Quand Joseph fut sur le point de fauter avec la femme de Potiphar, l'image de son père lui apparut et il sentit soudain qu'il avait la force de surmonter la tentation. Il ne pouvait pas briser la chaîne sacrée qui le liait à son père et au peuple juif.
C'est un fait, notre capacité à faire face aux difficultés et à résister aux tentations est étroitement liée à nos parents. Lorsque des parents mènent une vie fondée sur des valeurs morales et agissent avec intégrité, compassion et autodiscipline, leurs enfants ont d’autant plus de chance de posséder ces mêmes caractéristiques et ces mêmes valeurs. Ainsi, quand un enfant a une mauvaise note à un contrôle, qu’il met de la boue dans la maison, parle avec insolence ou se dispute avec son frère ou sa sœur, il est probable que, si ses parents ont été eux-mêmes correctement éduqués, ils seront susceptibles de réagir d’une manière calme, digne et sensée en disant : « Nous allons trouver des solutions. Tu es en sécurité avec moi. Ce qui m'importe, c'est toi, pas la boue ou les notes. »
Notre capacité à faire face aux difficultés et à résister aux tentations est étroitement liée à nos parentsMais qu'arrive-t-il aux enfants de parents qui furent eux-mêmes violents, terrifiés, déprimés, ou qui ont vécu dans une fumée addictive ? Leur instinct réactif est complètement différent. Au lieu de se concentrer sur les solutions, ils sont plus naturellement envahis par des sentiments d'échec, de colère et face à un événement stressant. S’il n’y a pas de mémoire du sentiment d’aimer ou d’être aimé, les comportements dysfonctionnels paraissent normaux. Leur désir d'être calmes et affectueux se heurte à une tendance tenace – et hélas souvent victorieuse – à revenir aux anciens mécanismes de réaction, du type de : « Amène le ceinturon et frappe-moi cet insolent ! », ou encore « Je ne peux pas supporter la souffrance sans boire (ou sans chocolat, sans chips, sans internet, etc). » Ainsi, tout en essayant de faire face aux problèmes extérieurs – les factures à payer, les notes des enfants, le désordre ou l'insolence – les parents qui n’ont pas été bien élevés doivent aussi affronter une forte charge émotionnelle, qui brouille leur perception et leur logique. Ces parents peuvent entendre une voix intérieure leur dire :
- « Je te l’ai bien dit que ton existence est un fiasco total ! Tu n'arrives pas à faire quoi que ce soit correctement. Ce n'était pas la peine de mettre des enfants au monde ! Pourquoi voudrais-tu que tes enfants t’écoutent ? Ils ne te respectent pas parce qu'ils voient bien que tu n'es qu'un gros nul. J'ai toujours dit que rien de bon ne sortirait de toi. »
- « Je t'ai dit de ne jamais faire confiance à quiconque. Les gens te font toujours du mal, ils t'exploitent et ils te trahissent, donc il vaut mieux ne pas être proche de qui que ce soit. Protège-toi en les attaquant, en les blâmant et en les critiquant ou bien éloigne-toi d'eux. »
- « Tu dois accepter d’être maltraité si tu veux que la relation fonctionne. Si les gens ne t'aiment pas, cela signifie que tu n'as pas fait assez pour mériter leur sympathie. »
- « Tu ne mérites pas d'être aimé parce que tu es un raté ! Tu n'es tout simplement pas assez bien : pas assez beau/organisé/brillant/doué/intelligent. Tu n'es pas assez soumise. Ou bien : Tu n’es pas capable de prendre ce qui te revient. »
Leur autocritique obsessive éloigne d'eux les gens, car ils se sentent indignes d'être aimésCes scénarios négatifs se gravent dans la conscience avant même que l'enfant n'ait de choix en la matière. Comme une infection qui se propage, ils créent une angoisse profonde et conduisent à des comportements nocifs, qui exacerbent la souffrance. Les enfants qui culpabilisent d’avoir été rejetés s’installent dans le « Je ne suis pas assez bien ». Leur autocritique obsessive éloigne d'eux les gens, car ils se sentent indignes d'être aimés. Ils tendent à penser : « Je suis tout seul, à lutter pour survivre dans un monde cruel et sans amour. » Qu'arrive-t-il à ceux qui recherchent de l'amour, mais qui ont peur d'être abandonnés ou rejetés ? Ils risquent de devenir prêts à tout pour plaire aux autres : flatterie, cadeaux, chirurgie esthétique, jusqu’à accepter, en martyr, toutes les maltraitances. D’un autre côté, les enfants qui rejettent sur leurs parents la responsabilité de leurs malheurs deviennent des grincheux chroniques, qui s'éloignent des autres parce qu'ils passent leur temps à les critiquer ou à les ignorer, affectant d'être indifférents à ceux qu'ils éloignent ou qu'ils blessent. Ils se sentent dans l'incapacité de faire des compliments aux autres et ils méprisent ceux qui se donnent de la peine pour les satisfaire. Malheureusement, ces deux types de personnes se marient souvent entre eux, l'un se battant pour quelques miettes d'attention et d'affection d'un côté, alors que l'autre s'étonne que ces miettes ne soient pas suffisantes.
Une autre tactique d’aliénation est appelée « l’angoisse d’anticipation ». Celle-ci maintient une personne dans un état constant d’hypervigilance. Difficile d'être heureux en effet quand on pense : « Les événements douloureux qui me sont arrivés par le passé vont certainement se reproduire dans l'avenir. » C'est un mécanisme de survie visant à nous protéger en nous enseignant : « Quand j'ai touché au feu la dernière fois, je me suis brûlé, donc il vaut mieux que je ne m'en approche pas trop. » S’agissant de relations humaines, la crainte d'être blessé, trahi ou rejeté rend impossible toute relation de confiance. L’agitation qui en résulte est analogue à celle des femmes qui ont fait des fausses couches multiples et qui ont désormais peur d'espérer, ou à celle des célibataires qui ont fait des centaines de rencontres avec des personnes de sexe opposé et qui sont sûrs que le prochain rendez-vous sera à nouveau un échec. Le cerveau voudrait nous protéger en nous préparant à l'avenir, mais nous rend méfiants, suspicieux et distants.
Un troisième mécanisme de défense est la compulsion de répétition, c'est-à-dire la tendance à répéter les événements douloureux du passé parce que c'est ce qui est ressenti comme familier et confortable. Par exemple, beaucoup d'anciens enfants maltraités épousent une personne violente, espérant recevoir ainsi de l'amour du même type de personne que celle qui les maltraitait dans leur enfance. Des recherches ont montré que 80 % des enfants d'alcooliques épousent des alcooliques, même s'ils s'étaient promis de ne jamais le faire, et même s’il n'y avait aucun indice d'alcoolisme chez leur partenaire quand ils l'ont rencontré. La femme qui a eu une mère sèche et autoritaire risque de ne pas voir que le sémillant gagneur qu’elle est sur le point d’épouser est un maniaque autoritaire qui la critiquera constamment, tout comme sa mère. D'un autre côté, avec ses propres enfants, elle manquera de confiance et restera passive. Et la femme dont la mère était souvent déprimée et incapable d'agir est mariée à un homme qui lui donne mille excuses au fait qu'il ne peut pas avoir d’emploi stable ou s’astreindre à un emploi du temps. Quant à leurs enfants, ils pensent qu’il est normal d’être irresponsable.
Les enfants pensent qu’il est normal d’être irresponsableLes représentations négatives semblent logiques si l’on considère le vécu qui les engendre. Il faut du temps et de la pratique pour apprendre à les identifier, à les remettre en cause et à les surmonter. La seule façon d’y parvenir est d'en prendre conscience. Par exemple :
- « Autrefois, je devenais furieuse quand les enfants se comportaient mal, ou quand mon mari ne faisait pas attention à moi. Maintenant, je comprends que la moindre perception de rejet réveille en moi des souvenirs d’enfance, quand mon père a soudain abandonné ma mère et lui a dit qu'il ne l'aimait plus. À l'âge de trois ans, j'ai non seulement perdu mon père, mais aussi ma mère, qui fut tellement abattue qu'elle ne pouvait plus prendre soin de moi. Aujourd'hui, j'essaie de sortir de ce schéma néfaste. Au lieu de paniquer quand je me sens offensée, j'apprends des méthodes d'autoapaisement. Je me dis qu'ils n'ont pas l'intention de me blesser ou de m’abandonner. De cette façon, je peux me concentrer sur les solutions et agir comme un adulte et non comme un enfant rageur. »
- « Ma mère était une femme instable, gravement atteinte du trouble de la personnalité limite (borderline) et sujette à de terribles sautes d’humeur. Elle pouvait être gaie et affectueuse et puis soudainement se mettre à nous jeter des objets et à nous hurler dessus pour le crime d’avoir mis du désordre ou d’avoir chahuté. De l'extérieur, les gens la prenaient pour une sainte, toujours prête à servir la communauté, mais notre maison était pleine de peur. On ne savait jamais ce qui pourrait la faire exploser. Je me sentais une ratée parce que je n’arrivais pas à gagner son amour, ni à protéger mes frères et sœurs de ses excès. Quand j'ai eu mes propres enfants, j’ai voulu leur prodiguer l'amour et la sécurité que je n'avais jamais eus. Je ne dormais presque pas, parce que je ne pouvais pas les laisser pleurer. Quand ils ont grandi, j'ai eu peur de les discipliner, car je craignais qu'ils ne me détestent. Ayant grandi dans une atmosphère si enragée, j'étais terrifiée à l'idée de tout conflit. Alors je cédais à leurs demandes et je me sentais coupable s'ils n'étaient pas satisfaits. Pour moi, faire preuve de fermeté signifiait être une méchante mère. Il m'a fallu du temps pour apprendre à fixer des limites avec amour. Cela m'aide à avoir davantage de respect de moi-même. Je ne cherche plus à être une mère idéale. Je m'aime comme je suis ; comme une personne moyenne et imparfaite. »
Devenez le type de parent que vous auriez souhaité avoirNous parlons le « langage émotionnel » de notre foyer aussi naturellement que nous parlons notre langue maternelle. Si le langage parlé chez vous était un langage de peur, de désespoir et de colère, alors votre esprit peut encore être dépendant de ces états. Mais la bonne nouvelle est qu'avec des efforts et beaucoup d'entraînement, on peut changer ces schémas hérités de l'enfance ! Comment ?
- Imaginez que vous mitraillez au M-16 tous ces « Je suis nul » que vous vous adressez. Remarquez, par exemple, si vous êtes en train d’essayer de satisfaire quelqu'un, d’obtenir son approbation ou de subir ses mauvais traitements. Remplacez chaque ancien message par un nouveau, tel que : « Je n'ai pas besoin d’être parfait pour être digne d’être aimé. Je dois juste faire de mon mieux. Je suis digne d'amour tel que je suis, quelles que soient mes faiblesses. »
- Acceptez vos limites et vos sentiments. N'ayez pas honte de vous sentir parfois triste, solitaire, accablé ou troublé. Vous êtes un « orphelin émotionnel ». L'absence d’une figure de père/mère sage, stable et affectueux est un handicap.
- Devenez le type de parent que vous auriez souhaité avoir. Avec de l’effort, vous pouvez devenir compatissant, fiable et responsable. Adoptez un emploi du temps qui vous aidera à vous sentir stable et équilibré. Par exemple, prenez vos repas à heures régulières. Consommez des aliments sains. Dormez au moins sept heures par nuit. Faites de l'exercice tous les jours. Il est important que vous soyez très fier même de vos plus petits efforts.
- Évitez les personnes critiques. Liez-vous avec des gens fiables, dignes de confiance et responsables, et qui vous encourageront dans vos progrès.
- Acceptez d'être dans la moyenne. N'essayez pas d'être exceptionnel, car le perfectionnisme engendre une tension et retire toute joie à la vie.
La Torah nous dit « Soyez saints ! ». Cela veut dire que quel que soit ce que nous avons vécu en tant qu'enfants, nous pouvons apprendre à agir avec amour et à pratiquer l'autodiscipline. De fait, l'effort de prodiguer aux autres ce dont nous n'avons pas bénéficié nous-mêmes nous élève vers des sommets spirituels.
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