Un certain jour, Rabbi David Firkus, disciple du Baal Chem Tov, se trouva dans une situation financière désespérée. Il lui fallait de l’argent, coûte que coûte. N’ayant pu obtenir les fonds sur lesquels il comptait, il se rendit à Medziboz rendre visite à son maître et lui demander conseil. Comment pourrait-il surmonter les difficultés dans lesquelles il se trouvait actuellement ? Après avoir conté avec force détails toute son histoire à son maître, celui-ci dit simplement : « D.ieu, béni soit-Il, vous aidera ».
Rabbi David revint chez lui tranquillisé, mais au fur et à mesure que les jours passèrent sans que vînt l’aide tant espérée, l’inquiétude s’empara de lui et il décida de se rendre à nouveau auprès du Baal Chem Tov. Celui-ci prêta attentivement l’oreille au cas soumis par son disciple, et, comme la première fois, il répéta : « D.ieu, béni soit-Il, vous aidera ».
En entendant cette réponse, Rabbi David fut bien déçu. Il s’était attendu à ce que le Baal Chem Tov lui donnât un conseil plus matériel comment vraiment trouver l’argent nécessaire, et non pas simplement une leçon de foi. Cependant, il se consola rapidement de cette déception, et toujours plein de confiance en son maître, il retourna chez lui.
Dès son retour, il constata qu’il avait plus que jamais besoin de la somme envisagée, et il prit la décision de ne plus revenir les mains vides la prochaine fois qu’il se rendrait chez le Baal Chem Tov. En prenant la route pour retourner chez son maître, il remarqua un beau carrosse qui roulait dans la direction même vers laquelle il se dirigeait. Il put le rattraper et entendit un homme dans le carrosse s’enquérant de l’adresse exacte de la maison du Baal Chem Tov. L’étranger et Rabbi David se rendirent alors à cette adresse. De concert ils entrèrent, mais tandis que le Baal Chem Tov fit un accueil chaleureux à Rabbi David, il parut ignorer complètement celui qui l’accompagnait.
Après avoir conversé pendant quelques minutes, le Baal Chem Tov dit à Rabbi David : « Écoutez bien ce que j’ai à vous raconter. C’est une histoire surprenante. » Rabbi David se rapprocha de son maître afin de ne pas perdre un seul mot de cette histoire qui promettait d’être si étonnante. L’étranger, qui se tenait près de la porte, avança la tête pour pouvoir mieux saisir les paroles du saint homme :
– Il y avait un commerçant qui expédiait des péniches de bois vers des cités diverses. Un jour qu’il était à bord de son bateau, une terrible tempête s’éleva sur le fleuve, et tous ses confrères perdirent leur cargaison sauf toutefois notre commerçant. Celui-ci devenant le seul négociant à posséder du bois, le vendit à un prix très supérieur au prix habituel, faisant ainsi une rapide et très grosse fortune. Il pouvait maintenant revenir chez lui.
Aimant la vie opulente de riche commerçant, il engagea deux domestiques, l’un pour s’occuper de sa fortune, l’autre pour entretenir son carrosse et ses chevaux. Lorsque les deux hommes surent quelle immense richesse le commerçant possédait, ils complotèrent de le tuer. Cependant, ils craignaient fort que le cocher révélât leur crime et projetèrent de se débarrasser d’abord de lui. Un jour, alors qu’ils voyageaient sur la route, ils cherchèrent querelle à ce pauvre homme, le poignardèrent, et cachèrent son corps au milieu des taillis qui longeaient le chemin. Un des domestiques saisit alors les rênes et conduisit la voiture loin au milieu de la forêt. Là ils s’arrêtèrent et ordonnant au riche commerçant de descendre de la voiture, lui déclarèrent : « Nous allons te tuer, et il faut te résigner à mourir. »
Le commerçant, pris d’une peur effroyable, les supplia à genoux de l’épargner. « Prenez la moitié de ma fortune, cria-t-il, prenez-la toute, mais ne me tuez pas. Ayez pitié non pas de moi, mais de ma femme innocente et de mes enfants. »
Les deux hommes ne voulurent rien entendre. « Si tu vis, notre vie est en danger », disaient-ils. Se rendant bien compte que tous ses efforts étaient vains, le pauvre homme les pria alors de lui accorder quelques minutes pour qu’il puisse faire ses dernières prières. Après l’avoir ligoté et attaché à un arbre, les deux hommes acquiescèrent à sa demande. Alors le commerçant commença ses prières avec un grand soupir et tournant la tête vers le ciel, il supplia : « D.ieu de l’univers ! Fais en sorte que je puisse revenir chez moi et je donnerai immédiatement la moitié de ma fortune aux pauvres. »
À peine eût-il prononcé ces mots, qu’on entendit au loin un bruit, comme une galopade de chevaux, se rapprochant rapidement. Les criminels, effrayés, s’enfuirent. Effectivement, quelques minutes après, un groupe d’hommes, à la tête duquel se trouvait un noble d’une ville voisine, arriva sur place. Ils délivrèrent notre commerçant et dès que celui-ci eut repris suffisamment de forces, il leur raconta sa terrible aventure.
Le noble et ses compagnons accompagnèrent alors le commerçant à sa maison. Là, celui-ci leur souhaita adieu en les remerciant chaleureusement de lui avoir sauvé la vie.
Le vœu inaccompli
À quelque temps de là, le commerçant réunit toute sa famille et tous les habitants de la ville autour d’une immense table chargée de victuailles. Il leur raconta son odyssée et comment D.ieu l’avait sauvé à la dernière minute. En même temps, il distribua le quart de sa fortune aux pauvres membres de sa famille, mais lorsque le moment arriva de donner l’autre quart aux pauvres, comme il l’avait si bien promis, il hésita. « Rien ne presse, pensa-t-il. Je peux en donner un petit peu maintenant et le reste pendant les années à venir. Pourquoi donner tout à la fois ? »
À peine eut-il manqué à la promesse faite à D.ieu, qu’il en fut immédiatement puni. Sa femme tomba très malade et il fut obligé de dépenser des sommes considérables pour tenter de la guérir. Il se rendait à Paris et à Vienne, partout où il pensait trouver un moyen de guérison, mais ses efforts restèrent vains. Un jour, son épouse épuisée lui dit : « Aucun médecin ne peut m’aider. Tu devrais peut-être aller chez le Baal Chem Tov dont la puissance est grande et les miracles connus. C’est sans doute lui qui sera seul à même de me guérir. » Et c’est aujourd’hui que ce commerçant est arrivé.
C’est avec ces paroles que le Baal Chem Tov se tourna vers l’homme se tenant à la porte, et il ajouta : « Chalom Aleikhem ! Je vous demande de calculer la somme que vous avez dépensée pour soigner votre femme et de me donner le supplément nécessaire pour constituer le quart de la fortune que vous avez acquise. C’est ainsi que vos actes charitables apporteront la guérison à votre femme. »
Le commerçant était figé par la puissance étonnante émanant du Baal Chem Tov qui avait raconté sa propre histoire dans les moindres détails. Sans dire un mot, l’homme s’assit pour calculer la somme qu’il avait encore à donner pour respecter la promesse qu’il avait faite. Cette somme était de quatre mille pièces d’argent, exactement celle dont Rabbi David Firkus avait besoin. Le commerçant courut vers sa voiture pour revenir, portant une petite boîte. Il en sortit la somme fixée, la donna au Baal Chem Tov, qui la remit à Rabbi David. Les deux hommes prirent alors congé du grand homme. Le commerçant, rentrant chez lui, trouva sa femme en parfaite santé, et Rabbi David revint également satisfait et en même temps enrichi par une leçon de foi.
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