Na’houm Ich-Gamzou et Rabbi Akiva étaient deux hommes dont la foi en le Tout-Puissant n’avait pas de limites. Leur conviction était faite : tout ce qui pouvait leur arriver tendait nécessairement au bien. Comment le savaient-ils ? C’est très simple. Ils savaient que rien n’arrive par hasard ni à l’insu de D.ieu. Or D.ieu est bon, rien de mal ne peut donc arriver.
Bien sûr, les choses désagréables existent et chacun de nous en a son lot, mais cela ne peut se confondre avec le « mal » proprement dit. Par exemple, un médicament peut être désagréable à prendre. Mais qui, se basant là-dessus, dirait que ce médicament est un mal ?
La foi de ces deux hommes était la même, pourtant chacun l’exprimait différemment. Na’houm avait l’habitude de dire : « Gam zou letova », ce qui en hébreu signifie : « Ceci aussi est pour le bien. » Et l’on croit que c’est parce qu’il répétait souvent cette phrase qu’il fut nommé « Gamzou ».
De son côté, Rabbi Akiva avait coutume de dire « Kol mah de’avid Ra’hamana, letav avid », ce qui en araméen (la langue la plus couramment parlée en ce temps-là par le peuple juif, l’hébreu ne l’étant que par les érudits) signifie : « Tout ce que D.ieu Miséricordieux fait, Il le fait pour le bien. »
Voici ce que le Talmud nous raconte sur ce qui arriva à ces deux sages éminents.
Rabbi Na’houm avait été délégué à Rome afin d’essayer de persuader l’empereur romain d’user de plus de bonté à l’égard des Juifs. Il emportait avec lui un précieux coffret rempli d’or et de diamants, un somptueux cadeau destiné à l’Empereur.
Au cours de son voyage, Rabbi Na’houm fit halte à une auberge où il passa la nuit. Le lendemain matin, il poursuivit son voyage sans s’être aperçu que l’aubergiste avait vidé le coffret de son précieux contenu et mis à sa place de la terre et du sable.
Quand Rabbi Na’houm fut enfin arrivé à Rome, il se présenta devant l’empereur et lui offrit le coffret. L’empereur l’ouvrit et constata qu’il ne contenait que de la terre et du sable. Croyant que les Juifs avaient voulu se moquer de lui, il entra dans une grande colère. Na’houm fut jeté en prison.
Il semblait clair qu’il allait à une mort certaine. Il ne se découragea pas pour autant et se contenta de dire, comme à son habitude : « Gam zou letova », « ceci aussi est pour le bien ».
Lors du procès, l’un des conseillers de l’Empereur exprima ses doutes quant aux mauvaises intentions des juifs. Comment auraient-ils osé se moquer de l’Empereur ? Le conseiller se demandait plutôt s’il ne s’agissait pas, dans la présente circonstance, d’autre chose que de terre et de sable ordinaires. Cela lui paraissait plus plausible, et il ajouta qu’il avait entendu raconter que lorsque Abraham, le premier juif, livra bataille contre Kédarlaomer et les rois ses alliés, il avait lancé sur ses ennemis de la terre et du sable. Or cette terre et ce sable furent changés par D.ieu en flèches et en projectiles meurtriers. Ce qui permit à Abraham de remporter la victoire. Peut-être ce sable et cette terre étaient-ils de la même sorte !
L’Empereur menait justement depuis quelque temps contre ses ennemis une guerre qui traînait sans qu’il pût la conclure à son avantage. Il eut l’idée de se servir du contenu du coffret dans ce but, exactement à l’exemple d’Abraham. Il donna les ordres en conséquence, et, ô miracle !, sa victoire fut complète.
Na’houm fut alors immédiatement relâché. L’Empereur le couvrit de cadeaux et le renvoya parmi les siens avec la promesse qu’il serait donné entière satisfaction à la requête des Juifs.
Et voilà la merveilleuse histoire de Na’houm. Au tour de Rabbi Akiva maintenant.
Rabbi Akiva échappa lui aussi de justesse à la mort, mais d’une manière différente. Comme Rabbi Na’houm, il voyageait en direction d’une ville. Le soleil était couché et la nuit tombait doucement. Les routes étaient peu sûres, il fallut chercher un refuge dans les bois. Rabbi Akiva avait avec lui un coq et un âne. Le premier faisait fonction de réveille-matin : son chant au point du jour tirait Rabbi Akiva de son sommeil. Le second lui servait de monture. Bientôt toute clarté disparut et il fit nuit noire. Notre voyageur alluma la seule bougie qu’il possédât. Mais un coup de vent l’éteignit presque aussitôt. L’instant d’après le coq fut happé par une bête invisible ; l’âne connut bien vite un sort à peu près analogue. À chaque coup que la malchance lui portait, Rabbi Akiva disait : « Tout ce que fait D.ieu Miséricordieux est pour le bien ».
Quand, le lendemain matin, il arriva à destination, il apprit qu’une bande de dangereux voleurs avait traversé la forêt et attaqué la ville. Rabbi Akiva l’avait échappé belle, car s’il était tombé entre les mains des brigands, il n’eût pu s’attendre qu’au pire. Ainsi c’était un bien que la bougie se fût éteinte, et que le coq et l’âne eussent disparu, car le chant de l’un et le braiment de l’autre auraient trahi la présence de leur maître !
Au regard de ces deux histoires, une question pourrait se poser : pourquoi Rabbi Akiva et Rabbi Na’houm employaient chacun une expression différente pour affirmer la même conviction ? Cela est d’autant plus surprenant que le premier étant le disciple du second, on s’attendrait que l’élève répétât tout simplement la phrase de son maître sans y rien changer. Une autre question peut aussi se poser : Pourquoi Rabbi Na’houm s’exprimait-il en hébreu, tandis que Rabbi Akiva le faisait en dialecte araméen ?
Avant de répondre à ces deux points, il est nécessaire d’examiner la question du « bien » et du « mal ».
D.ieu est bon, Il n’est pas la source du mal. Par conséquent tout ce qui arrive en ce monde devrait être bon, et est, en effet, originairement bon puisqu’il vient de D.ieu. Toutefois, dans le déroulement des événements, au cours de leur enchaînement, du bien même il pourrait résulter quelque chose de mal. Par exemple : un père aimant donne à son fils un jouet afin qu’il s’amuse. Ceci est sans nul doute un bien. Mais il arrive que l’enfant se fasse mal en maniant improprement ce jouet. Ceci est un mal, mais qui n’est pas de la faute du père, car celui-ci désirait que son fils eût le plaisir avec le jouet.
Puis il y a, comme nous l’avons dit plus haut, le cas du médicament au goût désagréable. Le petit enfant qui ne sait pas le bien qu’il en retirera, pleure et hurle pour ne pas le prendre. Une fois pris, volontiers ou non, le médicament laisse pendant un moment un mauvais goût. Mais il fait disparaître la souffrance pour longtemps.
Il en est de même dans la vie. Le « mal » qu’on y rencontre est de deux sortes :
a) un inconvénient temporaire qui s’avère bientôt un bien déguisé (comme le médicament) ;
b) un « mal » plus grave, comme la maladie ou même la mort, et qui, en apparence, ne comporte aucun bien. Néanmoins, notre croyance profonde est qu’il est conçu dans une intention de bien, connue de D.ieu seul.
Nous qui croyons en un seul D.ieu, le Créateur Unique qui créa le ciel et la terre, la lumière et l’obscurité, la chaleur et le froid, et tout ce qui existe, croyons que le Créateur de l’univers est foncièrement bon et qu’aucun mal ne peut dériver de Lui.
Si notre foi en cette croyance ainsi que notre piété sont aussi profondes que celles de Rabbi Na’houm, nous pourrions être doués du pouvoir d’influencer les événements de ce monde, de telle sorte que le bien qui a son origine en D.ieu soit vu et senti ici-bas, comme il a été conçu En-Haut. C’est ainsi que Rabbi Na’houm était capable, grâce à sa foi illimitée, de convertir le vulgaire sable et la terre en « bien » ; en quelque chose même de mieux que l’or et les objets précieux volés et remplacés par le sable et la terre, en apparence sans valeur.
Rabbi Akiva appartenait à la génération qui succéda à celle de Rabbi Na’houm. Du maître au disciple, le monde avait considérablement changé. Les gens n’avaient plus le même degré de sainteté et de piété et n’étaient plus dignes de la même révélation de la lumière divine ni des mêmes miracles. Aussi, bien que la foi de Rabbi Akiva fût aussi profonde que celle de Rabbi Na’houm, les miracles qu’elle appelait se montraient plus voilés, moins apparents. L’événement même ne révélait pas directement le bien, mais s’avérait en être seulement la cause indirecte. En même temps, le « mal » subi était infime comparé au bien qui en dérivait. Ce fut le cas pour Rabbi Akiva cette nuit-là quand il se trouvait dans les bois.
Ceci nous explique la différence qui existe entre l’expression dont se servait Rabbi Na’houm et celle de Rabbi Akiva. Le premier disait : « Ceci est aussi pour le bien », entendant par-là que l’événement lui-même est bon. Tandis que le second disait : « Tout ce que D.ieu fait, Il le fait pour le bien », voulant dire par là que, même si l’expérience est désagréable, elle mène sûrement au bien.
C’est là également la raison pour laquelle les deux Sages se sont servi chacun d’une langue différente pour s’exprimer. Comme nous l’avons souligné plus haut, l’hébreu était en ce temps-là la langue des érudits, tandis que la plupart des gens parlaient le dialecte araméen. La vie de Rabbi Na’houm était de toute évidence d’une élévation extraordinaire et peu nombreux étaient ceux qui jouissaient du pouvoir si rare de convertir le mal même en bien. Voilà pourquoi il exprimait sa haute conception de la vie en hébreu, c’est-à-dire la langue qu’on n’employait pas couramment, mais au contraire exceptionnellement. En revanche, le mode de vie de Rabbi Akiva pouvait être suivi par des couches plus larges de la population juive. Aussi s’exprimait-il en araméen, de sorte que chacun pouvait le comprendre et tâcher de suivre son exemple.
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