Nos Sages avaient l'habitude de dire : « Avant que le soleil se couchât sur un grand Sage, il se levait sur un autre ». De même dirent-ils : « Avant que le soleil se couchât sur Rava (quand il mourut), il se leva sur Rav Achi (quand il naquit). En d'autres termes : avant que Rava mourut, Rav Achi naquit. La Divine Providence veillait à ce que chaque génération eût son grand chef juif.
Dans sa jeunesse, Rav Achi eut la chance de faire ses études sous la direction du grand Amora, Rava, Et à la mort de ce dernier autour de l'an 4112 (352 de l'ère chrétienne), Rav Achi, âgé de quinze ans environ, ensemble avec bon nombre de ses condisciples plus jeunes et plus âgés, alla poursuivre ses études à l'académie de Rav Na'hman bar Yits'hak à Poumbaditha. Puis, quand ce dernier mourut, il se transféra à Narès, où le chef spirituel de cette génération, Rav Papa, avait son académie.
Outre les deux importantes académies que nous venons de mentionner, il y avait en Babylonie un nombre assez grand d'écoles de moindre importance. Rav Achi les fréquenta toutes, l'une après l'autre. Il lui suffisait d'apprendre qu'un grand érudit résidait quelque part pour qu'il s'y rendît aussitôt profiter de ses leçons. Mais celui dont il apprit le plus fut le vieux Rav Kahana, l'illustre érudit qui avait étudié sous Rabbah et était l'ami d'Abbayé et de Rava. Sa Yechivah se trouvait dans une ville appelée Poum-Nahara, près de Nehardéa (il faut se garder de confondre ce vieux Rav Kahana avec le jeune du même nom, qui était l'ami de Rav Achi et devint plus tard recteur de l'Académie de Poumbaditha).
À la mort de Rav Papa (environ en 4131), Rav Achi avait à peu près trente-cinq ou trente-six ans. Il était le plus grand érudit de son temps en matière de Torah et estimait de son devoir de faire usage de la sagesse dont l'avait doté le Tout-Puissant et de consigner par écrit toutes les lois du Talmud afin de le perpétuer.
Quand Rav Papa mourut, Rav Achi se rendit dans une petite ville nommée Matha-Me'hassia, près de Soura, et y fonda sa propre Yechivah. Matha-Me'hassia était connue précédemment sous le nom de Kfar Tarcha – « le Village de Pierre » ; elle avait souffert d'une terrible épidémie parce que ses habitants négligeaient leur religion. Un grand Sage parut qui les réprimanda et leur reprocha leurs péchés. Il leur dit que s'ils se repentaient de leur conduite répréhensible et revenaient à l'étude de la Torah, l'épidémie disparaîtrait. Ils l'écoutèrent ; il pria pour eux, et ils furent guéris. C'est alors qu'ils changèrent le nom de leur ville et l'appelèrent Matha-Me'hassia.
Ravina, l'ami de Rav Achi, vint avec lui à Matha-Me'hassia et devint son plus proche collaborateur à l'académie. Il était plus âgé que Rav Achi et avait été l'un des élèves les plus doués de Rava. À Matha-Me'hassia il l'aida avec diligence dans ses activités communautaires.
Rav Achi prit beaucoup de décisions importantes dans l'exercice de ses fonctions à Matha-Me'hassia. Le résultat en fut que celle-ci devint bien vite le centre spirituel de toute la Babylonie. Jusqu'alors, les Juifs avaient coutume de se rassembler, le Chabbat et les Fêtes, dans la ville où résidait le Rèche-Galouta (l'Exilarque). Ce dernier était le chef de toutes les communautés israélites en exil et, en tant que tel, lui seul avait l'autorité pour décider d'un jeûne et d'autres obligations similaires. Rav Achi n'était pas le Rèche-Galouta ; néanmoins, sa qualité de premier érudit incontesté en matière de Torah valut à Matha-Me'hassia cet honneur insigne : là, et non ailleurs, les Juifs de l'exil, pour obéir à la coutume tout en la violant quelque peu, se rassemblèrent.
Le Rèche-Galouta à l'époque n'était autre que Rav Houna bar Nathan, une personnalité de premier plan et un éminent érudit. En dépit de sa très haute position et de son rang comme grand érudit, il était heureux de faire le voyage lui aussi à Matha-Me'hassia afin de rendre hommage à Rav Achi. Car on tenait ce dernier pour le plus grand érudit de son temps. Et l'on aimait à dire que, depuis Rabbénou haKadoche – le compilateur de la Michnah – nul ne pouvait égaler Rav Achi sur le plan de l'érudition en matière de Torah.
Nous avons dit que le Rèche-Galouta était une personnalité d'un rang fort élevé. Afin d'estimer à sa juste valeur le grand hommage qu'il rendait à Rav Achi en se déplaçant jusque chez lui, souvenons-nous que Rav Houna bar Nathan était l'un des plus célèbres Amoraïm de son temps ; il avait été lui aussi un élève de Rava et de Rav Papa. De plus, il était un descendant de la maison royale de David et le représentant officiel de tous les Juifs de Babylonie.
Cette attitude si pleine de révérence du Rèche-Galouta suffit à faire comprendre pourquoi les Juifs honoraient à ce point Rav Achi. Nombreux furent les érudits qui s'offrirent spontanément à l'aider, par tous les moyens en leur pouvoir, dans la compilation du Talmud.
Rav Achi avait un fils nommé Mar bar Rav Achi qui sut tirer profit des enseignements d'un père si illustre. Aussi, quand ce dernier mourut, ce fils fut de taille à lui succéder à la tête de la Yechivah. Il avait également un autre fils, Rav Sama, qui devint un érudit remarquable, et une fille qui jouit à l'époque d'une grande notoriété. Deux Amoraïm sont également mentionnés comme étant les fils de Rav Achi : Rav Mari et Rav A'hah ; mais il n'est pas clair qu'il s'agit bien du même Rav Achi.
Trente jours encore...
La Providence dispensa à Rav Achi une grande fortune et une longue vie. Il vécut plus que nonagénaire, entouré du respect de tous, jusque dans les milieux officiels et à la cour. Il eut la chance de vivre sous le règne du roi perse Jezdegerd Ier qui fut bon pour les Juifs. La fortune et les honneurs n'eurent aucune influence fâcheuse sur le caractère de Rav Achi ; ce qui n'est pas pour nous surprendre de la part d'un homme si exceptionnel. Il fit preuve en effet, toute sa vie durant, d'une très grande modestie.
Rav Papa mort, Rav Achi fut sans conteste le Sage le plus éminent du temps pendant près de soixante ans. Il arrangea la Guemara (Talmud) pendant les trente premières années de cette période ; et il la publia pendant les trente autres. C'était une tâche gigantesque que Rav Achi mena à bien comme seul un érudit de son envergure pouvait le faire. Nous ne saurions sous-estimer la dette de reconnaissance que nous lui devons, lui le compilateur du « Chass » que nous désignons communément sous le nom de Talmud Babylonien.
On raconte que peu avant de mourir, Rav Achi rencontra l'Ange de la Mort dans la rue. Il le supplia de lui accorder trente jours de vie afin qu'il pût réviser le Talmud juste encore une fois, ainsi qu'ont dit les Sages : « Heureux celui qui se présente dans l'autre monde avec le Talmud à la main. » L'Ange de la Mort y consentit et s'en fut. Trente jours plus tard, il revint. « Pourquoi es-tu si pressé ? » lui demanda Rav Achi. À quoi l'Ange répondit : « Il est temps que le Rèche Galouta, Rav Houna bar Nathan devienne un chef indépendant. »
Après la mort de Rav Achi, son fils Mar bar Rav Achi prit la direction de la Yechivah. Mais déjà une autre étoile s'était levée dans le ciel juif : Mereimar était considéré comme le plus grand Sage de l'époque, et sa Yechivah se trouvait à Soura.
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