I

Il existe de nombreuses histoires extraordinaires concernant le célèbre Maharal de Prague –Rabbi Judah ben Bezalel Levaï, né en 5285 (1525) environ, mort en 5369 (1609) – qui était un homme d'une telle sainteté qu'il pouvait faire des miracles. L'histoire que nous allons vous raconter maintenant est extraordinaire bien qu'elle ne soit pas aussi connue que celle du « Golem » (l'homme en argile créé par le Maharal).

Un jour de l'hiver 1592, l'empereur Rodolphe II fit appeler le Maharal. Le célèbre rabbin passa un long moment avec le monarque, mais personne ne savait le but de cet entretien. Plusieurs années plus tard, on se racontait une histoire selon laquelle cette visite avait été en rapport avec un rêve étrange de l'empereur.

À la cour de Rodolphe II se trouvaient des ministres qui étaient jaloux du respect et des honneurs accordés au Maharal. Les Juifs ainsi que les non-juifs savaient que le Maharal de Prague était un homme saint et personne ne fut jamais plus aimé et respecté par les citoyens de la ville que ce rabbin. Mais les méchants courtisans de Prague avaient l'intention de l'expulser et de l'exiler, lui et toute la communauté juive. Sachant bien que l'empereur ne voudrait pas entendre parler d'une telle proposition, ils s'adressèrent à la reine qui promit d'intervenir auprès de lui pour que ce projet fût mis à exécution.

Le soir même, la reine transmit à son mari le cruel décret en lui demandant d'y apposer sa signature. D'abord, le monarque hésita à signer, mais vu la force avec laquelle son épouse insistait, il lui dit qu'il signerait le lendemain matin puisque la nuit porte conseil.

II

Cette nuit-là l'empereur eut un rêve étrange. Il guerroyait contre ses ennemis, quand il fut capturé et mis dans une prison où il devrait rester toute sa vie.

Il y demeura de nombreuses années, ne se nourrissant que de pain et d'eau sans que personne ne s’intéressât à lui.

Un jour, un vieux Juif passa à la prison. C'était un homme à l'allure vénérable, aux yeux pleins de bonté. Le vieillard s'arrêta et examina le prisonnier qui se trouvait derrière les barreaux. L'empereur lui adressa la parole.

– Je suis l'empereur, s'écria ce dernier. Ne me reconnaissez-vous pas ?

– Vous avez changé, Sire, répondit le vieillard.

– Je te jure que je suis l'empereur Rodolphe. Je te prie fais-moi sortir d'ici, insista-t-il contre tout espoir.

Le vieillard eut alors un geste inattendu. Il frappa de sa canne le mur de la prison quand, tout d'un coup, un couloir s'ouvrit dans celui-ci.

Le captif sortit et le vieillard l'emmena chez lui.

– Vous ne pouvez pas retourner au palais dans l'état où vous êtes, déclara le vieil homme, car personne ne vous reconnaîtra. Il y a des années que vous ne vous êtes pas lavé et rasé et la cruauté se lit sur votre figure. Je vais faire venir un coiffeur et aussi un tailleur pour qu'il vous prépare des habits royaux. Entretemps, vous pouvez vous allonger et vous reposer. Le vieillard plaça deux cuvettes près du lit.

– À quoi doivent-elles servir ? demanda l'empereur tout étonné.

– Une est pour vos ongles et l'autre pour vos cheveux frisés pour que personne ne voie l'air sauvage que vous avez, répliqua le vieillard.

– Comment pourrai-je jamais te remercier ? demanda l'empereur, touché jusqu'aux larmes.

III

Rodolphe se réveilla et essuya les larmes qui coulaient sur ses joues. Puis il s'assit dans son lit et vit deux petites cuvettes sur la petite table à côté. Il se souvint alors de ce rêve étrange qu'il avait eu. « Il n'y a que le saint rabbin, le grand-rabbin Levaï qui puisse interpréter mon rêve », se dit-il. À cet instant, on frappa à la porte.

– Sa Majesté a fait appeler pour ce matin le coiffeur de la cour, annonça le grand chambellan.

– Fais appeler immédiatement le grand-rabbin Levaï, enchaîna l'empereur à l'étonnement de son serviteur qui se retira.

Dès que le Maharal entra, l'empereur qui ne l'avait jamais vu auparavant reconnut en lui le vieux Juif de son rêve.

– Vous ne m'avez pas reconnu cette nuit, lui dit l'empereur sur un ton de reproche.

– C’est parce que vous aviez changé, Majesté, répondit le Maharal.

– Éclairez-moi davantage sur mon rêve.

– Hier soir, vous vous êtes couché avec de mauvaises pensées. Qu'y avait-il sous votre oreiller ?

L'empereur se rappela que la reine y avait mis le décret pour qu'il le signât le matin même.

– Je promets qu'aucun mal ne sera fait aux juifs de Prague, s'écria l'empereur, déchirant les papiers contenant le cruel décret.

– Vous avez évité à mes frères de grandes souffrances, dit le Maharal, et vous-même, vous avez échappé à des souffrances encore plus grandes. Que le nom de D.ieu soit loué.