Même les souris...

Hillel gérait une taverne qu’il louait à un riche propriétaire terrien en Russie. Ses clients, - les paysans locaux - appréciaient ses services et son honnêteté. Seul un des paysans ressentait une jalousie tenace envers le tenancier juif. Stefan qui était presque toujours ivre en voulait à Hillel qui refusait de lui servir davantage de vodka quand il était évident qu’il avait atteint une limite à ne pas dépasser.

Stefan jura qu’il se vengerait du Juif : il trouverait bien un moyen de l’impliquer dans un crime. Il décida de dénoncer aux autorités une prétendue fraude sur les taxes perçues sur la vente de la vodka... Pour prouver ses dires, il engagea les services d’autres paysans, antisémites comme lui, qui accepteraient de témoigner sous serment qu’Hillel leur avait vendu de l’alcool illégalement.

On ordonna une enquête. Les faux témoins prêtèrent serment et jurèrent qu’ils avaient vu, de leurs yeux, la fraude. Le juge qui était tout aussi antisémite, profita de cette occasion pour condamner tous les Juifs, bien connus – n’est-ce pas – pour leur malhonnêteté et leur esprit de combine : il décréta la peine la plus lourde sur ce pauvre Hillel.

Bien entendu, celui-ci s’éleva avec indignation contre ces accusations mensongères. Les larmes aux yeux, il déclara qu’il était victime d’un complot. De nombreux clients se présentèrent spontanément pour prendre sa défense et attester de son honnêteté proverbiale. Même le riche propriétaire vint confirmer que jamais « son Juif » ne l’avait trompé. Les enquêteurs sentaient qu’Hillel ne pouvait effectivement pas être coupable mais ils ne pouvaient pas ignorer le faux témoignage de Stefan et ses acolytes. L’affaire traîna en longueur, dura près d’un an et pendant ce temps, Hillel s’inquiéta, se renferma et, le cœur brisé, restait reclus à la maison en train de réciter des Téhilim (Psaumes).

Sa femme, Dvora Léa, voyant qu’il était de plus en plus découragé, décida qu’il n’y avait qu’une solution. Le père de Dvora Léa avait été un ‘Hassid de Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch, le Tséma’h Tsédek : elle suggéra donc à son mari de se rendre à Loubavitch pour obtenir conseil et bénédiction auprès du Rabbi.

Hillel ne venait pas d’une famille ‘hassidique et n’avait aucune envie de se rendre auprès d’un Rabbi. Cependant, la date du verdict approchait et il décida d’écouter sa femme.

A Loubavitch, Hillel remarqua que de nombreuses personnes attendaient depuis des jours le privilège de pouvoir parler au Rabbi, tant de personnes qu’il se découragea... Mais après avoir expliqué au secrétaire l’urgence de sa situation, il obtint néanmoins un rendez-vous pour le lendemain.

En entrant dans le bureau, Hillel se mit à pleurer tandis qu’il décrivait sa peine, le terrible complot qui l’accusait. Le Rabbi l’écouta patiemment puis le réconforta : « Ne pleure pas, Hillel. D.ieu viendra certainement à ton aide. Dans ce monde, toute créature a une mission bien particulière. Même les souris sont parfois bénéfiques. Rentre chez toi et place ta confiance en D.ieu ! »

Hillel quitta Loubavitch, rassuré bien qu’il n’ait pas vraiment compris ce que le Rabbi avait voulu dire. Son épouse était également perplexe mais elle était sûre que D.ieu accomplirait la promesse du Tsaddik.

A l’approche du verdict, Hillel et Dvora Léa se rendirent au tribunal qui était rempli de curieux. Hillel s’assit sur le banc des accusés. Pâle, il récitait des Psaumes avec tant de ferveur qu’il en vint à oublier tout ce qui l’entourait.

On fit entrer Stefan. Il répéta ses fausses allégations mais quand l’avocat lui posa des questions précises, il s’empêtra dans ses mensonges. Cela ne l’inquiéta pas outre mesure puisqu’il savait pouvoir compter sur ses amis. Mais aucun d’entre eux ne se présenta à la barre des témoins : malades ? fatigués ? peureux...

L’affaire tournait à l’avantage d’Hillel mais le procureur ne baissait pas les bras. Il demanda qu’on apporte les documents originaux : le juge envoya le clerc les chercher dans les archives. Toute l’assistance attendait avec impatience son retour mais, quand il réapparut, il avait les mains vides. Il murmura quelque chose à l’oreille du juge qui hurla : « Rapportez ici ce qu’il en reste ! »

« Mais, Votre Honneur ! répondit l’homme gêné : il ne reste plus rien ! Les souris ont mangé tout le dossier ! »

« C’est impossible, cria le juge. Rapportez-moi tout le tiroir ! »

Le clerc revint quelques minutes plus tard, portant un grand tiroir rempli de bouts de papier inutilisables.

Bien que tous les autres dossiers dans le tiroir fussent en bon état, le dossier d’Hillel avait été complètement dévoré par les souris.

Hillel, absorbé par sa lecture des Psaumes, n’avait aucune idée de ce qui s’était passé autour de lui et fut surpris quand ses amis se précipitèrent vers lui en lui souhaitant chaleureusement Mazal Tov. Quand il comprit que les charges avaient été abandonnées – de quelle façon miraculeuse ! – Il remercia D.ieu de l’avoir sauvé de ce terrible complot. Lors de leur retour à la maison, son épouse lui raconta tout ce qui s’était passé dans le tribunal et ce n’est qu’à ce moment-là qu’Hillel comprit les paroles prophétiques du Rabbi Tséma’h Tsédek.