Dix éléments furent créés la veille du Chabbat [de la Création] au crépuscule. Ce sont : l’ouverture de la terre [qui engloutit Kora’h], l’ouverture du puits [qui abreuva les enfants d’Israël dans le désert], la bouche de l’ânesse [de Bilaam], l’arc-en-ciel [qui apparut après le Déluge], la manne, le bâton [de Moïse], le vers du chamir [qui permit de découper les pierres qui servirent à la construction du Temple], l’Écriture [la forme des lettres gravées sur les Tables de la Loi], l’Inscription [miraculeuse, sur les premières Tables de la Loi, qui pouvait être lue sur chacune de leurs faces] et les Tables de la Loi.
Certains mentionnent également : le tombeau de Moïse notre maître, et le bélier d’Abraham notre père [offert à la place d’Isaac].
Et certains ajoutent : même les démons, et que la [première] tenaille [de l’homme] fut forgée au moyen d’une tenaille [créée par D.ieu à ce moment].
Pirkei Avot 5:6
Un certain nombre de questions se posent sur cette michna :
1. Ce chapitre énumère, à son début, des éléments quantifiables par dix, en les citant dans l’ordre chronologique : Dix Expressions créatrices, dix générations d’Adam à Noé, dix épreuves pour notre père Abraham, etc. Pourquoi ces « dix éléments, créés au crépuscule de la première veille de Chabbat, ne figurent-ils pas là où la logique chronologique aurait voulu qu’ils se trouvent : dans la seconde michna de ce chapitre, immédiatement après la mention des « Dix Expressions créatrices » ?
2. Pourquoi « la tenaille » fut-elle créée au crépuscule de la première veille de Chabbat, parmi les autres éléments qui, tous, ont un caractère surnaturel ?
3. La « tenaille » et les « démons » sont cités en complément des dix éléments (« certains ajoutent... ») et cela sous-entend qu’ils possèdent un point commun. Quel peut être ce point commun ?
4. Quel enseignement se trouve dans cette énumération, au regard de l’objet du traité des Pirkei Avot qui est d’augmenter le degré de piété et de raffinement de l’homme ?
La transcendance du crépuscule
Le « crépuscule » est une période qui n’est ni jour, ni nuit, mais qui, de par sa position intermédiaire reliant ces deux entités contraires, possède un caractère supérieur à elles deux. On considérera donc qu’il découle d’une dimension supérieure à l’ordre relatif des choses. A fortiori lorsqu’il s’agit du crépuscule de la veille du Chabbat, qui relie deux dimensions aussi antinomiques que le Chabbat (la dimension de l’absolu) et le temps de la semaine (la dimension de la relativité).
Les dix éléments créés à ce moment sont donc de nature totalement séparée de toute relativité, et c’est pourquoi ils ne sont pas énumérés avec les éléments du début du chapitre, même les miracles, parce que ces derniers s’insèrent dans une conception de nécessité de la part des créatures, ce qui n’exclut pas une certaine relativité. Les éléments créés au crépuscule doivent donc être cités à la fin, séparés de tous les autres.
Nos Sages1 enseignent que si l’homme fut créé « le dernier dans l’œuvre de la Création », c’est pour qu’il trouve tout déjà apprêté devant lui afin qu’il puisse commencer immédiatement son service divin consistant à effectuer le tikoun (la « réparation » spirituelle) de tous les éléments de la création. Cela implique d’office que les éléments créés après lui – au crépuscule de ce 6ème jour où il avait été créé – n’avaient pas besoin de tikoun, comme il ressort de l’étude de chaque élément miraculeux de cette énumération.
C’est pourquoi ils furent créés « à un cheveu » du Chabbat qui est une période de délices et de perfection, loin de tout ouvrage et de toute réparation et dont le service divin consiste en une élévation de toute la Création vers sa Source.
Sublimer l’accessoire
Quant aux deux derniers éléments (les « démons » et la « tenaille »), ils ne font pas du tout partie du service habituel de l’homme, dans l’œuvre d’affinage et de réparation de la création, ni même dans une œuvre d’élévation, comme les précédents :
« Même les démons » :
Bien que la finalité de ceux-ci soit d’être un jour transformés en forces du bien,2 cela ne se fera pas par une œuvre de réparation ou d’affinage (où l’on révélerait le bien interne de ces êtres nuisibles), mais ils devront être totalement « renouvelés », céder la place à des êtres nouveaux, qu’ils n’étaient pas précédemment. Cela sera provoqué par un « renouvellement » de l’homme, une sortie de ses précédentes limites, c’est-à-dire un service divin radicalement nouveau. C’est pourquoi ils furent créés au crépuscule du Chabbat, car le « renouvellement » futur ne pourra être obtenu par les moyens naturels de la création, et seule la force du Chabbat sera opérante en la matière.
« Et la tenaille fut forgée au moyen d’une tenaille » :
Cette expression indique que la première tenaille n’eut pas d’autre fonction et d’autre utilité que la fabrication de la seconde. Symbolisant l’accessoire par excellence, cet objet renvoie à tous les éléments accessoires nécessaires à la réalisation d’une mitsva. Logiquement, ces accessoires n’ont pas de valeur formelle du point de vue de la Halakha, la Loi juive. En revanche, du point de vue de la Volonté divine, qui est une conception absolue, il n’y a aucune différence en matière de Sainteté entre ces accessoires nécessaires et la mitsva en elle-même.
Dès lors, seule une soumission totale à la Volonté divine, supérieure à celle exigée dans la lettre de la Loi peut conférer à l’homme une vision qui lui fera considérer l’accessoire de la mitsva avec autant de révérence et de respect que la mitsva elle-même.
Quant à l’enseignement, en matière de piété accrue, il stipule à quel point doit être intense notre engagement lorsqu’il s’agit d’actes ou d’objets qui sont seulement préparatoires à une mitsva. Le travail sur soi, opéré en amont, doit aboutir à une humilité telle devant la Volonté Suprême, que tout ce qui touche à la mitsva, y compris les éléments préparatoires, doit être considéré et abordé avec la plus grande abnégation.
Adapté du discours du Rabbi du Chabbat Béhar-Bé’houkotaï 5737
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