Il y a de cela bien longtemps, un grand nombre de Juifs vivaient à Babylone. C’étaient les descendants de ceux que Néboukhadnetsar (Nabuchodonosor), roi de Babylonie, avait emmenés en captivité avant même la destruction du premier Beth-Hamikdache. Ce fut l’« Exil de Yékhoniah ». Cinquante ans après la destruction, Cyrus, roi des Perses (le grand conquérant de l’époque), autorisa les Juifs à retourner dans leur pays. À la tête des rapatriés se trouvait Zeroubavel ben Chéaltiel, un descendant de Yékhoniah qui fut l’un des derniers rois de la Maison de Juda en Erets Israël. Ceux qui firent retour à leur patrie furent nombreux ; il y en eut cependant beaucoup qui demeurèrent à Babylone.

Zeroubavel fut reconnu par le roi comme gouverneur d’Erets Israël. Sa famille, qui descendait de la maison royale de David, jouit à Babylone de beaucoup de respect et d’honneurs. C’est dans cette famille que le roi, avec l’assentiment des Juifs, avait l’habitude de choisir un « Chef de l’Exil » – la plus haute charge pour ces derniers – qui représentait toute la communauté israélite à la cour du roi de Perse.

Après la destruction du second Beth Hamikdache en l’an 3828 (68 de l’ère commune), quand le pays d’Israël fut réduit à un amas de ruines par l’empereur romain Titus, beaucoup de Juifs fuirent à Babylone, ce qui accrut l’importance de la communauté qui y vivait déjà. Des Yechivoth (académies talmudiques) s’y multiplièrent, et des milliers d’étudiants y étudièrent la Torah sous la sage direction des grands érudits de l’époque. Ce furent d’abord les Tannaïm, et plus tard les Amoraïm, les Rabbanane Sabouraï et les Gaonim, qui éclairèrent les ténèbres de l’exil juif grâce à l’intense rayonnement de la Torah.

Jusqu’au temps de Rav Saadiah Gaon, qui mourut en l’an 4702 (942 de l’ère chrétienne), la haute charge de Chef de l’Exil se transmit de père en fils, à l’instar de la royauté.

Au cours de cette période, le Chef de l’Exil fut à la tête de la communauté israélite de Babylone, protégeant les intérêts de ses frères dans le pays et les soulageant par tous les moyens en son pouvoir quand leur situation financière devenait par trop précaire. Au début, le Chef de l’Exil joua aussi le rôle de chef spirituel, étant la plus haute autorité de son époque en matière de Torah.

L’un de ces chefs fut Boustenaï Ben ‘Hanina. On raconte l’histoire suivante sur la manière dont il devint « Chef de l’Exil ».

En ce temps-là un monarque cruel régnait sur la Perse. Il persécutait les Juifs, et sa férocité à l’égard de leur chef et de sa famille n’avait pas d’égal. Il fit assassiner tous les membres de la dynastie du roi David sur lesquels il put mettre la main. Les notabilités les plus en vue de la communauté israélite furent jetées en prison. La situation était des plus sombres pour les Juifs de Babylone.

Une dame de l’aristocratie réussit néanmoins, en se cachant, à éviter la fin tragique qui eût été la sienne. Enceinte, elle était au point de mettre au monde un descendant de la maison de David. Le cruel monarque ne relâchait pas sa surveillance et veillait à ce qu’aucun rejeton de l’illustre famille juive n’échappât à son plan d’extermination.

Une nuit, il eut un rêve. Il se trouvait dans un beau jardin dont les arbres étaient couverts des plus beaux fruits qui soient. Une hache à la main, le roi s’acharnait sur les arbres qui, l’un après l’autre, tombaient. Quand il crut les avoir tous abattus, il s’arrêta regarda autour de lui et s’aperçut qu’un jeune arbre, caché dans un coin du jardin, avait échappé à sa fureur. Il leva le bras, décidé à abattre le seul arbre qui restât encore, mais une poigne vigoureuse aussitôt l’en empêcha. Le roi se retourna et vit un homme âgé, aux cheveux gris. Quelque chose de divin émanait puissamment de lui. À ce moment, ce dernier arracha la hache des mains du monarque et la leva dans un geste de menace. Terrifié, celui-ci se jeta aux pieds de l’inconnu en demandant grâce.

– Pourquoi aurais-je pitié de toi ? As-tu éprouvé, toi, quelque compassion pour ces arbres innocents ? dit l’homme avec sévérité. Je te ferai néanmoins la grâce de prendre ta prière en considération. Tu aurais la vie sauve, mais à une condition : tu veilleras à l’avenir sur ce seul arbre qui reste et tu le protégeras comme la prunelle de tes yeux jusqu’à ce qu’il pousse et soit en mesure de produire beaucoup de fruits !

Le roi fit le serment d’observer cette condition jusqu’au bout. Aussitôt après, il s’éveilla.

La Maison de David

Plein de frayeur, il réunit les sages et les conseillers du royaume et leur conta son rêve. Mais aucun d’eux ne put l’interpréter. Alors, l’un des serviteurs dit au roi :

– Que Votre Majesté me permette d’intervenir. Beaucoup de sages juifs sont en prison. Il se trouvera sûrement parmi eux au moins un qui saura lire correctement dans votre rêve.

En désespoir de cause, le monarque accepta d’essayer. Il fit venir les captifs et raconta encore une fois le songe. L’interprétation vint presque aussitôt ; ce fut le plus vieux parmi eux qui la proposa.

– Les arbres dans le jardin, dit-il, représentent les membres de la Maison de David que le roi a si impitoyablement fait assassiner. Le jeune arbre échappé à sa fureur c’est le dernier rejeton de cette dynastie qui doit incessamment venir au monde. Enfin, l’homme âgé de la seconde partie du rêve c’est le roi David lui-même, venu protéger et sauver son ultime héritier. Si le roi veut avoir la vie sauve, aucun autre moyen que de tenir scrupuleusement sa promesse. Qu’il recherche la dame qui est sur le point d’accoucher, qu’il prenne grand soin d’elle et veille à la garantir de tout mal. Je le répète, c’est d’elle et de son enfant que dépend la vie du roi !

– Mais où trouver cette dame ? demanda le monarque tout impressionné.

– Je peux vous aider à la retrouver, répondit le vieillard. Elle n’est autre que ma fille. Son mari, membre de la famille du roi David, a été assassiné. Aussi, se sentant menacée, et du même coup sentant menacé l’enfant qu’elle doit bientôt mettre au monde, s’est elle cachée.

Le souverain ordonna aussitôt qu’on relâchât tous les captifs juifs, et demanda au vieillard de lui amener sa fille. Il veillerait sur elle comme il l’avait promis.

La noble dame donna en effet le jour à un garçon qui grandit sous la protection personnelle du roi. Sa mère et son grand-père l’élevèrent et lui donnèrent l’éducation qui devait faire de lui un grand Chef de l’Exil.

Il fut appelé par tous « Boustenaï », du mot boustan qui signifiait – et signifie encore aujourd’hui en arabe – jardin. En temps voulu, le roi le nomma Chef de l’Exil. Et il lui conféra un pouvoir très étendu et des honneurs tels que n’en eut jamais aucun autre Chef de l’Exil.