« Rabbi, je suis un pécheur. Je voudrais revenir vers D.ieu, faire téchouva ! »

Rabbi Israël de Rouzhin regarda l’homme qui se tenait devant lui. Il ne comprenait pas ce qu’il voulait. « Dans ce cas, dit-il, pourquoi ne fais-tu pas téchouva ? »

« Rabbi, je ne sais pas comment faire ! »

R. Israël répliqua : « Et comment as-tu su comment pécher ? »

Le pécheur plein de remords répondit simplement : « J’ai agi, et puis j’ai réalisé que j’avais péché. »

« Eh bien, dit le Rabbi, il en va de même pour la téchouva : repens-toi et le reste viendra de soi-même ! »

La Torah : les règles de base

La révélation est le fondement de la religion. Il en découle deux postulats fondamentaux :

  1. Il y a le Révélateur. D.ieu existe. Il est réel.
  2. D.ieu s’adresse à l’homme. Non seulement D.ieu existe-t-Il, mais Il se soucie aussi de nous. Il établit une relation avec nous.

Il y a la hachga’ha (la Providence Divine). Parce que D.ieu se soucie de nous, comme un parent aimant prend soin de son enfant, Il nous révèle ce que nous devons savoir sur la réalité. Il nous guide et nous enseigne la voie dans laquelle nous devons marcher et les actes que nous devons accomplir.

C’est la Torah : « l’Arbre de Vie pour ceux qui s’attachent à elle. » La Parole de D.ieu, la Révélation, est appelée Torah. Car Torah signifie instruction : elle instruit et révèle ce qui était caché et inconnu. Elle enseigne à l’homme à marcher dans le droit chemin. Elle le conseille sur comment revenir vers son Maître. La Révélation, la Torah dans toute son immensité de 248 commandements et 365 interdictions, est réaliste. Elle n’est pas étrangère à l’homme et à la réalité physique. Elle ne leur est pas superposée de l’extérieur.

Elle n’est ni dissimulée devant toi, ni placée trop loin. Elle n’est pas dans le ciel pour que tu dises : « Qui montera pour nous au ciel ? » Elle n’est pas non plus au-delà des mers pour que tu dises : « Qui traversera pour nous l’océan ? » Elle est toute proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu puisses l’observer ! (Deutéronome 30, 11-14)

La Torah n’est pas attachée au monde. Elle précède et transcende le monde. Elle est le plan directeur de la création. « Le Saint, béni soit-Il, a regardé dans la Torah et a créé le monde » (Zohar II 161a).

L’univers, l’homme, tout ce qui existe, furent créés, façonnés et faits sur ??la base des, et selon les contenus et les exigences de la Torah. Il en découle que tout être humain peut, et donc doit, mener une vie à la hauteur des obligations et des idéaux de la Torah. (Comme nous disent nos sages : « Le Saint, béni soit-Il, n’impose pas de charges trop lourdes à Ses créatures ; Il s’adresse à l’homme en fonction de sa propre force... en fonction de la capacité de chacun. »)

Nous sommes liés avec la Torah dans une relation de réciprocité. La Torah étant le plan de l’univers, l’univers reflète toutes les composantes de la Torah. Et ce qui est valable pour le macrocosme l’est également avec le microcosme, l’être humain. Le corps humain et l’âme humaine reflètent les 613 préceptes : 248 organes correspondant aux 248 commandements ; 365 veines correspondant aux 365 interdictions.

L’accomplissement des préceptes positifs anime les organes correspondants, les attache à la Divinité et suscite pour eux illumination, vitalité et énergie divines. Le respect des interdictions protège les veines et les vaisseaux correspondants des influences étrangères à leur nature et à leur raison d’être.

La nature du péché

La Révélation, la Torah, la vie basée sur celle-ci, constituent la morale, la vertu, le bien.

Qu’est-ce qui constitue le péché ?

Au niveau simple, pécher signifie enfreindre la loi, transgresser la Torah par des actes ou des omissions. Nos devoirs sont clairement énoncés. La loi est définie. Ignorer la lettre ou l’esprit de la loi, et encore plus y contrevenir, ceci est le péché.

À un niveau plus profond, la signification du péché est apparente dans sa terminologie hébraïque. Le terme général pour le désigner est avéra, qui découle de la racine avar qui signifie passer ou franchir, traverser au-delà. Avéra désigne une transgression, un franchissement des limites et des frontières de la droiture vers « l’autre côté ».

Des termes plus spécifiques sont ‘het, avone et pécha. ‘Het découle d’une racine qui évoque le manque, la perte. Avone vient d’une racine qui signifie tordre, plier, pervertir. Pécha vient d’une racine signifiant se rebeller. Techniquement, sur un plan légal, ‘het désigne les péchés involontaires, avone désigne des fautes conscientes et pécha, des actes motivés par une rébellion malveillante.

Pécher, donc, c’est s’éloigner de la Divinité, s’éloigner de la vérité. « Vos péchés vous séparent de votre D.ieu » (Isaïe 59, 2) qui est véritablement « votre vie ». Il nous sépare de la Torah qui est notre lien avec la source de notre vie et de toutes les bénédictions.

Négliger les commandements c’est nous priver de l’illumination et de la vitalité que leur respect nous procure. C’est renoncer à une opportunité, nous rendre déficients : ‘hataïm, perdants. Transgresser les interdits c’est souiller le corps, blesser l’âme, faire que le mal s’y attache.

Le péché offre des gains temporaires à l’homme, mais il est totalement irrationnel, voué à l’échec. Attrayant et doux au début, mais amer à la fin. Ainsi, « Le Saint, béni soit-Il, et la Torah sont stupéfaits : comment est-il possible qu’une personne pèche ?! » (Zohar III, 13b et 16a).

Ainsi, nos Sages enseignent qu’« aucune personne ne commet un péché si ce n’est qu’un esprit de folie est entré en elle ». Le péché est un acte d’ignorance ou de sottise. Il peut toujours être attribué à un manque de connaissances, à la négligence ou à l’insouciance. Lorsqu’il est prémédité, et plus encore s’il s’agit d’un acte de rébellion volontaire, c’est de la bêtise pure et simple. Dans tous les cas, il est enraciné dans l’insouciance, dans le manque de perspicacité, dans l’incapacité à penser. Il est la conséquence d’une obsession aveuglante de l’ici et maintenant, de l’égocentrisme et de la suffisance.

Le principe de la Téchouva

La folie du péché découle de la nature physique de l’homme.

Qu’est-ce que l’homme ? Un être composite, mélange du corps et de l’âme.

L’âme est spirituelle. Par sa nature même, elle recherche la spiritualité et s’y engage autant qu’elle peut.

Le corps est matériel et donc soumis à la séduction de ses propres constituants matériels.

Pourtant, ces deux éléments sont combinés. L’âme est extraite de sa « hauteur céleste » pour être investie dans le corps ici-bas.

Cette « descente » a pour but une « montée » qui est d’élever et de sublimer la réalité physique du corps et de la matière à laquelle elle est liée tout au long de sa vie. Il existe une tension entre le corps et l’âme, entre la matière (et la force de vie naturelle ou bestiale qui l’anime et lui donne vie) et la néchama, l’âme et l’esprit sublimes de l’homme. Mais ils ne sont pas inconciliables.

Le corps n’est en soi ni mauvais ni impur. Il est potentialité, à la fois saint et profane en puissance. Ce sont les actions de l’homme, les actes et le comportement du composite corps-âme, qui déterminent sa chute dans les abîmes de l’impureté ou son ascension pour être absorbé dans la sainteté.

Réussir à élever et à sublimer le corps et sa part dans ce monde constitue aussi une élévation pour l’âme. C’est précisément l’exposition à la tentation, les risques inhérents à la vie terrestre, la possibilité d’alternatives et le libre arbitre de l’homme qui rendent les accomplissements possibles et permettent à l’homme de se réaliser pleinement.

« Le corps de l’homme est une mèche et la lumière (l’âme) est allumée au-dessus... La lumière sur la tête d’un homme a besoin d’huile, ce sont les bonnes actions. » (Zohar III, 187a)

La mèche en elle-même est inutile si elle n’est pas allumée. La flamme ne peut pas brûler dans le vide, elle ne peut pas produire de lumière ni s’accrocher à la mèche sans huile. La Torah et les mitsvot, les bonnes actions, unissent la mèche et la flamme, le corps et l’âme, leur permettant de réaliser leur potentialité intrinsèque pour produire une entité pleine de sens.

Le néchama, l’âme, qui est une étincelle de divinité en nous, nous remplit d’un potentiel pratiquement illimité. L’homme reçoit le pouvoir de faire de lui-même ce qu’il souhaite et de déterminer son propre destin.

La tentation liée à la vie corporelle, cependant, n’est pas moins réelle. « Le péché est tapi à la porte » (Genèse 4, 7). La Torah confronte ce fait : « Il n’est pas d’homme à ce point vertueux sur la terre qu’il fasse le bien sans jamais pécher. » (Ecclésiaste 7, 20)

Si le péché était définitif, l’histoire humaine aurait commencé et se serait achevée avec Adam. Le Créateur en a tenu compte. L’intention initiale était de créer le monde sur la base exclusive de la stricte justice. Comme D.ieu vit qu’un tel monde ne pourrait perdurer, Il fit que l’attribut de miséricorde précède l’attribut de justice et les réunit.

« Quand le Saint, béni soit-Il, créa le monde, Il consulta la Torah au sujet de la création de l’homme. Celle-ci lui dit : “L’homme que Tu veux créer péchera devant Toi et provoquera Ta colère. Si Tu le traiteras en fonction de ses actes, ni le monde ni l’homme ne pourront exister devant Toi ! D.ieu répondit alors à la Torah : “Est-ce pour rien que Je suis appelé le D.ieu Compatissant et Gracieux, et longanime ?” »

Ainsi, avant de créer le monde, le Saint, béni soit-Il, créa la téchouva (le repentir) auquel Il dit : « Je suis sur le point de créer l’homme dans le monde, mais à la condition que lorsqu’ils se tourneront vers toi à cause de leurs péchés, tu sois prête à effacer leurs péchés et à faire expiation pour eux ! »

La téchouva est donc toujours à portée de main et, quand l’homme revient vers D.ieu après avoir péché, cette téchouva revient vers le Saint, béni soit-Il, et Il fait expiation à tous. Tous les jugements sont supprimés et adoucis, et l’homme est purifié de ses péchés. Comment est-il purifié de ses péchés ? En s’élevant avec cette téchouva de manière appropriée. Rabbi Isaac dit : lorsqu’il revient devant le Roi Suprême et prie du fond de son cœur, comme il est écrit : « Des profondeurs je T’appelle, ô D.ieu ! »

La Torah qui constitue les règles et les règlements pour la vie a précédé le monde et a été son plan directeur. Ces règles doivent être strictement respectées. « Sans la Torah, le ciel et la terre ne pourraient subsister, comme il est dit : “Si ce n’était pour Mon alliance par jour et par nuit, Je n’aurais pas établi les lois des cieux et de la terre.” (Jérémie 33,25) » (Talmud Pessa’him 68b ; Nedarim 32a)

Le péché est contraire au but de la création, car il dépouille la création de tout sens. Il devrait entraîner que le monde retourne au néant. D’où la nécessité de l’attribut de miséricorde et de compassion.

La miséricorde, c’est reconnaître la légitimité de la justice, mais manifester de la compassion en pardonnant malgré tout. C’est reconnaître les exigences légitimes de la loi, mais aussi tempérer ces demandes en tenant compte du fait que « le penchant du cœur de l’homme est mauvais depuis sa jeunesse. » (Genèse 8,21). C’est donner une seconde chance.

Tel est le principe de la téchouva.

La puissance de la Téchouva

Quant au méchant, s’il revient de toutes les fautes qu’il a commises et qu’il observe toutes Mes lois et qu’il pratique le droit et la vertu, il vivra et ne mourra pas. Aucune des transgressions qu’il a commises ne lui sera comptée... Est-ce la mort du méchant que Je souhaite, dit D.ieu, le D.ieu Éternel ? N’est-ce pas plutôt qu’il revienne de sa conduite et qu’il vive ?

(Ézéchiel 18, 21-23)

« La téchouva est un principe indispensable à la religion, indispensable à l’existence de ceux qui croient en la Torah. Car il est impossible pour l’homme de ne pas pécher ou de ne pas se fourvoyer en adoptant par erreur une opinion ou une qualité morale qui n’est en vérité pas louable, ou bien en se laissant vaincre par la passion et la colère. Si l’homme devait croire que cette fracture ne peut jamais être réparée, il persisterait dans son erreur et peut-être même ajouterait à sa désobéissance.

« La croyance en la téchouva, cependant, le conduit à l’amélioration, à parvenir à un état meilleur, plus proche de la perfection que celui qu’il avait atteint avant de pécher. C’est pourquoi la Torah prescrit de nombreuses actions qui visent à établir ce principe correct et très utile de téchouva. » (Maïmonide, Guide des Égarés III:36)

Sans téchouva, le monde ne pourrait pas subsister. Sans téchouva, l’homme serait livré au désespoir, écrasé par le poids de ses erreurs. La Torah est le fondement de l’univers, elle assure et maintient son existence. La téchouva assure sa survie.

La puissance de la téchouva est impressionnante. Il n’existe absolument rien qui puisse l’entraver. Le fil de la téchouva est tissé tout au long de la tapisserie de la Torah et de notre tradition. La téchouva n’est pas simplement une mitsva, l’un des 613 canaux qui nous attachent à D.ieu. Elle est un principe général et global, l’épine dorsale de la religion.

Il n’est pas de péché qui ne puisse être corrigé et guéri par la téchouva. La téchouva supprime un passé lourd à porter et ouvre la porte à un nouvel avenir. Elle est synonyme de renouveau et de renaissance. Le baal téchouva devient une autre personne, une nouvelle personne. Elle est beaucoup plus que la simple correction, plus que la rectification. La téchouva élève à un statut plus élevé encore que celui qui précédait le tout premier péché. Même les justes parfaits sont surpassés par le baal téchouva.

Le péché est un processus évolutif, étalé dans le temps. L’homme ne tombe pas soudainement, en une fois. Il est d’abord piégé par une mauvaise action ou une attitude négative, souvent anodine en apparence, qui conduit ensuite à une autre. Lorsque ce processus n’est pas détecté et stoppé, il s’ensuit une réaction en chaîne qui conduit à l’enlisement dans le mal.

La téchouva, cependant, même dans le pire des cas, est immédiate. « Les baalei téchouva sont méritants, car en l’espace... d’un instant ils se rapprochent du Saint, béni soit-Il, plus encore que ne le font des justes parfaits qui s’approchent... pendant plusieurs années ! » (Zohar I, 126a-b).

Comme la téchouva ne s’inscrit pas dans un processus et un développement graduels, elle n’est pas soumise à un ordre, à la « bureaucratie » d’une procédure normative. Elle est un saut, un bond. Une décision spontanée de s’arracher à sa condition présente. Un demi-tour. Une pensée. Et c’est pourquoi elle affecte même la loi et la justice. Le Talmud statue que lorsque quelqu’un prend une femme comme fiancée sous la condition « que je sois un tsaddik, un homme vertueux sans péché », les fiançailles sont valides et engageantes même si l’homme était connu comme quelqu’un de très mauvais. Comment cela ? Parce qu’au moment de l’engagement, il a peut-être contemplé la téchouva dans son esprit !

Car une unique pensée, une méditation momentanée de téchouva, est suffisante pour faire passer l’homme des plus grandes profondeurs aux plus hauts sommets.

Une seule pensée, en effet. Car l’essence de la téchouva est dans l’esprit et dans le cœur. Elle est une décision mentale, un acte de conscience et d’engagement.

La nature de la Téchouva

D’où provient l’immense puissance de la téchouva ? Comment peut-elle effacer le passé, changer le présent, façonner l’avenir, recréer pour ainsi dire ?

La puissance de la téchouva découle de sa nature transcendante. Comme la Torah, la téchouva a précédé la Création. Elle ne fait pas partie du monde, de la Création, d’un processus créatif. Elle est au-delà du temps, au-delà de l’espace, enracinée dans l’infini. Dans le domaine de l’infini, passé et présent se fondent dans l’oubli.

La téchouva est dans le cœur et dans l’esprit. Une pensée de téchouva est suffisante. Car la pensée n’est pas restreinte par les limites du corps. L’esprit peut traverser l’univers en quelques secondes. Et l’esprit – la ma’hchava, la pensée – est l’homme, l’essence de l’homme. L’homme est là où ses pensées se trouvent.

Le jeûne, la mortification, peuvent être des moyens par lesquels l’homme exprime des remords. Ils peuvent être des actes de purification, de nettoiement de l’âme. Mais ils ne constituent pas la téchouva. Téchouvat hamichkal, la pénitence proportionnée à la faute, pour « équilibrer la balance », est importante. De même que l’est téchouvat haguédère, l’érection volontaire de « barrières » de protection pour éviter de dépasser les limites. La réalité empirique peut dicter de tels modes de comportement correspondant à certaines formes de faiblesse. Toutefois, ceux-ci traitent seulement les symptômes. Ils se rapportent à des actes spécifiques qui constituent la manifestation extérieure du péché. Ils ne touchent pas le péché lui-même. Ils ne s’attaquent pas à la racine et à la source à partir de laquelle se développe le péché. Cette racine, cette source est dans l’esprit et dans le cœur : l’ignorance, la négligence, les mauvaises attitudes, l’égocentrisme, la suffisance.

Tout comme le péché est enraciné dans la volonté et dans l’esprit de l’homme, de même la téchouva doit être également enracinée dans la volonté et dans l’esprit de l’homme. « Celui qui a à cœur de devenir purifié (de la souillure rituelle) devient pur dès qu’il s’est immergé (dans les eaux d’un mikvé), bien qu’aucun changement ne soit intervenu dans son corps. Il en est de même pour celui qui souhaite se purifier des impuretés qui assaillent l’âme, à savoir les mauvaises pensées et les fausses convictions : dès qu’il consent dans son cœur à se retirer de ces idées et amène son âme dans les eaux de la raison, il est pur. » (Maïmonide)

La tragédie du péché n’est pas tant la transgression elle-même ou le fait de succomber à la tentation, car « il n’est pas d’homme sur la terre ... qui ne pèche jamais ». La véritable tragédie, le péché ultime, est l’incapacité à se juger, l’échec à faire téchouva, « il a cessé de contempler de faire du bien... il ne hait point le mal. »

Un remord unique dans le cœur de l’homme est plus efficace que de nombreux coups. Lorsque les bactéries, toxiques et infectieuses, sont éliminées, les symptômes qu’elles déclenchent disparaissent aussi. De même, lorsque les péchés cessent, il n’y a plus de pécheurs. Ainsi la téchouva – cette téchouva qui traite l’essence du péché – apporte la guérison dans le monde.

Il ne s’agit pas de minimiser les symptômes externes du péché. Pour chaque transgression « l’homme acquiert un katégor, un accusateur, contre lui-même ». L’acte du péché s’enracine dans la réalité. Il s’accroche à l’homme, se fixe à lui pour le pousser encore plus loin sur le mauvais chemin, pour ensuite l’accuser plus tard dans l’au-delà.

Cependant, tout dans la Création existe en termes de matière et de forme (corps et âme). L’acte du péché, sa manifestation extérieure, est la matière (le corps) du péché, qui crée le katégor. L’idée sous-jacente, l’intention, la volonté ou la passion qui a généré la transgression est la forme (l’âme) qui anime et maintient le corps.

Les mortifications attaquent ce corps et peuvent détruire cette matière. Mais seul un changement dans le cœur, un remord conscient, peut affronter sa forme et son âme. Seule l’élimination de la pensée, de l’intention et du désir qui a causé le péché, permettra d’éliminer l’âme du katégor. Et quand il est privé de son âme, le katégor cesse d’exister.

Ainsi, « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et retournez à l’Éternel votre D.ieu, car Il est clément et miséricordieux, lent à la colère et abondant en grâce... » (Joël 2,13). Quand on se déchire le cœur dans la téchouva, il n’est pas nécessaire de déchirer ses vêtements.

La disposition du Baal Téchouva

La téchouva est essentiellement dans le cœur et dans l’esprit. Elle est liée à la faculté de binah, la compréhension.

Il ne peut y avoir de téchouva sans une conscience de la réalité : la compréhension de ce qui est nécessaire. La reconnaissance de son état. Une introspection. Une sérieuse autocritique. Une auto-évaluation honnête qui ouvre les yeux de l’esprit et provoque un profond sentiment de gêne : « Comment puis-je avoir agi si stupidement ? Comment ai-je pu être aussi aveugle et idiot devant le Tout-Puissant, l’Omniprésent “qui, dans Sa bonté, renouvelle chaque jour, continûment, l’œuvre de la création” ? Comment ai-je pu délaisser l’Ultime, l’Absolu, pour une illusion passagère ? » Comme le prophète se lamente : « Mon peuple a commis un double péché : ils M’ont abandonné, Moi, la Source des Eaux Vives, pour se creuser pour eux-mêmes des citernes, des citernes crevassées qui ne retiennent pas l’eau ! » (Jérémie 2,13)

La téchouva est directement liée à bouchah – la honte, l’embarras. Le mot hébreu téchouva contient les lettres de bocheth ; la transposition des lettres de chouvah (le retour), donne le mot bouchah (la honte). Car la bouchah est une indication de la téchouva.

La bouchah, le sentiment de honte, découle d’une perception lucide de la réalité. Elle est la preuve du véritable regret du passé, et de la véritable rupture avec celui-ci. Elle est identique à la téchouva. Atteindre ce niveau est l’assurance du pardon : celui qui a commis un péché et en éprouve de la honte, tous ses péchés lui sont pardonnés !

Il faut de la compréhension pour faire téchouva : « que son cœur comprenne, qu’il retourne, et ce sera guéri pour lui. » (Isaïe 6,10) C’est pourquoi nous demandons d’abord dans notre prière : « ...accorde-nous la sagesse, la compréhension et la connaissance », et seulement ensuite : « fais-nous revenir à Toi dans une téchouva complète. » (Amidah des jours de semaine)

La sagesse, la compréhension et la connaissance sont des conditions préalables à la téchouva. Il faut des connaissances pour distinguer le bien du mal. Seul le sage peut distinguer le saint du profane et le pur de l’impur. Ainsi, téchouva et binah sont identiques.

Le baal téchouva prend conscience que le péché est une séparation entre D.ieu et l’homme. Le péché perturbe l’équilibre de l’univers, brisant son unité. « Celui qui transgresse les préceptes de la Torah provoque un défaut, pour ainsi dire, en-haut, un défaut ici-bas, un défaut en lui-même, un défaut dans tous les mondes. »

Le mot téchouva peut être lu comme tachouv-hé : opérer le retour, la restauration du . Car, lorsque l’homme pèche, il provoque le retrait de la lettre du Nom Divin. Le Nom Divin, la manifestation de la Divinité, n’est plus entier. Le a été arraché, laissant les trois autres lettres épeler hoy, l’exclamation biblique du malheur.

 « Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal... malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux... » (Isaïe 5,20-21).

En revanche, « celui qui fait téchouva entraîne la restauration du ... et la rédemption en dépend. » La téchouva restaure le , complète le Saint Nom, rétablit l’unité, libère l’âme. » La téchouva corrige tout : elle répare en-haut, elle répare ici-bas, elle répare le pénitent, elle répare l’univers tout entier. »

La bouchah de la téchouva ne concerne initialement que le passé. Elle se développe ensuite en une prise de conscience de sa propre insignifiance devant la Majesté divine. À ce niveau plus élevé, elle signifie bitoul ha-yech (totale négation de soi). Elle détourne le regard de soi pour le tourner vers l’Ultime. Elle allume ainsi un désir ardent d’être restauré et absorbé dans la Présence Divine : « Mon âme a soif de D.ieu, du D.ieu vivant ; quand reviendrai-je pour paraître en présence de D.ieu... » (Psaumes 42,3) « Oh D.ieu, tu es mon D.ieu, que je recherche avidement. Mon âme a soif de Toi, ma chair languit après Toi, sur une terre aride et altérée sans eau... Car Ta grâce vaut mieux que la vie... » (Psaumes 63,2-4)

Ce désir du baal téchouva est plus intense que celui du tsadik, le saint qui n’a jamais péché. Ayant été éloigné du Divin, le baal téchouva  veut rattraper le temps perdu et les occasions manquées. L’énergie et la passion autrefois investies dans l’absurde et l’inconvenant sont maintenant dirigées, dans une mesure toujours croissante, vers le bien. Il s’élance de toutes ses forces, et ainsi motivé, bondit à des niveaux inatteignables par le tsadik.

Ses anciennes transgressions, qui sont maintenant la cause de ses efforts et de ses accomplissements, sont ainsi sublimées. Sa chute a, de fait, généré son ascension. Les anciens péchés sont ainsi transformés en véritables mérites.

L’état nécessitant la téchouva est associé au chagrin, au remords déchirant. La possibilité de téchouva génère l’espoir, la foi et la confiance : « Le cœur étant ferme et certain que D.ieu veut montrer de la bonté, et est compatissant et miséricordieux et pardonne généreusement dès l’instant où l’on implore Son pardon et Son expiation. Pas le moindre vestige de doute ne vient diluer cette conviction absolue. »

La téchouva est ainsi également marquée par une grande joie. La joie n’est pas seulement une force de motivation de l’acte de téchouva, mais aussi un résultat nécessaire de celle-ci. Car chaque pas fait en s’éloignant du péché est un pas de plus vers la vertu. Chaque mouvement pour s’éloigner de l’obscurité du mal rapproche de la lumière de la bonté, rapproche toujours plus de D.ieu. Ceci doit remplir le cœur de joie, d’une joie et d’un bonheur véritables et absolus, comme ceux de l’enfant perdu qui a retrouvé le chemin de la maison.

En effet, ce profond sentiment de joie, remplissant tout l’être, est la preuve d’une téchouva sincère.

L’universalité de la Téchouva

La traduction classique de « téchouva » est « repentance ». Ceci, cependant, n’en est seulement qu’un des aspects : celui lié au fourvoiement, aux péchés par acte ou par omission. La traduction littérale et réelle est « retour ».

Le retour implique un double mouvement. Il est une source originelle de laquelle on s’est éloigné et à laquelle on veut retourner.

La descente de l’âme dans ce monde est un éloignement. Quelles que soient les nobles desseins à accomplir, les objectifs sublimes à atteindre, cela demeure un exil. Car l’âme dans son état primitif est liée et absorbée dans sa source, dans le « lien de vie avec D.ieu ». Quittant ce Lieu de Gloire et la présence manifeste de D.ieu, l’âme est revêtue dans un corps physique, liée à la matière, exposé à, et investi dans, l’antithèse même de la spiritualité et de la sainteté.

Conserver cette identité originelle, retrouver ce lien, tel est le sens profond de la téchouva. « Et l’esprit retourne à D.ieu qui l’a donné. » (Ecclésiaste 12, 7)

Téchouva tataa, le niveau inférieur de la téchouva, est la rectification, l’effacement du passé. À un niveau supérieur, la téchouva est un « retour à la maison », une réunion. L’enfant séparé et perdu, poussé à revenir par une passion dévorante, implore : « C’est ta face, D.ieu, que je cherche ! Ne me cache pas Ta face ! » (Psaumes 27,8-9) Le point le plus profond du cœur désire si ardemment la Divinité que « son âme est attachée à l’amour de D.ieu, constamment emporté par lui comme le malade d’amour dont l’esprit n’est jamais libre de sa passion... et comme Salomon a exprimé allégoriquement : “Car je suis malade d’amour.” (Cantique 2,5) »

Ce niveau élevé de la téchouva – téchouva ilaa, la téchouva suprême – concerne également le tsadik, le sans faute.

La Torah est donnée à tout Israël, à tous les Juifs. Rien dans la Torah n’est superflu. Rien dans la Torah n’est le patrimoine exclusif de seulement quelques-uns. Tout dans la Torah s’adresse à chaque individu et concerne chacun. C’est seulement par le biais de la Torah tout entière que l’on peut devenir une personne entière. Chaque mitsva sert son but. Chaque instruction est directement liée tant au macrocosme de l’univers qu’au microcosme de chaque homme.

La téchouva est une partie intégrante de la Torah. Elle se manifeste dans de nombreux préceptes et instructions. « Chacun des prophètes a engagé le peuple à la téchouva. » La téchouva doit donc concerner les justes, les saints, autant que les pécheurs. Autrement, les justes passeraient à côté d’une partie importante de la Torah. Ainsi, la téchouva ilaa concerne-t-elle également le tsadik.

La téchouva ilaa atteint des sommets qu’une ascension normative, un comportement irréprochable mais progressif et normatif, ne peut pas atteindre. Elle entraîne l’homme à sauter, à bondir, le rendant aveugle à tout chose étrangère à son objectif, l’amenant à ignorer tous les obstacles dans la poursuite de son objectif ultime. Dans ce contexte, le tsadik, devient, lui aussi, un baal téchouva, un « possesseur de la téchouva », une personnification de la téchouva.

La téchouva ilaa ne signifie pas un retrait du monde pour l’homme. Elle révèle D.ieu au sein du monde : l’omniprésence dans le sens le plus littéral, une conscience universelle et pénétrante de la réalité et de la présence de D.ieu. « S’attacher à Lui, car Il est ta vie » (Deutéronome 30,20) ; « il n’y a rien d’autre que Lui » (Deutéronome 4,35). Il y a alors une négation totale de l’ego, une immersion totale de la volonté personnelle dans la volonté suprême. Pas deux entités réunies, mais l’absorption et l’union jusqu’à atteindre l’unité.


« Cette mitsva que Je te prescris aujourd’hui n’est pas hors de ta portée, ni placée trop loin... » (Deutéronome 30,14) En général, ce verset se réfère à toute la Torah. Dans le contexte du passage précédent, il est également interprété comme se référant spécifiquement au principe de la téchouva. « Même si tes exilés étaient relégués à l’extrémité des cieux », et que vous étiez sous la domination des nations, vous pourriez encore revenir à D.ieu et le faire « selon tout ce que Je te prescris aujourd’hui. » Car la téchouva « n’est pas hors de ta portée et elle n’est pas placée trop loin », mais « elle est toute proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu puisses l’accomplir. »

« Une heure de bonheur dans le Monde Futur est meilleure que toute la vie de ce monde. » Pourtant, « une heure de téchouva et de bonnes actions dans ce monde est meilleure que toute la vie dans le Monde Futur. » (Maxime des Pères 4:17)

« Eh bien, dit le Rabbi, fais téchouva et le reste viendra de soi-même ! »