Doué d’une mémoire phénoménale et d’un sens pédagogique hors du commun, le Rav Kahn – ou « Reb Yoël » comme les ‘hassidim l’appellent affectueusement – est, depuis que le Rabbi a pris ses fonctions en 1950, le « ‘hozer » principal, chargé de mettre par écrit les discours du Rabbi et de lui soumettre une version rédigée. À l’issue du Chabbat ou des jours de fête, lorsque l’enregistrement était impossible, les ‘hozrim à la tête desquels Reb Yoël retranscrivaient fidèlement de mémoire des discours de plusieurs heures !
La mémoire n’est toutefois pas la seule qualité du Rav Kahn. Il est l’auteur de nombreux ouvrages synthétisant la pensée ‘hassidique en général et celle du Rabbi en particulier.
Il nous livre ici le développement d’un aspect fondamental de l’œuvre du Rabbi : l’expression de l’Unité divine.
L’indispensable soumission à D.ieu
Certains éléments peuvent laisser penser, quand on les examine superficiellement, qu’ils sont contradictoires, puis, à l’issue d’un examen plus approfondi, on s’aperçoit non seulement qu’ils ne le sont pas, mais, en outre, qu’ils découlent l’un et l’autre d’un seul et même point. L’un des exemples les plus frappants de cela est un principe fondamental du service de D.ieu, selon la conception de ‘Habad. Le Tanya, au chapitre 41 et de nombreux discours ‘hassidiques expliquent, en effet, que le principe premier du service de D.ieu est la soumission au Saint, béni soit-Il, l’acceptation du joug de Sa Royauté.
Pourquoi cette soumission est-elle si importante ? Parce que l’homme qui accomplit une certaine action uniquement parce qu’il en perçoit intellectuellement la valeur reste lié, ce faisant, aux limites de sa propre personnalité. Il agit alors en fonction de ce qu’il a compris et, de ce fait, la nature même de son service de D.ieu est remise en cause.
Rien au monde n’est totalement sans importance. Chaque détail de la création a sa raison d’être dans le Dessein divin.Il est nécessaire, en effet, de servir D.ieu, comme l’établit le verset (Exode 23, 25) : « Vous servirez l’Éternel votre D.ieu », comme le fait le serviteur qui met en pratique la volonté de son maître. En effet, le fondement du service de cet homme n’est pas sa propre existence, qui est insignifiante. C’est, bien au contraire, sa soumission, son assujettissement à son maître. Qu’il comprenne l’injonction qu’il lui donne ou non, il devra, en tout état de cause, se conformer à sa volonté. Cela veut bien dire que la base de son service est la soumission au maître.
Or, il en est strictement de même pour le service de D.ieu d’un Juif. Celui-ci est véritable lorsque ce Juif étudie la Torah et met en pratique les Mitsvot parce qu’il est soumis à D.ieu. Un Juif doit ressentir profondément cet assujettissement, s’astreindre à faire tout ce que D.ieu ordonne. C’est cette motivation qui le conduit à étudier la Torah et à mettre en pratique les Mitsvot. En revanche, s’il adopte le comportement de la Torah et des Mitsvot uniquement parce qu’il en comprend l’importance, il ne sert pas D.ieu !
Ce qui vient d’être dit conduit à adopter la conclusion suivante: la perception et la compréhension n’ont pas leur place dans le service de D.ieu. Elles concernent uniquement l’existence de l’homme, à titre personnel et elles vont à l’encontre de sa soumission, y compris de celle qui ne fait pas disparaître sa personnalité propre et, a fortiori, de celle qui en fait abstraction.
L’importance de la compréhension
Malgré tout cela, la ‘Hassidout ‘Habad demande de faire intervenir également la compréhension, la réflexion et la méditation dans le service de D.ieu. De fait, c’est précisément le sens du mot ‘Habad, qui est constitué des initiales de ‘Hokhma, la découverte intellectuelle, Bina, l’analyse raisonnée et Daat, la synthèse finale. La ‘Hassidout ‘Habad prône l’utilisation de toutes les forces de l’intellect pour le service de D.ieu et la perception divine. Or, si la soumission est essentielle, comme on vient de le montrer, pourquoi la compréhension est-elle nécessaire ?
Rabbi Yossef Its’hak raconte qu’une fois, un ‘Hassid offrit à l’Admour Hazaken une tabatière en argent. Mais, l’Admour Hazaken refusa de l’utiliser en y plaçant du tabac à priser et il justifia son attitude de la façon suivante. Faisant allusion au nez, il déclara :
« Il y a un membre, dans le corps de l’homme, qui n’est pas victime des passions. Veut-on, malgré cela, lui en inspirer ? » L’Admour Hazaken se servit donc de cette tabatière brillante comme d’un miroir pour vérifier que ses Téfiline de la tête étaient bien à leur place.
Un homme avisé doit pouvoir faire la différence entre l’impression d’exister que ressent une créature et le bien qu’elle porte en elleUne fois, on relata ce récit en présence du Tséma’h Tsédek, petit-fils de l’Admour Hazaken et quelqu’un précisa que l’Admour Hazaken avait dû casser le couvercle de la tabatière pour en faire un miroir. Le Tséma’h Tsédek eut alors la réaction suivante :
« Mon grand-père n’avait pas pour habitude de casser. Il n’a jamais brisé sa propre personne et il n’a pas brisé non plus celle des autres. Vraisemblablement, le couvercle était relié à la tabatière par un simple fil et mon grand-père a ôté ce fil. En revanche, il est certain qu’il n’a rien cassé. »
Ainsi, le Tséma’h Tsédek avait la certitude absolue, la plus profonde conviction que l’Admour Hazaken n’avait rien cassé intentionnellement, pas même un objet inerte et qu’il n’avait fait qu’ôter un fil. Le Rabbi commente ce récit, dans l’une des réunions ‘hassidiques et il souligne qu’il délivre un enseignement profond, applicable au service de D.ieu de chacun.
L’Admour Hazaken se servit du couvercle pour vérifier que ses Téfiline étaient bien à leur place. Or, les Téfiline ont pour objet d’assujettir le cerveau et le cœur de l’homme à D.ieu. On aurait donc pu penser que l’on réalise un tel assujettissement en mettant sa personnalité de côté et en la brisant. Le Tséma’h Tsédek précise donc que, chez l’Admour Hazaken, une telle cassure était inconcevable.
Ayant révélé la dimension profonde de la Torah et ayant défini ce qu’était l’Unité de D.ieu dans l’enseignement de la ‘Hassidout, l’Admour Hazaken ne voulait rien casser, rien exclure, ni sa propre personne, ni celle de son prochain, ni même un objet inerte.
Ainsi, même quand il s’agit d’assujettir son cœur et son cerveau au service de D.ieu, il n’y a pas lieu de casser. Le Saint béni soit-Il ne veut pas qu’un homme brise son cœur et son cerveau. Il doit, bien au contraire, les mettre à Son service.
L’unité divine
La ‘Hassidout définit la notion d’Unité de D.ieu. Celle-ci signifie qu’il n’existe strictement rien d’autre que Lui, que tout est Divinité, mais que l’Existence de D.ieu ne remet nullement en cause celle des créatures. Bien au contraire, elle leur apporte l’élévation et la hauteur. Car, l’existence véritable de ces créatures est la Force de D.ieu qu’elles portent en elles et qui les animent. C’est cette force qui leur confère toute leur importance.
Rien au monde n’est totalement sans importance. Chaque détail de la création a sa raison d’être dans le Dessein divin. Chaque créature proclame, à sa façon, l’honneur du Saint béni soit-Il, à la mesure de ses facultés et de ses caractéristiques.
C’est précisément de cette manière que l’on doit observer toutes les créatures du monde. On doit se dire qu’elles ne remettent pas en cause l’Unité de D.ieu, ce qu’à D.ieu ne plaise. Bien au contraire, leur existence véritable est la Divinité, qui est à l’origine de leur création. De ce fait, elles ont une finalité, un but précis, qui leur est assigné dans ce monde. Et, tel est précisément le rôle du Juif, qui est chargé de mettre en évidence cette finalité divine en chaque aspect de la création en l’utilisant de la manière la plus juste, conformément à la Volonté de D.ieu.
Révéler le bien de chaque chose
Pour être en mesure d’utiliser toutes les existences de la manière la plus juste, il faut ôter le « fil » qui les relie au mal. Certes, pour y parvenir, un intense effort est nécessaire. En effet, le monde a été créé de telle façon qu’il semble, à nos yeux, posséder une existence indépendante, séparée du Saint béni soit-Il. La matière semble liée aux forces du mal et à tout ce qui occulte la Divinité. Et, c’est précisément à un Juif qu’il incombe de faire disparaître cette impression.
Un Juif doit ôter le fil qui relie l’existence du monde aux forces du mal, introduire son propre effort afin de départir les créatures de la conscience de leur propre existence, mais il doit le faire sans les briser et sans les faire disparaître. Tout d’abord, un être créé, par lui-même, ne doit pas être brisé, car il est bon. Il révèle l’honneur du Saint béni soit-Il, dans le monde. Un homme avisé doit pouvoir faire la différence entre l’impression d’exister que ressent une créature et le bien qu’elle porte en elle. L’orgueil doit être rejeté, mais le bien, la finalité divine doivent être découverts et révélés.
Il en est de même également pour l’existence de l’homme. Il ne s’agit pas de rejeter et de supprimer son intellect et sa perception. Bien au contraire, il faut mettre en évidence que cet intellect a été créé par le Saint béni soit-Il, qu’il lui permet de comprendre et d’intégrer les concepts divins, tout ce qui est au-delà de sa propre existence. C’est précisément dans ce but que l’intellect a été créé.
Soumission et conscience
Selon une formulation quelque peu différente, on pourrait dire que, si l’homme se réfère à la soumission telle qu’elle est par elle-même, sans avoir conscience de son contenu et de sa raison d’être, cette soumission et son intellect sont effectivement des éléments contradictoires. En revanche, quand l’homme sait à qui il se soumet et pourquoi il le fait, il ne recherche pas uniquement l’aspect superficiel de cette soumission et sa propre bassesse. Il a à cœur, bien au contraire, de réaliser le Dessein du Maître.
Lorsque l’homme soumis ressent qu’il est attaché au Saint béni soit-Il, son unique objectif est de mettre en pratique Sa Volonté. Or, le Maître, le Saint béni soit-Il veut qu’un Juif se serve également de son intellect pour Le servir. C’est donc ce qu’il fait.
Il découle de cette analyse que la nécessité de se soumettre et d’accepter le joug de la Royauté céleste, telle qu’elle est prônée par la ‘Hassidout, ne remet pas en cause la perception et la compréhension. Bien au contraire, l’une et l’autre découlent du même point. Il est nécessaire que l’Unité véritable du Saint béni soit-Il scintille et apparaisse de manière fixe en tout endroit, y compris en l’intellect et en l’existence de l’homme, tel qu’il est ici-bas.
Amour de la Torah vs. amour du prochain
Un autre exemple de la conciliation de deux aspects opposés, obtenue en mettant en évidence leur source profonde, est le rapport qui peut être établi entre l’amour de la Torah et l’amour du prochain. Ces deux notions sont parfois perçues comme contradictoires, mais les explications de la ‘Hassidout, qui en révèlent toute la profondeur, permettent d’établir qu’il n’en est pas ainsi et qu’elles s’unissent pour ne former qu’une seule et même entité.
Certains ont une vision du monde dans laquelle la Torah est le principe unique et central de leur existence, le guide fondamental de leur vie. En conséquence, ils font le choix de se couper de nos frères, les enfants d’Israël qui, pour l’heure, ne pratiquent pas encore la Torah et les Mitsvot, ou même de lutter contre eux. Leur attachement à la Torah et aux Mitsvot les écarte du sentiment d’amour envers les Juifs qui ne suivent pas la même voie qu’eux.
À l’inverse, d’autres accordent un rôle prépondérant à l’amour du prochain, à l’amour des créatures. Chez de tels Juifs, le désir d’aimer chacun peut aussi les conduire à un écart, à renoncer à la pratique de certaines lois, dans leurs relations avec les autres, car le centre de leur vie est l’amour de chaque Juif. Ainsi, ils pourront ignorer les fautes de leur prochain. En pareil cas, l’amour des autres a pour conséquence un respect moins scrupuleux du Choul’hane Aroukh.
Il en résulte que, dans la perception des hommes, l’amour de la Torah et l’amour du prochain sont bien deux valeurs différentes. Et il en découle une certaine forme de conflit intérieur, au sein de la personnalité humaine, afin de déterminer ce qui est le plus important, les Juifs ou la Torah.
Il ne s’agit pas uniquement de proclamer la puissance de D.ieu en tout endroit. Il faut aussi que cette puissance pénètre l’endroit et lui apporte l’élévation, que le lieu matériel devienne le reflet de la puissance divineUne telle situation découle du fait que l’on appréhende ces notions sans en percevoir le contenu profond. En revanche, quand on les envisage avec toute la profondeur nécessaire, on comprend ce qu’est la nature véritable d’un Juif, ce qu’est celle de la Torah. Dès lors, on constate qu’elles émanent, l’une et l’autre, d’un seul et même point. L’âme d’un Juif prend sa source en l’Essence du Saint béni soit-Il et la source de la Torah se trouve également en cette Essence. De ce fait, un Juif est précieux et la Torah est précieuse, sans que la valeur de l’un remette en cause celle de l’autre.
Lorsqu’un homme est lié à la Torah et ressent de l’enthousiasme pour elle parce qu’elle est unifiée au Saint béni soit-Il, il aimera également les enfants de D.ieu. De même, en sens inverse, celui qui aime un autre Juif du fait de son attachement profond au Saint béni soit-Il, s’efforcera, du fait de cet amour, de rechercher également le bien moral de son prochain et de le faire avancer également sur la voie de la Torah, sans aucune concession.
Quand ils sont définis de cette façon, l’amour des enfants du Saint béni soit-Il et l’amour de Sa Torah ne se contredisent pas l’un l’autre. Bien au contraire, ils se présentent conjointement, ainsi qu’il est dit : « Israël, la Torah et le Saint béni soit-Il ne font qu’un. » (Zohar III, 73a)
L’existence profonde d’un Juif est son attachement à D.ieu, à Sa Torah et l’objet de la Torah est : « Parle aux enfants d’Israël », « Ordonne aux enfants d’Israël », précisément dans le but de révéler ce lien et de le mettre en évidence.
L’unité qui imprègne l’action du Rabbi
Dans la manière dont le Rabbi a dirigé son action, on a pu observer clairement ces deux valeurs, qui étaient profondément imbriquées. D’un côté, le Rabbi déplorait le peu d’élévation de cette génération, en tout ce qui concerne la spiritualité et la Torah. Et il en ressentait pleinement la douleur. Il lutta âprement contre la moindre concession à la Torah. En revanche, il ne lutta jamais contre un Juif, à titre personnel. Le Rabbi luttait contre des conceptions qui sont opposées au Judaïsme, mais non contre les Juifs qui les adoptent.
Bien plus, dans sa lutte pour la Torah, sa douleur, son amour et sa pitié étaient clairement perceptibles. Je me souviens que, lorsque le Rabbi présentait, bien souvent d’une manière très incisive, au cours des réunions ‘hassidiques, le danger pour le peuple d’Israël que représentent les conversions au Judaïsme qui ne sont pas conformes à la Halakha, on pouvait percevoir, dans sa manière de s’exprimer, un sentiment profond de pitié et d’amour.
Le combat le plus âpre était toujours mené par le Rabbi dans les larmes et les plaintes. Non seulement sa lutte pour le maintien de la Torah n’affaiblissait pas son amour du prochain, mais, bien plus, quand il soulignait le tort qui avait été causé et s’efforçait de le réparer, on pouvait ressentir, en cela également, son amour et sa pitié.
Telle est donc rapproche que le Rabbi a léguée à ses disciples et le comportement qu’il attend de leur part. Le Rabbi a demandé que l’on diffuse le Judaïsme et les sources de la ‘Hassidout, à l’extérieur, non seulement parce que la vérité de la Torah doit parvenir à chaque Juif, en tout endroit, mais aussi par amour d’un Juif, par compassion envers lui. Pourquoi ce Juif n’aurait-il pas, lui aussi, le mérite d’étudier la Torah et de s’attacher à son Père céleste ?
Lorsque l’on fait porter les Téfiline à un Juif, on ne le fait pas pour les Téfiline, mais pour ce Juif lui-même ! Le Rabbi a cherché un moyen de transmettre la Torah à chaque Juif et de lui apporter l’élévation. Et, dans la pratique, on peut vérifier que cette approche s’est avérée efficace. Lorsque la personne que l’on cherche à rapprocher ressent que celui qui s’adresse à elle n’a pas d’autre but que de diffuser la Torah, le succès est limité, car on ne s’est pas intéressé à sa propre personne. En revanche, quand on recherche sincèrement à lui venir en aide, à la soutenir et à lui apporter l’élévation, elle le ressent et les propos qu’on lui adresse pénètrent dans son cœur.
Ces deux extrêmes trouvent également leur expression dans l’attente de la Délivrance. Il est dit, à propos de la période messianique, qu’alors : « Tout être créé saura que Tu l’as créé, toute créature comprendra que Tu l’as façonnée. » Le désir d’assister à la réalisation de cette promesse et l’action menée pour l’obtenir n’ont pas uniquement pour objet d’accéder au jour en lequel la Divinité se révélera pleinement dans le monde. Ils doivent permettre, en outre, que les « êtres créés » et les « créatures » prennent conscience de la Vérité divine et qu’ils en aient pleinement connaissance.
Il ne s’agit pas uniquement de proclamer la puissance de D.ieu en tout endroit. Il faut aussi que cette puissance pénètre l’endroit et lui apporte l’élévation, que le lieu matériel devienne le reflet de la puissance divine, dans toute la mesure du possible.
Commencez une discussion