...Concernant ce que vous avez écrit à propos du point de vue de la Torah et du Judaïsme traditionnel sur la théorie de l'évolution.

Vous voulez parler, semble-t-il, de la théorie fondée par Darwin (ou peut-être même de celle de Lamarck qui est une théorie d'évolution discontinue, contrairement à celle de Darwin).

a) Le point de vue de la Torah est clair, car l'une des raisons du précepte de chômer le septième jour chaque semaine est « parce que D.ieu, six jours durant, a fait le ciel et la terre et le septième jour, Il s'est arrêté et s'est reposé ». Nous comprenons de là que les six jours de la création sont des jours stricto sensu et non pas, comme certains veulent le dire, six époques. Il ressort aussi des paroles de nos Sages en différents endroits que les jours de la création étaient des jours de vingt-quatre heures chacun (cf. Pirké Dérabbi Eliézer, 3ème chapitre et suivant, Midrach Rabba sur la paracha Béréchit, Traité Sanhédrin 38b, etc.)

b) Dans le récit de la Création, a été également décrit son déroulement : les créatures créées mardi, mercredi, jeudi et vendredi. Ce qui signifie que les espèces furent créées chacune à part. Et selon le sens simple de l'Écriture : la terre fit sortir des végétaux, des poissons, des serpents, des oiseaux, des animaux sauvages et domestiques, puis enfin l'homme fut créé. Les espèces n'ont donc pas évolué de l'une vers l'autre.

Remarque : on connaît les interprétations rapportées dans certains livres et en particulier dans les paroles du Or Ha'haïm que vous mentionnez dans votre lettre, paroles que l'on peut relier à la théorie de l'évolution. Mais si l'on analyse ces livres et ces articles, on s'aperçoit qu'ils n'ont pas été écrits du fait d'une conviction profonde du bien-fondé de cette théorie, mais dans un but précis que nous trouvons dans la « littérature de la justification » (apologétique) dont les auteurs ont voulu montrer aux peuples du monde que l'on peut trouver leur point de vue et leur théorie dans les Saintes Écritures et aussi dans les paroles de nos Sages.1 Les auteurs eux-mêmes savaient que ce n'était qu'une explication donnée par obligation et par force. Ils se sont vus forcés de tenir ce langage afin d'améliorer le point de vue du « monde » sur notre Sainte Torah et sa relation à elle, bien qu'ils aient su eux-mêmes que ce n'était pas le vrai sens des textes.

Qui pour nous est plus grand que Maïmonide à propos duquel les grands de notre peuple ont affirmé « de Moïse à Moïse nul ne s'est levé comme Moïse ». Or, si on analyse son livre de lois, le Yad Ha'hazaka, on s'aperçoit à quel point les explications qu'il donne dans le « Guide des Égarés », en particulier celle des commandements divins, n'étaient en aucun cas son propre point de vue sur la Torah. Il en va de même pour un certain nombre de penseurs orthodoxes de notre peuple, du Moyen-Âge à nos jours, qui sont persuadés qu'il faut sanctifier le nom de D.ieu en détournant les paroles de nos Sages de leur sens afin qu'elles coïncident avec les théories « scientifiques » puisque, grâce à cela, ils auront la considération de certains cercles de notre peuple et des autres peuples aussi.

Encore un exemple de cela : on sait quels efforts ont déployé un certain nombre de nos grands Maîtres afin de faire coïncider le sens premier des écrits qui sous-entendent que le soleil et la lune tournent alors que la terre est fixe, avec le point de vue de Copernic qui a été tenu pendant longtemps pour une vérité absolue. Jusqu'à ce qu’arrive la théorie de la relativité d'Einstein qui a prouvé (et il est clair que c'est une preuve au stade actuel de la connaissance humaine) que du point de vue de la science il est impossible de décider à propos de la relation de la terre et des étoiles, qui est fixe et qui tourne, et il se peut donc aussi que la terre soit fixe et que les étoiles tournent autour d'elle. Il n'y a donc aucun besoin de sortir les écrits de leur sens premier ni d'en compliquer le sens

De même, toute parole de nos Sages peut être comprise dans son sens simple.

c) Pour en revenir à la théorie de l'évolution, nous savons le principe scientifique fondateur d'une théorie : une théorie découle du besoin de comprendre certains phénomènes et certains sujets difficiles qui se présentent à nous. La théorie doit être fondée sur des bases prises de la nature et des sens. En d'autres termes : une théorie scientifique a pour but d'expliquer un phénomène difficile à comprendre à l'aide de sujets et d'explications s'appuyant sur des preuves expérimentales qui rendront ce phénomène plus simple. Et, l'une des propriétés premières que doit posséder une théorie scientifique est de pouvoir tester par l'expérience le bien-fondé de ses conclusions.

Il en va de même pour notre sujet : certains se sont demandé comment ont été créées et d'où sont venues tant de catégories et d'espèces qui se trouvent dans la nature, dans le minéral, le végétal, l'animal ainsi que dans l'humain. Ils ont alors pensé pouvoir supprimer cette question par une théorie selon laquelle ne se trouvaient au début que des êtres à la structure très simple. À partir de ces êtres se sont formés, au cours du temps, des êtres composés dune structure de plus en plus complexe au point qu'à partir d'un être monocellulaire ont été formés de grands animaux et même l'être humain. Or, pour qu'une telle théorie puisse être qualifiée de « scientifique », elle doit remplir un certain nombre de conditions parmi lesquelles, comme nous l'avons dit :

1) L'évolution d'un être simple à un être composé et complexe doit être un phénomène observé dans la nature. Tout au moins, il faudrait qu'un homme digne de foi témoigne avoir observé un tel phénomène un certain nombre de fois. Or, il est un fait connu par tous qu'il n'existe aucun témoignage digne de foi affirmant avoir observé l'évolution d'un être vers un autre. Ce qu'on a pu observer et même ce que raconte Darwin lui-même dans son livre bien connu, c'est de légers changements dans certains membres et d'autre part, on a trouvé des squelettes de créatures mortes qui ressemblaient à ceux des créatures vivantes. On en a déduit que la bonne hypothèse était d'affirmer qu'une espèce a évolué à partir de l'autre. Ces déductions sont fondées sur des espèces de colombes et des espèces de chevaux sur lesquelles repose principalement la théorie de l'évolution.

2) Le modèle proposé par la théorie de l'évolution doit être plus clair et plus simple que le fait de croire que tout a été créé ex nihilo.

Or, il n'y a aucune preuve dans la nature qui nous permette d'affirmer qu'il est plus facile qu'un être simple se transforme finalement en homme que l'homme soit créé ex nihilo. Soit, en d'autres termes : l'explication selon laquelle un ensemble d'atomes et de molécules se sont regroupés au point de donner forme à l'existence d'un homme ne présente pas plus de difficultés que de dire qu'un ensemble de cellules simples qui ont subi des changements dans leurs conditions de « vie » se sont transformées, au cours du temps, en membres d'un corps, totalement différents les uns des autres comme le cerveau dans la tête, la pupille de l'œil ou le talon du pied.

d) Il existe un certain nombre de créatures aussi bien des règnes végétal qu'animal inférieurs dont la durée de vie est très courte et, de ce fait, l'homme peut expérimenter le cheminement des transformations de leur corps pendant un grand nombre de générations. De même, l'expérimentateur a la possibilité de changer leurs conditions de vie de façon très importante. Or, malgré tout cela, les scientifiques n'ont pas réussi à transformer une espèce en une autre et les seuls résultats qu'ils aient obtenus se résument à un changement des propriétés des végétaux ou des animaux dans une certaine mesure, ou la production d'êtres hybrides par accouplement d'espèces différentes, mais en aucun cas la transformation d'êtres inférieurs en êtres des espèces supérieures.

e) On connaît la loi admise par tous les scientifiques selon laquelle il y a « conservation » de la matière, ou, selon les conclusions les plus récentes de la science, « conservation » de la quantité totale de matière et d'énergie. D'après cette loi, tous les atomes et les particules existaient déjà au début de la création (ou existent depuis toujours du point de vue des apostats). Or, selon la théorie de l'évolution, on doit dire qu'au départ se trouvaient déjà tous les atomes, mais que ceux-ci étaient éparpillés et se sont regroupés les uns aux autres en suivant des règles diverses et étranges et dans des conditions particulières, alors que du point de vue des statistiques et des probabilités, il est presque exclu que ce soient trouvées réunies autant de conditions favorables en même temps. Plus encore, d'après cette théorie, on est obligé de dire que ces conditions ont duré (alors que, du point de vue de la science, elles sont presque impossibles) pendant des millions et des milliards d'années et ont agi toujours dans la même direction, c'est-à-dire l'évolution de l'inférieur vers le supérieur et le plus évolué.

D'autre part, du point de vue du croyant, selon lequel D.ieu a créé ex nihilo la totalité des atomes qui se trouvent dans le monde, la possibilité qu'a le Créateur de créer non seulement un être monocellulaire, mais des êtres composés de millions de cellules ne pose aucun problème.2

Remarque : certains croyants soutiennent la théorie de l'évolution, car, sans elle, ils se posent la question suivante : « Pourquoi D.ieu aurait-Il dû créer tant d'espèces différentes dont ils ne voient pas l'utilité... »

Mais, en fait, cette question n'est aucunement résolue par la théorie de l'évolution, car, pour la Torah, les lois de la nature elles aussi ont été fixées par la volonté divine. S'il en est ainsi, on peut se demander quelle est l'utilité de ces lois de la nature qui sont à l'origine d'un tel nombre d'espèces différentes qui, pour ceux qui posent la question, n'ont aucune utilité.

f) Il se trouve encore un certain nombre de questions et de points complètement incompréhensibles dans la théorie de l'évolution elle-même et, de plus, un certain nombre de scientifiques la remettent en question. Vous pouvez vous référer par exemple aux ouvrages de Fleischmann et Schindewolf (référencés ci-après) dans lesquels vous trouverez une critique véhémente de cette théorie. Vous savez sans doute aussi que, dans la théorie de l'évolution, se trouve un certain nombre de contradictions. Il en va de même pour la datation du globe terrestre par exemple : la datation par la quantité de sel de l'océan, celle obtenue par la quantité de radium, de plomb et d'uranium en un endroit donné, la datation se fondant sur l'état actuel du soleil, celle tenant compte des couches terrestres en différents endroits, sont en complète contradiction entre elles.

g) Il faut aussi mentionner que même si quelqu'un venait à prouver qu'il est possible qu'à l'heure actuelle, une espèce évolue vers l'autre et s'il le constatait de ses propres yeux, cela ne serait en aucun cas une contradiction à la religion et à notre foi (bien que, comme nous l'avons dit, cela serait un phénomène étrange autant qu'extraordinaire qu'un homme de science ne pourrait admettre sans preuve éclatante de sa véracité). Je n'ai fait qu'affirmer, jusqu'à présent, que le processus de création s'est effectivement déroulé comme cela est relaté dans notre Sainte Torah, c'est-à-dire que le mardi de la création il s'est passé : « que la terre fasse pousser de l'herbe... un arbre fruitier par espèce », soit chaque espèce en elle-même, comme nous l'ont dit nos Sages (Traité 'Houline 60b) et tout cela a été créé pendant douze heures du mardi. De la même façon, le mercredi, les luminaires du ciel et les étoiles ont été créés (ou suspendus), le jeudi, les poissons et les volatiles et enfin les animaux domestiques et sauvages ainsi que l'espèce humaine le vendredi.

Avec ma bénédiction pour vous et vos amis, pour monter avec réussite le chemin qui mène à la maison de D.ieu, c'est-à-dire le chemin de la Torah et des commandements, expressément par l'action.

M. Schneerson

 

Fleischmann :

Die Darwinsche Théorie, 903
Die Deszendenztheorie, Aufund Niedergang einer Naturwissenschaftlische Hypothèse, 1901

Schindewolf :

O.H., Beopachtungen und Gedanken zum Deszendenzlehre, Acta Biotheoritica, 1937