et sa relation avec Dieu tenait à sa propre compréhension. Par contre, Isaac, qui fut conçu et naquit par une intervention divine, fut circoncis à l’âge de huit jours, ce qui marqua le caractère éternel et indéfectible d’un lien avec Dieu qui transcende et la raison et la nature.
C’est pourquoi Dieu choisit Isaac pour être l’ancêtre du peuple juif. Les débuts même de la vie d’Isaac caractérisent le lien unique entre Dieu et le peuple juif, un lien éternel et inaltérable qui n’est affecté ni par les caprices de la nature humaine ni par la rationalité.60
19 Isaac. Dieu dit à Abraham : « Les valeurs numériques des lettres de ce nom sont des allusions aux dix épreuves auxquelles Je vais te soumettre (youd), l’âge de 90 ans de Sarah (tsadik), les 8 jours depuis la naissance d’Isaac jusqu’à sa circoncision (‘het), et les presque 100 ans de ton âge (kouf ). »
Les épreuves d’Abraham furent les suivantes : (1) il fut contraint de se cacher durant treize ans de Nimrod, qui cherchait à le tuer ; (2) il fut jeté dans une fournaise ardente à Our Kasdim pour avoir refusé de se prosterner à une idole ; (3) Dieu lui ordonna de quitter son pays natal ; (4) il fut confronté à une famine dans le pays dans lequel Dieu lui avait enjoint de se rendre ; (5) il eut à subir la capture de son épouse Saraï dans le palais de Pharaon ; (6) il vit son neveu Loth emmené en captivité ; (7) Dieu lui fit savoir que ses descendants deviendraient esclaves et exilés ; (8) il reçut l’ordre de Dieu de se circoncire lui-même ainsi que ses fils ; (9) Dieu lui donna l’ordre de renvoyer Agar et Ichmael ; et (10) il reçut l’ordre de sacrifier Isaac.61
En tant que dépositaires de l’héritage d’Abraham, il nous faut également envisager d’affronter des épreuves qui sont le lot de notre parcours. Mais nous devons demeurer confiants dans le fait que nous avons hérité du pouvoir de les surmonter.62
23 Abraham se concerta avec ses alliés. Abraham voulait que sa circoncision soit davantage qu’un événement personnel isolé. Il voulait que cet événement, qui devait marquer la naissance du peuple juif, résonne au sein du monde autour de lui. Aussi, Abraham « se concerta » avec les leaders de son époque pour les impliquer dans cet enjeu et pour attester qu’ils approuvaient la circoncision.63
26 Abraham fut circoncis. L’usage du passif « fut circoncis » fait allusion à une raison plus profonde du fait qu’Abram n’accomplit pas le commandement de la circoncision jusqu’à ce que Dieu lui en donne l’ordre :
En premier lieu, Dieu attendit qu’Abram atteigne 99 ans avant de marquer Son alliance avec lui afin de lui permettre de montrer sa disposition à se circoncire lui-même même à un âge aussi avancé.64
Dans une perspective plus spirituelle, la circoncision caractérise la suppression de l’« l’excroissance du cœur », la couche d’apathie, d’indifférence et de dédain qui entrave notre relation véritable avec Dieu. Pour nous circoncire spirituellement, nous devons nous défaire de notre attachement à la complaisance envers nous-mêmes. Cela s’effectue en deux étapes : (a) D’abord, renoncer aux jouissances immédiates et frustes. Comme la chose est à notre portée, nous pouvons y parvenir par nos propres efforts ; il nous est ainsi demandé de « circoncire l’excroissance de notre cœur. »65 (b) Nous sevrer d’aspirations plus subtiles, dont l’incidence sur nous n’apparaît pas forcément, est plus difficile. C’est pourquoi Dieu nous a promis d’accomplir cette étape pour nous, comme il est écrit : « Dieu circoncira votre cœur. »66 Ce dernier aspect de la circoncision ne se réalisera dans toute sa mesure qu’à l’ère messianique.67
Abraham désirait atteindre le second degré de circoncision spirituelle. C’est pourquoi il attendit un ordre explicite de Dieu, car s’il ne l’avait pas fait, il n’aurait atteint que le premier degré. L’usage du passif dans ce verset caractérise le fait qu’Abraham mérita bien que son cœur soit circoncis par Dieu.68
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