Extrait d’un discours prononcé lors d’un rassemblement des Amis américains de Loubavitch marquant le 100e anniversaire du Rabbi, qui s’est tenu à la Bibliothèque du Congrès à Washington, le 11 mars 2002.

Nous célébrons le centenaire de la naissance du Rabbi de Loubavitch. Cent ans constituent une longue période. Cette période témoigne de nombreux changements. C’est un nombre très important dans la tradition juive, car 100 ans marquent un cycle complet de vie. Cent ans constituent également une unité de temps historique – un siècle – et je veux lui rendre l’hommage qu’il mérite. Je veux parler de ce siècle, le siècle du Rabbi.

Le siècle du Rabbi fut témoin d’événements véritablement stupéfiants. Le monde a davantage changé en ce siècle qu’au cours du millénaire précédent, voire des deux millénaires précédents. Dans la sphère géopolitique, ce siècle a été témoin de nombreuses révolutions bouleversantes. Des dictatures totalitaires sont apparues en Russie, en Allemagne, en Italie et en Espagne, se sont développées, ont acquis l’hégémonie, avant de s’effondrer. La carte du monde a été profondément remaniée au cours de ce siècle. L’Europe, l’Afrique et l’Asie ont changé de visage. Presque partout, tant d’événements ont eu lieu durant cette période, notamment deux guerres mondiales qui ont ébranlé la planète.

La pensée et la connaissance connurent de profonds changements. Les nouvelles disciplines de la psychologie et de la psychanalyse ont exercé une influence durable sur notre culture en général. L’art abstrait, les nouvelles formes de littérature et l’informatisation ont apporté des images et des idées entièrement nouvelles à l’expérience humaine. Notre nouvelle compréhension de la biologie a engendré un changement post-moderniste considérable dans notre façon de concevoir les transformations subies et provoquées. La théorie de la relativité fut une découverte remarquable, transformant à jamais la perception que le monde avait de lui-même. Elle engendra la bombe atomique, tandis que notre compréhension de la biologie donna naissance au génie génétique. Ces réalisations, et tant d’autres, planent au-dessus de nous comme des menaces et des possibilités.

En examinant de plus près la vie juive, nous voyons également de grands changements. Au cours de ce siècle, la vie juive a subi trois transformations majeures. La première s’est déployée sur une longue période sans que sa portée soit immédiatement évidente, mais elle fut assez dramatique. Après une longue période où le peuple juif était demeuré assez religieux, composé de gens pratiquants, s’amorça une nette tendance à s’éloigner de l’orthodoxie. À la fin de la Première Guerre mondiale, la plupart des Juifs n’étaient plus pratiquants. C’est un changement énorme.

Le second changement fut provoqué par la Shoah. La Shoah assassina le cœur de la vie juive : des hommes, des femmes et des enfants qui étaient les éléments les plus vibrants, les plus animés du peuple juif. Six millions d’entre eux – ou plus – furent tués.

Puis vint l’établissement de l’État d’Israël : un autre événement sans précédent, un autre changement considérable. Toutes ces choses représentent des transformations dramatiques de l’histoire et de la vie du peuple juif ; rien de semblable n’était survenu au cours des mille années précédentes.

Ainsi évoluèrent le monde politique, le monde intellectuel et le monde juif.

Le Rabbi n’a pas seulement vécu dans le siècle où se déroulèrent ces événements. Le Rabbi a participé, à divers niveaux et de différentes façons, à nombre d’entre eux. Enfant, il a survécu aux pogroms en Russie, il était un jeune homme au moment de la Révolution russe, et il a fui l’Europe sous le régime nazi. Sa connaissance et sa compréhension de ce qui se passait dans le monde étaient uniques. Rappelons que le Rabbi pouvait puiser dans de vastes réserves de sagesse spirituelle et scientifique, grâce à sa maîtrise de la physique, de la biologie, de la littérature et de la nature humaine. Le Rabbi était partie prenante de tous ces changements, et il était aussi quelqu’un qui les créait et œuvrait en leur sein. Il a traversé l’époque la plus fascinante, la plus effrayante et la plus changeante.

Le Rabbi a vécu dans les temps les plus difficiles, pourtant il sut toujours aller de l’avant. Il ne fut pas seulement conscient de nombre de ces changements ; il en prédit certains et mit en garde contre d’autres.

Mais nous devons aller plus loin. Certes, le Rabbi était très conscient du passé : son propre passé, le passé de son peuple et le passé de l’humanité. Mais avec tout cela, il ne fut jamais un homme du passé ; le Rabbi était toujours un homme de l’avenir. Si vous lisez ses nombreux écrits, vous trouverez ici et là des allusions au passé, mais l’accent et l’orientation portent sur l’avenir. Il parlait parfois de ce qui était arrivé, mais davantage de ce qui devrait arriver, de ce qui allait arriver. Certains le considéraient comme un symbole de la gloire du passé juif, mais c’est une erreur. À bien des égards, il était un homme du siècle suivant, un homme qui appartenait bien plus à l’avenir qu’au passé. Et cela explique ce qui était si important pour le Rabbi dans ses dernières années.

Le Rabbi observait le monde et perçut tant d’événements qui allaient survenir, tant de frémissements et de soubresauts partout dans le monde. Cependant il ne voyait pas ces évolutions comme des aboutissements, mais plutôt comme des tremblements annonciateurs d’un grand bouleversement. Le Rabbi voyait tous les changements et la détresse tout au long du siècle comme des douleurs de l’enfantement qui annoncent une naissance imminente. Et c’est ce que le Rabbi avait à l’esprit quand il parlait de Machia’h.

Le Rabbi parlait de Machia’h parce qu’il voyait tout le passé, le siècle qu’il avait traversé, comme les grondements préparatoires précédant un bouleversement immense. Tel était son message aux gens, ce qu’il tentait de leur communiquer. Au fil des années, il devint toujours plus intense et catégorique, quant à l’idée que Machia’h était sur le point de venir. Il ne le voyait pas seulement à travers quelque vision céleste ; il le percevait en observant la marche du monde, dans les changements dont il avait été témoin. Il voyait le mouvement, la souffrance et la douleur comme présageant un événement majeur, un changement fondamental, et ce changement est l’arrivée de Machia’h.

Il est clair que la venue de Machia’h n’est pas un simple événement dans le monde ; c’est bien plus important, bien plus profond. Selon les mots des prophètes, Machia’h représente la fin des jours, c’est-à-dire la fin de l’histoire. Il marque la fin des jours ordinaires, et le commencement d’une ère complètement nouvelle, une ère si nouvelle qu’aucun précédent ne lui est comparable. Machia’h changera définitivement l’histoire et la vie humaine, et inaugurera un avenir qui sera très différent du passé.

Le Rabbi ne faisait pas que converser au sujet de Machia’h, et il ne faisait pas que parler d’une prophétie qu’il voulait préserver. Il parlait de Machia’h parce qu’il comprenait que sa venue est un processus dont nous devons être à la fois des participants actifs et des bénéficiaires passifs. C’est un processus double, comme la naissance, dont on ne peut distinguer ce qui vient d’En-Haut de ce qui relève du travail intérieur du corps humain.

Cette synthèse est ce à quoi le Rabbi faisait référence quand il parlait de Machia’h. Par conséquent, le Rabbi ne voyait pas « Machia’h » comme un mantra à dire six fois ou dix fois par jour pour surmonter les temps difficiles. Pour le Rabbi, Machia’h était quelque chose pour lequel il faut œuvrer, dont on doit s’occuper et pour lequel on doit se battre. C’est parce que nous sommes façonnés et notre histoire est construite, depuis le tout début, comme le prélude à la fin des jours. Nous ne progressons pas vers la fin de la vie humaine ou de l’existence terrestre, mais vers un changement considérable de tout cela. Ainsi c’est quelque chose dont nous ne devons pas seulement parler, mais auquel nous devons nous préparer.

Dans ce contexte, permettez-moi d’aborder la notion d’« héritage » du Rabbi. On ne devrait pas utiliser ce mot en parlant du Rabbi. Le Rabbi n’a pas laissé un héritage. Le Rabbi a laissé des ordres de marche. C’est un concept entièrement différent. Le Rabbi n’a pas seulement laissé une collection de livres, de vidéos et de discours. Il a laissé une tâche à accomplir, et les livres et autres ressources fournissent la compréhension permettant de la mener à bien.

Je vais essayer d’esquisser certaines de ces idées de façon appropriée, et transposer ses paroles élevées en un langage simple et terre-à-terre. Je crois que cela ne constitue pas seulement une interprétation personnelle, mais correspond à la perspective de la direction officielle du mouvement ‘Habad. J’espère, aussi, que cette explication sera utile pour le mouvement ‘Habad, qui, je crois, est plus grand que son organisation. J’espère également que ces mots atteindront la vaste communauté de tous ceux que le Rabbi a touchés et susciteront une forme de changement.

Quand nous parlons de la venue de Machia’h, nous parlons d’un méga-événement, d’un phénomène majeur qui changera tout. Nous ne sommes peut-être pas entièrement préparés et nous ne connaissons pas le comment, le quoi ou le quand de cet événement, mais nous parlons de changements majeurs. L’une des conséquences est que, si nous attendons des changements majeurs, nous devrons aussi en faire. Et l’un de ces changements est que nous devons abandonner une multitude de querelles et de questions mesquines ; ces conflits insignifiants ne sont pas seulement vicieux et stériles, mais ridicules.

Face aux changements véritablement majeurs que nous attendons, nos querelles triviales se réduisent à des futilités ; nos disputes deviennent comiques, et pas seulement douloureuses. Je ne parle pas seulement de querelles personnelles, mais de tout ce théâtre politique qui existe dans ce pays comme chez nous en Israël, mon pays. Beaucoup des choses pour lesquelles les gens se battent relèvent de la pure futilité, surtout si nous comparons ces querelles à l’instauration d’un ordre entièrement nouveau. En ce sens, savoir lequel du Parti A ou du Parti B aura un droit particulier ou une autorité particulière semble ridicule. Qui se souviendra de tous ces insensés qui se battaient pour de telles choses ? Quand le tsunami est sur le point de recouvrir le monde, personne ne se souviendra si mon magasin était du côté ouest de la rue ou du côté est ; tout sera déplacé.

Ainsi, la venue de Machia’h signifie, entre autres choses, l’abandon des luttes intestines. Nous devons parler aux gens de ce que signifie Machia’h. Nous devons abandonner, par exemple, les querelles entre tendances dans la communauté juive, dont beaucoup sont associées à de mesquins calculs à court terme : « Qu’est-ce qui sera mieux pour mon organisation, pour mon petit groupe, pour ma petite chose dans les deux, trois ou cinq prochaines années ? Comment puis-je obtenir davantage de soutien de tel ou tel donateur ? Comment puis-je encore manœuvrer pour obtenir une mention dans tel ou tel journal ? » Encore une fois, au regard des enjeux majeurs, tout cela est dépourvu de sens.

Il importe davantage de parler de l’avenir, de ce que les gens vont faire, quand l’heure viendra… et l’heure approche, que cela nous plaise ou non. Le statu quo changera, et toutes ces préoccupations mesquines seront emportées. Cela signifie, aussi, qu’il y a beaucoup de choses que nous devons faire. Alors que faisons-nous ?

Permettez-moi de commencer par dire quelque chose au sujet d’Israël. Nous nous trouvons dans une situation très délicate. Nous tentons d’aller vers la droite, mais la voie est bloquée. Nous tentons d’aller vers la gauche, mais la voie est bloquée. Nous essayons d’aller de l’avant, mais nous ne pouvons pas. Nous essayons de battre en retraite, mais nous sommes bloqués. Donc, nous sommes cernés de toutes parts. Il y a une direction, cependant, qui n’est pas fermée : vers le haut. Cette voie demeure ouverte, et nous devrions nous efforcer de l’emprunter.

Nous devrions le faire non pas seulement comme une déclaration ou un slogan, mais comme une démarche concrète et résolue vers un mode de vie différent. Cela ne signifie pas « Rejetons tout ce qui nous occupe ici-bas et allons traiter directement avec En-Haut ». Cela ne signifie pas vivre dans l’abstraction et oublier de prendre son petit-déjeuner. (Les gens n’oublieront pas cela même dans le Monde à Venir.) Mais nous pouvons replacer nos vies et nos préoccupations rationnelles dans leur juste perspective, et elles prendront alors un tout autre sens, nos véritables préoccupations devant porter sur l’En-Haut.

Concrètement, cela signifie se préoccuper de, et agir en faveur de, chaque composante de la société : s’attaquer aux divisions ethniques et à l’écart entre riches et pauvres ; faire de l’éducation un objectif premier et universel ; amener l’ensemble du pays à la conscience du Divin. Cela implique aussi de veiller à ne pas utiliser le Tout-Puissant pour obtenir des avantages partiels (fussent-ils louables), mais de nous souvenir que nous tous, de droite comme de gauche, sommes le peuple de D.ieu.

Plus précisément, telle est la voie et l’ordre donnés au mouvement Loubavitch, un mouvement qui se doit de continuer à avancer. Tant a été fait ; tant a été accompli. En certains lieux, les accomplissements sont merveilleux, inouïs. En certains lieux, c’est comme assister à la floraison du désert : là où la vie juive semblait morte, elle a été ressuscitée.

Mais tout cela n’est pas suffisant, c’est loin d’être suffisant, parce que nous parlons maintenant d’un processus beaucoup plus grand. Nous ne saurions plus nous contenter de rester immobiles et de nous en féliciter. Il est vrai que quand un Juif met les téfiline une fois dans sa vie, il y a une nouvelle lumière dans le monde. Il est vrai que quand un Juif élimine un aliment non-casher de son régime, même s’il ne s’abstient pas d’autres aliments non-cashers, c’est un acquis, un progrès. Mais nous devons maintenant parler aux gens non seulement de petits changements, mais de changements majeurs, de transformation complète. Nous devons les placer face à cette réalité ; ils doivent se reconnaître comme Juifs. Il n’est pas facile de faire de tels changements ; il est parfois bien difficile de les proposer, mais le moment est venu d’agir. Nous ne savons pas quand, d’ici deux ans ou dix ans, mais quelque chose de grand se prépare. Et si nous devons être préparés, alors nous devons dire aux gens de rejeter ces futilités, de cesser de s’y attacher, d’emprunter une voie différente. Cela signifie à la fois ceux qui dédient leur vie à ce travail et ceux qui sont volontaires. Cela signifie parler à ceux qui sont ici et à beaucoup d’autres qui ne le sont pas.

Nous devons commencer à parler maintenant de changement, non pas seulement de se tourner, mais de revenir sur une grande échelle. « Sur une grande échelle » signifie qu’il ne saurait suffire de gestes symboliques, par exemple, de dire à un homme âgé : « Fais-moi plaisir et envoie ton petit-fils étudier au ‘heder pendant deux heures ». Il s’agit de toucher les gens plus profondément, de les amener à changer leurs vies, à hiérarchiser leurs priorités et à concentrer leurs efforts comme il convient. Car un temps vient où seules ces choses-là compteront. Ce sera une réalité différente ; les choses ne seront pas les mêmes. Nous devons le dire aux gens. Nous devons le dire encore et encore de la façon la plus catégorique. Cela ne signifie pas que nous devons invalider ce que nous faisons ; nous devons simplement œuvrer à bien plus grande échelle. Nous devons agir avec infiniment plus d’urgence. Ces idées doivent être exprimées non seulement aux individus, mais aussi aux organisations, aux groupes, à l’ensemble de la communauté juive. Nous devons répéter l’appel du sixième Rabbi : « Téchouva immédiate – rédemption immédiate ». Tout ce qui a été accompli ne suffit pas. Cela ne suffit jamais. Il faut en faire dix fois plus, si nous voulons être prêts le moment venu.

Il y a quelque chose d’autre que nous devons dire, quelque chose qui a trait à notre attitude envers le monde. Le Rabbi a ouvert la voie, mais nous devons poursuivre cette mission auprès de nos frères juifs comme de toute l’humanité. Nous devons parler des Sept Commandements Noa’hides, les sept lois que le Tout-Puissant donna à Noé après le Déluge. Ces commandements sont pour toute l’humanité, pour chaque être humain. Nous devrions parler de ces commandements non pas seulement à un individu, comme si nous vendions une marchandise, mais à tous les peuples et nations du monde, afin que nous puissions changer le monde. Notre objectif n’est pas de rendre hommage au Rabbi. Un monde nouveau surgira sous peu, et nous devons nous y préparer. Nous devons dire aux gens qu’un temps différent vient, un temps où des choses différentes compteront. Nous devons amener tout le monde à observer les lois noa’hides de base, les lois de la nature et les lois du Divin, et nous devons rassembler les peuples. C’est ce que nous devons dire aux individus et aux nations.

Comment pouvons-nous le faire ? Parce que le Rabbi nous accompagne, accomplissant et énonçant en quelque sorte ces choses. Cela signifie reconnaître que le moment est venu de s’adresser à autrui comme à nous-mêmes, et de prêter attention aux grandes choses, aux choses importantes, et d’abandonner les vétilles.

Nos sages nous disent, à la lecture de Genèse 49,33, que « Notre père Jacob n’est pas mort ». L’idée est que, tant qu’il y a des Juifs dans le monde, la semence de Jacob est vivante, elle vit en nous. Dans chacun de nos actes, une part infime de lui continue de vivre en nous. Nous disons dans nos prières « David, le Roi d’Israël, est vivant et perdure », ce qui signifie que la royauté de David n’est jamais morte. On peut assassiner le dernier roi juif, mais nul ne peut détruire la royauté du peuple juif. La royauté est encore vivante, elle est encore là. Nous avons beau être opprimés, malmenés, la royauté d’Israël perdure. En ce sens, je dirais que le Rabbi a insufflé son esprit à tant de personnes, ses rêves, ses visions, sa perspicacité et son immense désir continuent. Si nous perpétuons son aspiration la plus profonde à accomplir cette grande transformation, nous pouvons dire que le Rabbi continue à vivre. Le Rabbi est là, quand nous sommes là et que nous faisons toutes les choses qu’il a incluses dans ses ordres de marche. Il nous a dit d’avancer. Il nous a dit de ne pas marcher mais de courir. D’être à l’offensive. D’aller plus loin.

C’est ce que nous devons faire, et nous allons le faire.