Les Juifs accomplirent et acceptèrent sur eux-mêmes... d’observer ces jours de Pourim...
Esther 9,27
« Accomplirent et acceptèrent » – ils ont accompli (à Pourim) ce qu’ils avaient déjà accepté à l’époque (au Sinaï)
Talmud, Chabbat 88a
Le décret de Haman « de détruire, de tuer et d’anéantir tous les Juifs, les jeunes et les vieux, les enfants et les femmes » ne fut ni la première ni la dernière tentative de nos ennemis de nous détruire. Mais ce fut la seule fois dans notre histoire que la menace pour notre existence physique fut aussi immédiate et totale. Un seul jour – le 13 d’Adar – avait été réservé à l’extinction totale d’Israël. L’Empire perse comprenait 127 provinces, de l’Inde à l’Éthiopie ; tous les Juifs du monde vivaient dans ce domaine et étaient ciblés par le décret de Haman.
La nature globale de Pourim s’étend également à sa signification profonde. Les événements physiques relatés dans le Livre d’Esther reposaient sur un drame spirituel impliquant chaque Juif et affectant profondément l’essence même de notre identité nationale et de notre relation avec D.ieu. Paradoxalement, Pourim représente à la fois un nadir s’agissant de la présence divine dans nos vies et un « moment de vérité » qui galvanisa notre alliance avec D.ieu et établit celle-ci sur ses fondements éternels.
Une expérience renversante
Le sixième jour du mois de Sivan en l’an 2448 de la création (1313 av. l’ère commune), toute la nation d’Israël se rassembla au pied du mont Sinaï. Là, D.ieu nous choisit comme Son peuple et nous nous engageâmes à observer les lois de la vie telles que décrites dans Sa Torah.
Le Talmud souligne toutefois que près de mille ans devaient s’écouler avant que notre alliance avec D.ieu ne soit scellée. Tel que formulé au Sinaï, le contrat entre D.ieu et Israël contenait certaines vulnérabilités ; en fait, sa validité même était contestable. Ce n’est que neuf siècles et demi plus tard, avec les événements de Pourim, que notre acceptation de la Torah fut établie sur une base inébranlable.
La Torah (Exode 19,17) nous dit qu’avant la révélation au Sinaï, le peuple d’Israël « se tenait sous la montagne ». Comment se tient-on « sous » une montagne ? Le Talmud interprète cela comme signifiant que « D.ieu renversa la montagne au-dessus d’eux comme une bassine et leur dit : “Si vous acceptez la Torah, très bien ; sinon, ce lieu sera votre tombe.” »
Cependant une règle fondamentale de la loi de la Torah est qu’un contrat conclu sous la contrainte n’est pas valide. C’est pourquoi, conclut le Talmud, une réserve fut émise sur notre engagement à observer la Torah.
Mais lors des événements de Pourim, le peuple juif réaffirma son acceptation de la loi divine sans aucune trace de contrainte d’En haut. Dans les mots du livre d’Esther (9,27) : « ils accomplirent et acceptèrent » – ils établirent comme valide et incontestable ce qu’ils avaient accepté un millénaire plus tôt au Sinaï.
Forcés par la vérité
Au Sinaï, D.ieu révéla Son essence même à l’homme. Comme le dit la Torah : « D.ieu descendit sur le mont Sinaï » et nous « vîmes le D.ieu d’Israël ». Ce jour-là, il nous a « été montré de manière à savoir que D.ieu est l’Être Suprême – il n’y en a pas d’autre que Lui » ; « Face à face, D.ieu [nous] a parlé, sur la montagne, de l’intérieur du feu. »
C’est là que réside la signification profonde de la « contrainte » d’accepter la Torah au Sinaï. Au Sinaï, nous n’eûmes pas le choix. Devant une révélation aussi impressionnante de la vérité divine, il eut été difficile de douter ou de refuser. C’est ainsi que nous fûmes « forcés » d’accepter la Torah ; submergés et complètement enveloppés par la réalité divine (« la montagne renversée sur eux comme une bassine »), nous ne pouvions que nous engager à accomplir notre mission et notre rôle divinement ordonnés.
L’âge des ténèbres
Du point de vue des signes de la présence divine dans nos vies, les événements de Pourim furent tout le contraire de la révélation du Sinaï.
La maison de D.ieu sur terre, le Beth HaMikdach (le Saint Temple) de Jérusalem, était en ruines. Sa reconstruction avait été ordonnée quatorze ans plus tôt par l’empereur Cyrus, puis suspendue par le décret d’A’hachvéroch. L’ère de la prophétie – la communication directe de D.ieu avec l’homme – touchait à sa fin. Nous étions en exil, à la merci de nos ennemis, et D.ieu semblait se détourner du sort de Son peuple élu. Même le miracle de Pourim fut si complètement revêtu au sein d’événements naturels que la conduite de D.ieu dans tout ce qui se passa fut enveloppée par l’illusion d’une heureuse coïncidence. La plus frappante illustration de cela est que, dans tout le Livre d’Esther, il n’est pas fait la moindre mention du nom de D.ieu !
Comment ce « black-out spirituel » affecta-t-il notre engagement envers D.ieu ? Il nous conduisit à ce que l’on peut décrire comme la plus grande manifestation de notre loyauté envers Lui dans notre histoire. Pendant onze mois, un décret d’annihilation fut suspendu sur toute la communauté d’Israël. Comme le rapporte le Livre d’Esther, même après qu’Haman fut tombé en disgrâce auprès du roi puis pendu, le décret qu’il avait initié demeura en vigueur ; la seule chose qu’Esther put accomplir fut de convaincre A’hachvéroch d’édicter un second décret selon lequel les Juifs avaient le droit de résister à ceux qui venaient les tuer. Le premier décret, appelant tous les citoyens du royaume à anéantir la minorité juive le 13 Adar, resta en vigueur jusqu’à cette date, date à laquelle les Juifs remportèrent la guerre contre leurs ennemis et tuèrent 75 000 de leurs assaillants.
Pendant toute cette année, quand être juif signifiait que quiconque pourrait prendre votre vie par décret impérial, pas un seul Juif ne quitta les rangs de son peuple pour rechercher la sécurité en s’intégrant dans la population païenne. En fait, le Livre d’Esther indique que cette période fut marquée par de nombreuses conversions au judaïsme ! Les Juifs rayonnèrent tellement de leur foi en D.ieu et de leur confiance en Son salut que nombre de leurs voisins furent motivés à rejoindre un peuple ayant une relation aussi puissante et immuable avec D.ieu.
C’est ainsi que notre alliance sinaïtique avec D.ieu fut validée à Pourim. Cette fois, la présence divine n’avait pas plané au-dessus de nous, nous obligeant à reconnaître sa vérité. Au contraire : le visage divin était voilé. Nous étions seuls, notre engagement envers D.ieu découla entièrement de l’intérieur, d’un choix intérieur de nous attacher à Lui, quel que soit le degré de Sa dissimulation.
La preuve
Cela ne veut pas dire qu’à Pourim, un nouveau contrat valide remplaça le contrat original « contestable ». Si tel avait été le cas, quel aurait été l’intérêt de la révélation au Sinaï ? Il est évident que la Torah fut un engagement contraignant entre nous et D.ieu pendant les 950 années qui séparent Moïse d’Esther. Au contraire, comme le Talmud interprète le livre d’Esther, « ils accomplirent ce qu’ils avaient déjà accepté » : Pourim fut l’accomplissement et la corroboration d’une vérité déjà établie au mont Sinaï.
Cette vérité est que notre relation avec D.ieu n’est pas limitée par la raison. Cela ne dépend pas de notre compréhension, ni même de notre conscience de son existence. Elle transcende notre être conscient, résidant au cœur même de nos âmes.
C’est la raison pour laquelle nous fûmes « contraints » de recevoir la Torah au mont Sinaï. Non pas parce que nous n’aurions pas choisi librement de le faire nous-mêmes, mais parce qu’un engagement choisi consciemment ne suffirait pas à exprimer la véritable étendue de notre acceptation de la Torah. Notre alliance avec D.ieu s’étend au-delà du monde fini de nos désirs conscients, elle englobe les étendues infinies de notre moi supra-conscient – le soi supra-conscient qui « voit » toujours D.ieu et est pleinement conscient de Sa vérité. Au Sinaï, ce soi supra-conscient fut révélé. Notre moi conscient, ne constituant qu’une portion infime de notre âme, fut complètement dépassé et ses mécanismes de « choix » furent complètement réduits au silence.
C’est là la véritable signification de ce qui se passa lorsque nous nous « tînmes sous la montagne ». Mais pendant de nombreux siècles, les événements du Sinaï furent sujets à une interprétation erronée. Dans notre esprit, nous nous souvenions de l’événement comme d’un moment où nous fûmes submergés par la vérité divine et contraints de l’accepter. Cela venait-il de l’intérieur, d’un endroit dans notre âme inaccessible au moi conscient ? Ou bien du dehors, d’une force extérieure qui nous a contraints, contre notre véritable volonté, à rentrer dans notre alliance avec D.ieu?
Puis vint Pourim, avec son éclipse totale de toute divinité perceptible. Rester juif, rester fidèle à notre alliance avec D.ieu, était un choix sans influence d’aucune révélation supra-consciente. En choisissant d’accepter la Torah en de telles circonstances, nous avons affirmé qu’il s’agissait de la véritable volonté du Juif. Nous avons affirmé que notre « coercition » au Sinaï n’était pas contre notre volonté, mais tout à fait conforme à ce que nous désirons vraiment.
La mitsva volontaire
Ainsi, Pourim a révélé une nouvelle dimension de notre observance de la Torah, l’établissant comme un mode de vie librement choisi, par opposition à un ensemble de devoirs contraignants. Et cette différence de mille ans se reflète dans plusieurs des mitsvot de Pourim.
Les observances de fêtes sont généralement des mitsvot spécialement ordonnées, uniques à leur fête, telles que le son du chofar à Roch Hachana ou la consommation de la matsa à Pessa’h. Mais il y a deux observances de Pourim qui semblent n’avoir aucun caractère « original », tant elles semblent n’être que des prolongements de préceptes généraux de la Torah qui existent toute l’année.
À Pourim, nous envoyons des cadeaux alimentaires, appelés michloa’h manot, à des amis et des voisins afin de promouvoir la camaraderie et l’amour entre nous. Une autre mitsva de Pourim, matanot laévyonim, consiste à rechercher un minimum de deux pauvres et à leur offrir des dons monétaires. Mais « aimer son prochain comme soi-même » et donner la charité sont des devoirs tout au long de l’année pour le Juif. En quoi ces observances relèvent-elles distinctement de Pourim ?
De fait, la Torah ne nous oblige pas à initier des gestes d’amitié ou à rechercher les nécessiteux. Le commandement « Aime ton prochain comme toi-même » stipule que lorsque l’on entre en contact avec son semblable, on doit le traiter avec amour et respect. Les lois de la charité stipulent que lorsqu’une personne dans le besoin sollicite notre aide, nous avons le devoir de lui prêter assistance. Ce qui est unique dans la façon dont nous accomplissons ces mitsvot à Pourim, c’est que nous recherchons activement des occasions de le faire.
Car Pourim souligne notre désir d’accomplir les commandements de la Torah. Certes, une personne qui accomplit quelque chose uniquement par sens du devoir peut le faire correctement et sans réserve ; on peut concevoir que deux personnes accomplissent la même chose, l’une par désir ardent de le faire et l’autre parce qu’elle s’y sent obligée, et que l’on ne puisse peut-être pas faire la différence. Mais dans le cas où il n’y a aucune circonstance contraignante, que se passe-t-il ? Recherche-t-on cet accomplissement, cherche-t-on à s’y obliger ? C’est ici que la différence est révélée, c’est là qu’on distingue celui qui est volontaire et désireux de celui qui est simplement obéissant.
Les mitsvot de Pourim de michloa’h manot et matanot laévyonim soulignent l’élément de « choix » de notre relation avec D.ieu : c’est une relation non seulement forgée par les liens du devoir, mais également cimentée par le lien de la volonté.
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