Cet article fut publié par le Dr Hilel Seidman à l'occasion du soixante-dix-septième anniversaire du Rabbi, en 1979.
Il est difficile d'écrire quelque chose à propos d'une personne, alors que votre meilleure source d'information à son sujet est hermétiquement close. Car cette meilleure source d'information c'est encore elle-même. Et sur ce point, le Rabbi de Loubavitch est loin d'être prolixe, même de manière indirecte.
Son regard est tourné vers l'extérieur, traitant de situations et d'opinions, jamais de sa personne. Car tout en étant au centre de la 'Hassidouth 'Habad, le Rabbi se tient comme en retrait de sa fonction, de son service et de ses buts. Il considère que seuls ceux-ci sont essentiels, et que sa personne ne l'est pas.
Le Rabbi de Loubavitch est donc quelqu'un de célèbre et un homme inconnu : tout le monde croit le connaître, mais rares sont ceux qui le connaissent vraiment.
Au fond, peut-on dire objectivement que les grands Rabbis se sont un jour dévoilés ? Ils sont plutôt restés toujours inconnus du peuple. Ceci s'applique, et peut-être encore plus qu'aux autres, à l'actuel Rabbi de Loubavitch, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, géant de la « Loi Révélée » (le Talmud), de la « Connaissance Secrète » (la Kabbalah) et dans la faculté de rester lui-même quelqu'un de secret.
En définitive, ce qu'on peut voir et entendre de lui se limite à ce qui filtre au-dehors d'une riche et profonde personnalité, quant à celle-ci elle reste insaisissable.
Une source d'inspiration
Son influence touche loin et de manière large ; bien plus loin et largement qu'on ne le pense, embrassant des zones et des voies mentales de très nombreux types humains, pratiquement étrangers les uns aux autres. Pourtant il n'en excelle pas moins dans l'art de la concentration et de l'analyse pénétrante, possédant ainsi les deux vertus contraires : la faculté de rayonner et celle de se concentrer. En pratique cela signifie que les énergies qu'il propage au loin, ne s'affaiblissent pas sous l'effet de cette contraction. On comprend que, plus la périphérie concernée est lointaine, plus condensée et plus intense doit être l'intensité du brasier central.
C'est bien l'inverse de ce qu'on tient couramment pour fondé en la matière. On croit généralement que pour influencer un public vers telle ou telle tendance, il est nécessaire de se conformer à ce public, c'est-à-dire d'être neutre, servile et plat.
La vérité est que le public n'est pas si creux que le croient ceux qui prétendent le diriger, et que dans le cas où il y a effectivement un vide, celui-ci « appelle », selon la loi physique, un élément qui le comblera.
En réalité le public est saturé des platitudes. Le « populaire » n'est plus si primaire, il cherche au contraire un sens et un contenu à chaque chose, à une époque de désordre où le monde alentour vacille et chancelle. Les piliers sur lesquels étaient basées les convictions, sont maintenant secoués et tremblent sans arrêt. C'est ce qui explique qu'on se tourne vers le Judaïsme pour y chercher de plus fermes points d'appui.
Or, où pourrait-on en trouver de plus fermes qu'auprès du Rabbi de Loubavitch ?
Entièrement plongé dans la Torah, et en même temps à l'écoute du monde contemporain, « les voies du Ciel lui sont aussi familières que les rues de Néhardéa » (selon l'image donnée par le Talmud) ; mais il connaît ce monde dans toutes ses voies... et jusque dans ses impasses.
Quant à l'être humain, il le connaît et le suit de près, aussi bien en tant que collectivité que d'individu. Ses yeux enregistrent les moindres faits de la collectivité, pendant que ses oreilles sont attentives à capter les moindres vibrations de l'âme.
Connaisseur de l'âme humaine
S'il vous a été donné de l'entendre non seulement en audience privée (la Ye'hidouth), mais lors d'une de ses conférences (un Farbrenguen), vous conviendrez que vous n'aviez pas l'impression qu'il s'adressait à un public, mais qu'il vous visait personnellement, et que ce qu'il disait concernait les recoins secrets de votre vie privée.
C'est qu'on a affaire à un connaisseur de l'âme humaine. Son savoir, il ne l'a pas seulement acquis dans les études théoriques, mais aussi grâce à ce don d'observation attentive et intuitive que la Divine Providence a accordé à quelques rares humains. Ceci explique que le contact avec autrui soit chez lui si « personnalisé ».
Ce que pense le Rabbi, c'est que la foi théorique et abstraite ne suffit pas, lorsqu'on possède par ailleurs des capacités intellectuelles et mentales, et qu'il faut utiliser celles-ci au service du Créateur.
C'est pourquoi il explore et découvre chez l'interlocuteur des aptitudes à cela ; puis il s'efforce à les mobiliser pour le rayonnement du Judaïsme dans et au-dehors de l'individu, élevant ainsi ses facultés à leur place appropriée dans le service de D.ieu.
Tout contact, tout lien avec le Rabbi comportera nécessairement ces deux temps : en premier lieu une « écoute » approfondie de l'interlocuteur, puis l'orientation la plus appropriée de ses facultés et talents.
Mais tout ce que nous avons exposé n'est qu'une tentative de saisir la personnalité du Rabbi, d'ouvrir une lucarne pour essayer de l'apercevoir. Et on ne peut guère espérer mieux. Car tout en prenant le relais d'une longue tradition, le Rabbi trace son chemin de manière originale et solitaire.
Bien sûr l'influence des Rabbis de 'Habad qui l'ont précédé est puissamment présente en lui – il n'y a qu'à l'observer dans l'approfondissement de leurs œuvres – particulièrement celle de son beau-père, le précédent Rabbi. Mais cela n'empêche pas une voie originale qu'il suit d'un pas ferme et résolu.
Résultat d'un effort personnel
Pas la moindre trace d'imitation, même envers les figures qu'il vénère le plus ; il ne se repose pas sur l'héritage inné, et ne veut pas bénéficier de la gratuité. Les mérites ancestraux, qui se trouvent en lui en abondance, sont plutôt à ses yeux autant de responsabilités, qu'il acquiert à la force du poignet de la même manière qu'il draine toutes les lumières des précédents Chefs de 'Habad, dont il est le septième.
Et toutes ces acquisitions, il les paie par un prodigieux labeur d'analyse et d'approfondissement de leurs œuvres.
Le principe talmudique énonçant que « l'abondance des biens s'accompagne d'une abondance de soucis » vaut dans son cas pour les biens spirituels. Mais soyez sans crainte pour ces biens : il n'en perdra pas un seul.
Quant à la relation entre ce que l'héritage ancestral lui lègue et ce qu'il puise à chaque instant, cela peut être comparé à des graines plantées par d'autres, mais qui poussent et sortent de terre tout seules, favorisées par une Bénédiction personnalisée.
En tout état de cause. Le Rabbi n'a jamais rien acquis machinalement.
Un « Maamar » du Rabbi
Si vous avez déjà assisté à un Farbrenguen, ou réunion publique, au milieu des 'Hassidim, et écouté un Maamar du Rabbi, vous avez dû certainement vous demander : d'où vient la puissance que ce discours véhicule ?
Il est difficile de donner une réponse satisfaisante à cette question. On ne peut que constater le fait, et pressentir que cette puissance doit jaillir de profondeurs inconnaissables. Nous nous contenterons donc de donner ici quelques impressions ressenties à l'audition d'un Maamar.
Il faut noter avant tout que le cadre et l'atmosphère dans lesquels on l'entend – c'est-à-dire le « climat » propre à Loubavitch – sont d'une importance première pour la pénétration du Maamar en vous, ce qui le situe loin d'une simple audition.
Tout d'abord la façon dont le monde arrive et s'installe. C'est bien d'un « monde » qu'il s'agit ; un monde cohérent et structuré, et non d'un « public » qui débarque là par hasard, ou qu'on aurait traîné à coup de publicité. Ces Juifs-là aspirent visiblement à entendre la Parole de D.ieu, ceci émane de leur personne pendant leur attente fiévreuse.
Le Rabbi pénètre dans la salle. La crainte respectueuse se teinte de joie fébrile, les chants se succèdent, emplis de la ferveur si caractéristique de 'Habad. Tout cela concourt à vous faire désirer encore plus ce qui va arriver.
Enfin le Maamar se fait entendre. Son contenu, il faut l'avoir entendu ou lu, c'est à la fois un raisonnement profond, le moteur d'un grand enthousiasme, et dans sa structure-même le résultat d'un effort passionné. Et c'est bien l'un des signes de sa valeur, que de pouvoir être lu, donc sans bénéficier de l'inestimable concours de la voix du Rabbi, tout en procurant au lecteur le plus grand profit, par la richesse et la profondeur des idées qu'il véhicule. Quant à nous, nous traiterons ici de la forme du Maamar qui, en un certain sens, est aussi une partie de son fond.
Le thème du Maamar – qui serait plutôt une chaîne de plusieurs Maamarim – se tend comme un droit fil sur lequel glisseraient des perles. Chacune brille d'une couleur particulière et étincelle de son éclat propre. Chaque concept évoqué pourrait constituer un véritable chapitre en soi, plein de sens et d'idée, qu'il faudrait profondément étudier. Mais pour les Rabbis, ce ne sont que les éléments d'un tout, du sujet qu'il traite présentement, et il les assemble en une parfaite unité.
Un chef-d'œuvre de précision
Le Rabbi étant un virtuose dans l'art du détail le plus petit, comme dans celui de l'harmonie générale de cette œuvre, rien ne sera cité inutilement, tout y sera nécessaire et de la plus extrême précision. On tient là, dans la plus rigoureuse restriction de forme, l'ensemble architectural le plus complet.
C'est pourquoi, même si l'on est frappé de tel ou tel éclair, on ne peut être étourdi par toute cette richesse, et on ne lâche pas le fil essentiel, le thème central, partout présent dans le Maamar.
Ceci provient principalement de la faculté du Rabbi d'éclaircir chaque chose ; faculté qui n'est pas un simple talent, car pour tout rendre aussi clair, il faut nécessairement l'être soi-même. La limpidité de l'expression reflète sa propre limpidité ; les mots ne coulent pas de la gorge mais du cœur. La voix vibre d'émotion contenue mais ressemble à celle d'un commandant.
Ce n'est pas un appel ou une suggestion mais un ordre, ou plutôt un rapport de situation : « les faits sont ainsi... tirez-en vous-mêmes les conclusions. »
Et vous sentez à cet instant qu'il ne peut en être autrement. Car il ne s'agit pas de paroles ordinaires, chacune d'entre-elles repose sur des fondations qui atteignent en profondeur les sources cachées du Judaïsme. Chaque mot ici n'est employé que dans un sens, et vous ne pourriez pas, comme pour maintes interprétations, lui prêter celui que vous voudriez y entendre. Impossible de vous perdre dans la forêt des mots ni dans les malentendus. Vous êtes conduits sur une route droite, sans virages ni obstacles, et sans raisonnements secondaires à admirer « chemin faisant ».
Le Rabbi est un maître dans l'art de circonscrire les idées et de les délimiter nettement, au point que devant l'auditeur se présente un champ bien cultivé avec des barrières nettes entre chaque sujet, pour qu'aucun paragraphe, aucun chapitre, ne déborde sur l'autre.
C'est cette précision des termes, précieuse en particulier pour ceux qui sont familiers de la terminologie propre à 'Habad, qui crée dans l'esprit de l'auditeur, et dans son âme, une si claire compréhension des sujets.
Comme au jour du Sinaï
Des idées difficiles et élevées vous semblent, à ce moment, tellement simples que vous vous étonnez : comment peut-on les voir d'une autre manière ? Ne vous leurrez pas : si leur sens véritable est sans conteste celui que vous entendez, ils restent malgré tout des concepts profonds, et ce n'est que grâce au « filtre » forgé par le Rabbi que ces concepts irrationnels vous paraissent logiques.
C'est l'un des traits prodigieux du Rabbi – un prodige que tout le monde peut vérifier – que de rendre rationnel le métaphysique, bien que ce que vous prenez alors pour rationnel reste en vérité irrationnel.
Il est permis de supposer que c'est cela qui s'appelle rapprocher l'Esprit Divin de l'intellect humain, ou hausser ce dernier jusqu'à percevoir ce qui demeure « dissimulé de toute pensée ».
Tout cela est bien loin, on le conçoit aisément, de l'art d'expliquer, ou du talent d'orateur. Le Rabbi en est aussi éloigné que de la recherche d'effets. Il n'emploie aucun mot pour « faire bien » ou impressionner. Et c'est précisément cela qui touche et secoue les moindres fibres de l'âme.
Tous les raisonnements exposés devant vous, tous les versets cités, sont de première fraîcheur, actuels, « joyeux comme au jour où ils furent révélés au Sinaï », selon l'expression talmudique. Car vous vous trouvez devant une analyse logique, et une synthèse des sujets tendant à la perfection. Le Maamar est entier et complet, sans bavures et sans petitesses ; les mots sortent cependant avec dévotion et respect, avec le tremblement de la Tefilah, intentionnés et fervents.
Et quand vous commencez à distinguer la ligne droite qui traverse le Maamar, vous saurez, que vous assistez au dévoilement d'une longue suite de concepts, de plus en plus profonds, d'une longue suite des Maamarim, d'un Rabbi à l'autre depuis le « Rav de Lyadi » (fondateur de 'Habad et dont le Rabbi est le septième dans la ligne de succession) et d'une chaîne encore plus lointaine depuis la Loi Orale, et même la Loi Écrite. Et c'est la conscience de cette distance qui rendra les sujets entendus encore plus proches de vous.
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