Avant que le Baal Chem Tov ne se révèle, il allait de ville en ville, de village en village, visiter les communautés juives dans le but de les renforcer, de déceler leurs manques et de prier D.ieu afin qu’Il les comble. A cette époque, personne ne savait encore qui il était.

Dans un village se trouvait un juif qui avait perdu son père lorsqu’il avait trois ou quatre ans et, dans sa cinquième année, sa mère aussi quitta ce monde. Il fut alors pris en charge par l’un de ses oncles qui en assura l’éducation. A cette fin, il le confia à un maître, mais l’esprit de l’enfant était peu développé et il ne comprenait pas ce qu’on lui enseignait. Le maître mit en garde les autres élèves de ne pas se moquer de l’enfant ni de lui faire de peine. En ces temps, les enfants étaient purs (un enfant calque son comportement sur ses parents et ses aînés et la pureté d’esprit des parents se reflétait sur les enfants), ils obéirent à leur maître et ne montrèrent aucune marque de dénigrement envers leur camarade.

L’enfant, quant à lui, avait une grande soif d’étude mais il lui était très difficile de saisir l’enseignement de son maître. Alors que ses camarades étudiaient déjà le Talmud, il terminait à grand peine son apprentissage de l’alphabet hébraïque. Puis, au prix d’énormes efforts, on lui enseigna les bénédictions sur les aliments. C’était tout ce que ses facultés intellectuelles lui permirent d’absorber.

Au bout d’un certain temps, son oncle, conscient des limites de l’enfant, le retira de chez son maître pour le mettre à l’école de la communauté. Quelques années passèrent sans que cette nouvelle structure ne lui apporte plus dans ses connaissances. Lorsqu’il fut âgé de douze ans, les responsables communautaires décidèrent de le confier à un artisan pour qu’il apprenne le métier de forgeron.

L’artisan, qui était un juif pieux et zélé, lui enseigna les bases de son métier et surveilla aussi son comportement. L’enfant, qui connaissait déjà les bénédictions sur les aliments, ne savait cependant pas précisément, quelle bénédiction convenait à quel aliment. Le forgeron s’appliqua à les lui enseigner avec succès.

Grand était le désir d’étudier de l’enfant et il aurait bien voulu répéter pendant son travail des Psaumes ou des Michnayoth, comme le faisaient les ouvriers de l’époque. Ne pouvant pas le faire, il prit l’habitude de réciter les bénédictions qu’il avait apprises, pensant s’acquitter ainsi de l’obligation d’étudier qui incombe à chaque juif. Mais on lui expliqua qu’on n’avait le droit de prononcer ces bénédictions que dans le but de consommer un aliment. Il prit alors l’habitude de répéter les lettres de l’alphabet hébraïque et leurs vocalisations.

Contrairement à ses études, l’apprentissage de son métier fut très aisé et il domina l’art de la forge en peu de temps. Il atteignait alors l’âge de treize ans et l’artisan qui l’avait pris sous sa tutelle pour plusieurs années, convaincu par sa dextérité, lui permit de travailler à son propre compte. Il lui ouvrit un atelier que le jeune homme fit rapidement prospérer. Bien que cette prospérité lui permettait de prodiguer la charité avec largesse, son ignorance des textes sacrés faisait persister une grande tristesse dans son cœur.

Vint le temps de se marier ; il épousa la fille d’un simple villageois. Son beau-père produisait du goudron dans un atelier à l’orée du bois et vivait dans le village voisin. Le nouveau marié s’installa dans un village proche de son beau-père où il continua son activité de forgeron. Sa réussite dépassa toute espérance et il s’enrichit rapidement. Mais son bonheur matériel ne palliait pas la peine provoquée par son ignorance qui lui faisait régulièrement verser des larmes.

Dans son village quelques familles juives habitaient et une communauté s’était organisée autour d’une synagogue, d’un sacrificateur rituel, d’un maître d’école et d’un érudit qui dispensait son savoir. Le jeune forgeron alla trouver cet érudit et déversa devant lui son amertume et la peine qu’il avait de ne pouvoir accéder aux textes sacrés. Celui-ci lui conseilla de soutenir financièrement ceux qui étudiaient, de façon discrète car D.ieu attendait de l’homme un sentiment profond. Il lui expliqua qu’ils existaient de nombreux juifs ignorants qui soutenaient ceux qui étudiaient et qui avaient aux yeux de D.ieu la même importance que ces derniers. Dès lors, le jeune forgeron consacra une grande partie de ses revenus au soutien de ceux qui étudiaient et étaient dans le besoin.

Dans ce village, l’usage était que lorsqu’un étranger venait – ce qui était fréquent, et tous désiraient accomplir le commandement d’hospitalité – on tirait au sort pour décider de celui qui aurait le mérite de l’accueillir. Un jour arriva au village un juif dont le corps était recouvert de plaies et de pustules. Le tirage au sort désigna le forgeron. Il amena l’étranger chez lui, lui donna une chambre particulière, s’occupa de le laver et d’enduire de baume son corps ce qui  soulagea grandement l’invité. Au bout de quelques jours celui-ci voulut reprendre sa route, mais son hôte le pria de rester chez lui encore quelques temps.

Le forgeron demanda à son invité la raison de sa maladie ; Celui-ci lui répondit qu’il connaissait parfaitement le Talmud mais qu’il voulait aussi en pénétrer les commentaires et, pour ce faire, il avait jeûné de nombreuses fois et avait étudié avec une assiduité telle que son corps s’était affaibli au point d’arriver à l’état dans lequel il se trouvait à présent. Quelques jours plus tard, l’invité quitta la maison.

Lorsqu’il entendit ces paroles, le forgeron pria D.ieu et le supplia en promettant d’accepter toutes sortes de souffrances physiques à condition qu’Il l’aide  à devenir un érudit. Quelques jours passèrent et, voyant que rien n’avait changé, il décida de se comporter comme l’avait fait son invité. Il se mit à jeûner durant des jours entiers, il s’isola dans la forêt et, assis sur une fourmilière il, récitait, dans la mesure de ses moyens, des Psaumes (avec le temps il était parvenu, non sans peine, à lire les Psaumes sans en comprendre le sens). Chaque verset qu’il prononçait était entrecoupé de sanglots et de soupirs.

Un jour qu’il était dans la forêt, absorbé dans sa lecture des Psaumes mêlée de pleurs, un Juif portant un baluchon sur son dos et un bâton à la main, s’approcha de lui et lui demanda pourquoi il pleurait ainsi tout seul dans la forêt. Le forgeron lui raconta son histoire, il lui expliqua qu’il était ignorant et que la peine que cela lui procurait était la cause de ses pleurs, il lui dit aussi qu’un invité qu’il avait reçu lui avait conseillé de jeûner et de s’infliger des souffrances, afin de parvenir à ses fins. C’est ce qui expliquait son comportement et son seul but était que D.ieu l’aide à devenir un érudit.

Le Juif écouta son récit avec attention et lui répondit que c’était en effet un bon conseil mais que, s’il le voulait, il pouvait lui en indiquer un autre moyen plus facile à réaliser. Lorsque le forgeron entendit sa proposition, il le supplia de lui révéler son secret. Le Juif lui dit que s’il était prêt à abandonner tous ses biens meubles et immeubles en rédigeant un acte certifié et que s’il avait la volonté de le suivre pendant trois années, il lui assurait qu’il deviendrait un érudit.

Le forgeron accepta immédiatement toutes les conditions mais le juif objecta :

« Garde-toi de prendre une décision hâtive. Demande tout d’abord l’avis de ton épouse et écoute ce que dira ton beau-père. Alors tu reviendras en ce lieu dans huit jours pour me faire part de votre décision. »

Le Juif étant reparti, le forgeron retourna chez lui et raconta à sa femme ce qui c’était passé. Celle-ci répondit : « Puisque tu as toujours de la peine de ton manque d’érudition, si on te fait une telle proposition, tu dois l’accepter sans condition et je suis prête à en faire de même. Je n’aurais qu’une requête à formuler à ce Juif, je voudrais qu’avant que nous lui donnions tous nos biens, il vienne chez nous prendre un repas afin que nous puissions accomplir le commandement d’hospitalité, après cela nous lui transmettrons tous nos biens.

Puis le forgeron alla consulter son beau-père qui lui répondit que, bien qu’il soit écrit que la Torah soit plus chère que les choses les plus profondes, il lui semblait toutefois que du point de vue de la loi juive il lui était interdit d’agir ainsi. « Tu as, poursuivit son beau-père, une femme et des enfants à ta charge et il t’est interdit de te démettre de tous tes biens. Biens des Juifs ignorants soutiennent les érudits par leurs dons tout en se comportant avec droiture et sont considérés comme des érudits eux aussi. »

Les paroles de son beau-père jetèrent le trouble dans son esprit et il ne savait que décider. Pendant les quelques jours où il fut dans le doute, il jeûna, se mortifia, et pleura amèrement. Le huitième jour, jour du rendez-vous, il exposa à sa femme le point de vue de son père et le sentiment d’indécision que cet avis avait provoqué en lui.

Son épouse lui répondit alors : « Puisque le doute s’est éveillé en toi, c’est signe que tous les soupirs et les sanglots de toutes ces années n’étaient pas vraiment sincères, car s’ils l’avaient été, tu aurais décidé sans hésitation de remplir toutes les conditions du juif qui te donne une possibilité de devenir un érudit. ».

Le forgeron écouta les paroles des sa femme et se rendit à l’endroit convenu dans la forêt. Il y rencontra le Juif et lui fit part de sa décision positive. Au milieu de son discours, il poussa un profond soupir. Le Juif lui demanda : « Pourquoi soupires-tu ? Si tu désires te rétracter, tu en as tout à fait le droit. ». Le forgeron lui dit alors la vérité. Il lui exposa les paroles de son épouse ainsi que celles de son beau-père et lui avoua que ces dernières l’avaient influencées.

« Ton beau-père a raison, acquiesça le Juif, il est évident qu’il existe des Juifs ignorants qui soutiennent ceux qui étudient, vont dans les chemins des commandements et se trouvent par cela à un niveau supérieur à celui des érudits. »

«  Malgré tout, répondit le forgeron, j’accepte de donner tous mes biens et de m’exiler pendant trois ans. Ma seule requête est d’accomplir la condition de ma femme : avant de transmettre mes biens, elle aimerait que vous veniez chez nous participer à un repas qui nous permettra d’accomplir le commandement d’hospitalité ». Le juif accepta volontiers et il se dirigèrent ensemble vers la maison du forgeron. Ils y arrivèrent après la prière du soir et trouvèrent une table contenant toutes sortes de mets raffinés, des bougies étaient allumées à l’extrémité de la table comme si c’était un jour de fête. « Qu’elle fête est-ce aujourd’hui ?

- Je ne sais pas, répondit le forgeron, nous devons demander à mon épouse. »

Celle-ci répondit :

« C’est aujourd’hui pour nous un double jour de fête : d’abord parce que nous avons un invité, ensuite parce que je vois que D.ieu désire nous déposséder de nos biens. Or, D.ieu a plusieurs façons de reprendre les biens d’un homme. Dans notre cas, il a eu la bonté de prendre ce que nous possédons, mais de nous donner en échange la Torah. Lorsque D.ieu reprend ce qu’il a confié d’une si belle façon, n’est-ce point un jour de fête ?! »

On apporta un grand sac dans lequel on déposa l’argent et l’or et tous les objets précieux, puis on signa un acte de donation de tous les biens, confirmé par deux témoins, voisins du forgeron. Alors seulement il prirent leur repas et allèrent dormir.

Au matin, avant que le Juif et le forgeron ne prennent la route, le Juif déclara à l’épouse de son hôte que maintenant qu’il possédait tous leurs biens, il lui donnait à elle et à ses enfants la permission de rester dans cette maison en tant que locataire jusqu’à ce que son mari revienne de son exil. Il donna aussi l’ordre de leur laisser de la farine et des pommes de terre et il permit de cultiver les terres du domaine et de s’approvisionner des fruits du verger. Tout cela étant, naturellement, un cadeau qu’il leur faisait. Il bénit la femme, ses deux fils et sa fille, et prit la route en compagnie du forgeron, en emportant avec lui le sac d’or et d’argent. Après leur départ, la femme cultiva le verger et les champs qui donnèrent en abondance de bons produits grâce auxquels elle put subsister, à l’abri du besoin, pendant toute l’absence de son mari.

Trois ans s’écoulèrent, au bout desquels le forgeron revint chez lui. Ils quittèrent alors leur village et s’installèrent ailleurs. Les affaires du forgeron prospérèrent de nouveau et, il devint un homme riche en même temps qu’un juste caché.

Lorsque le forgeron et son épouse quittèrent ce monde, on installa le mari dans la sphère des érudits du Gan Eden et son épouse dans celle des femmes de mérite. Chaque fois que l’on faisait monter de niveau le mari, on appelait son épouse pour faire savoir que tout était venu par son mérite.

Le Baal Hatanya, qui raconta cette histoire, termina en disant : « Le Juif était le Baal Chem Tov avant qu’il ne se révèle. » Il ajouta que cette femme mérita son niveau grâce à son abnégation pour la Torah et ses commandements qu’elle exprima dans la joie.