Dans une ville de l'ancien royaume d'Israël, un homme fort riche vint à mourir. Il laissait à sa femme son immense fortune. Accablée de chagrin, la veuve décida de quitter la ville où elle avait connu des jours heureux, et d'aller s'établir ailleurs. Mais que ferait-elle de sa fortune ? Elle allait connaître une période incertaine, il ne pouvait être question d'emporter avec elle une somme aussi considérable. Où trouver une cachette qui mît son bien à l'abri des voleurs? Elle réfléchit, chercha longtemps, et finit par s'arrêter à une solution qui lui sembla tout à fait satisfaisante. Elle se procurerait des cruches et, dans chacune d'elles, elle rangerait ses pièces d'or jusqu'à mi-hauteur. Puis elle verserait dessus du miel, de façon à en remplir les cruches jusqu'aux bords. De la sorte, personne ne pourrait se douter que le fond cachât un trésor.

Et ainsi fut fait. Son travail terminé, elle alla trouver l'un des amis de son mari.

– Rends-moi un grand service, lui dit-elle. Je dois quitter la ville pour quelque temps. Si tu veux bien me garder chez toi ces cruches de miel jusqu'à mon retour, je t'en récompenserai généreusement.

Isaac – car tel était son nom – accepta, et la veuve partit.

Peu après, Isaac, occupé à préparer un festin pour célébrer le mariage de son fils, eut besoin de miel. Il était pressé ; se souvenant des cruches de la veuve, il eut l'idée de puiser un peu du contenu pour son festin. « Bah, se dit-il, je remplacerai plus tard le miel que j'aurai prélevé. » Il se dirigea vers la pièce où les cruches étaient alignées et se mit en devoir d'extraire de l'une d'elles le miel dont il avait besoin. Quelle ne fut sa surprise en découvrant sous l'épais liquide une quantité incroyable de pièces d'or ! Sa curiosité s'enflamma. Rapidement, il entreprit de vider les autres cruches, et constata avec un sentiment de joie et de stupéfaction mêlées qu'elles étaient, comme la première, à moitié remplies de pièces d'or. « Quelle aubaine ! pensa-t-il en se frottant les mains. Me voilà tout d'un coup fabuleusement riche. Je ferai main basse sur toutes les pièces d'or, et je mettrai du miel à la place. Du diable si quelqu'un peut, après cela, rien soupçonner ! »

Et il se hâta de mettre à exécution ce plan malhonnête avant que les invités, arrivant, ne le prisse ni pour ainsi dire la main dans le sac.

Quelque temps se passa, la veuve décida de retourner dans sa ville natale. Là, son premier soin fut de se rendre chez Isaac afin de retirer le dépôt qu'elle lui avait confié.

– Je viens pour mes cruches de miel, lui dit-elle.

Mais, perfide, il refusa de les lui rendre, promettant toutefois de le faire devant les mêmes témoins présents au moment de la remise des cruches lors du départ de ta veuve. Celle-ci dut en passer par là ; elle fit appel aux témoins, lesquels s'exécutèrent de bonne grâce. Alors seulement l'homme accepta de restituer son bien à la femme.

Mais, hélas, quand cette dernière fouilla dans ses cruches, elle constata avec consternation qu'elle avait été volée et trompée. Elle retourna en hâte chez Isaac.

– Rends-moi, lui cria-t-elle, l'argent que tu as malhonnêtement dérobé de l'intérieur de mes cruches !

Feignant la surprise et l'ignorance il répliqua :

– Femme, as-tu perdu tes esprits ? J'ai reçu de toi en dépôt du miel, c'est du miel que je t'ai restitué. Des témoins étaient, heureusement, présents ; va donc t'en assurer auprès d'eux avant de faire des réclamations aussi insensées. Ils te confirmeront que c'est du miel que tu m'as confié, et eux-mêmes ont vu que je te l'ai rendu.

La pauvre femme plaida, supplia même, mais elle se rendit vite compte qu'elle perdait son temps à faire appel aux sentiments d'un homme si dépourvu de scrupules. En désespoir de cause, elle alla chez le vieux juge de la ville et lui fit le récit de sa triste histoire.

– As-tu, lui demanda-t-il, des témoins qui puissent confirmer que tu avais placé de l'or dans les cruches ?

– Non, monsieur le Juge, répondit la veuve.

– Dans ce cas, je ne peux rien pour toi. Il m'est impossible de prononcer une sentence sans les attestations d'au moins deux témoins.

Ces paroles décourageantes remplirent de chagrin la pauvre femme ; elle fondit en larmes. Prenant en pitié cette veuve éplorée, le juge lui dit :

– Ne te désespère pas, mon enfant. Va demander audience au roi Saül et ouvre-lui ton cœur. Nul doute qu'il te vienne en aide, car il est bon et miséricordieux.

La femme suivit le conseil du juge et alla conter son malheur à Saül. Après l'avoir patiemment écoutée, ce dernier lui dit :

– Va au Sanhédrin et dis-lui que le roi Saül demande une enquête très serrée sur l'incident.

Mais le Sanhédrin, lui non plus, ne put donner un tour différent à l'affaire.

– Vu l'absence de témoins, nous sommes dans l'impossibilité de prononcer un verdict, répondit l'assemblée à la requête de Saül.

Toutes les tentatives avaient échoué ; quel espoir pouvait subsister encore ? La veuve, plus découragée que jamais, reprit tristement le chemin de sa ville natale.

Elle suivait d'un pas lent la route poussiéreuse, incapable d'étouffer ses plaintes, et se lamentait sur son triste sort. À un moment, elle longea un champ où le petit David surveillait le troupeau de son père en s'amusant avec quelques compagnons. Les plaintes de la femme émurent le jeune garçon. Quittant un instant ses camarades, il la rejoignit et lui demanda d'une voix douce :

– Pourquoi pleures-tu si fort ? S'il y a quelque chose que je puisse faire pour te soulager, dis-le-moi et je le ferai !

Encore une fois la veuve raconta l'incident. David l'écouta attentivement, puis il dit :

– Retourne chez le roi Saül et dis-lui que tu as trouvé un garçon qui peut prouver ce que tu avances. Mais, ajouta-t-il, il m'est impossible de rien faire tant que le roi lui-même ne me l'a pas ordonné.

Les paroles de David, encore que sibyllines, donnèrent à la femme un regain d'espoir. Au reste, qu'avait-elle à perdre ? Elle revint sur ses pas, se présentât devant le roi Saül et lui dit :

– Ô roi, j'ai trouvé un garçon qui prouvera mon bon droit dans ce procès.

Ayant appris de qui il s'agissait, le roi manda en hâte David.

– Eh bien, jeune homme, lui dit-il, comment te proposes-tu de prouver que cette femme a bien été volée ?

– Ô roi, répondit David, qu'on apporte ici les cruches de miel et qu'on fasse venir celui qui est accusé d'avoir volé l'or. Peut-être quelques-unes des pièces sont-elles restées collées au peu de miel demeuré au fond de quelques-unes des cruches.

Le roi ordonna à ses serviteurs qu'on satisfît au désir de David. Ils revinrent bientôt, amenant l'homme et apportant les cruches. Séance tenante, celles-ci furent brisées. Chacun des présents retenait son souffle. Le seul bruit qu'on entendît était celui des cruches tombant en morceaux. À ce moment, un cri de surprise échappa à l'un des serviteurs. Tenant dans la main un débris il se hâta vers le roi. David avait eu raison : au fond du morceau de terre cuite se trouvaient plusieurs pièces d'or. Le coupable tenait à peine sur ses jambes. Il pâlissait à vue d'œil et tremblait de tous ses membres.

– Ton crime a été découvert ! Restitue à cette veuve chaque pièce d'or que tu lui as volée, ordonna Saül.

L'homme n'osa plus désobéir. Sa fortune retrouvée, la veuve, enfin heureuse, retourna dans sa ville natale pour vivre dans la paix et la joie le reste de ses jours. Mais elle n'oublia jamais dans ses prières le jeune berger – il devait devenir un jour roi d'Israël – qui lui était venu en aide au moment du besoin.