Rabbi Jacob ben Moché Halévi Molin – mieux connu sous le nom abrégé de Maharil, acrostiche de Morénou HaRav Yaacov Lévi – naquit à Mayence, ville d'Allemagne, en 5120 (1360). Son père, Rabbi Moché Molin, occupait les fonctions de chef spirituel de la communauté. Ce dernier avait d'autres fils et filles qui se distinguèrent eux aussi par leur piété et leur savoir, mais Rabbi Jacob fut incontestablement le plus illustre de la famille.

Les premiers maîtres de Rabbi Jacob furent son père et son frère aîné, Rabbi Yékoutiel. Toutefois, encore tout jeune, Jacob décida, conformément aux enseignements de nos Sages, de « partir à la recherche d'un centre de Torah ». Il était impatient de connaître les grands érudits de l'époque et d'apprendre ce qu'il pourrait d'eux. Aussi partit-il pour Vienne, où il devint l'élève de Rabbi Chalom ben Rabbi Yits'hak. Le jeune et ardent étudiant fut chaleureusement accueilli par ce dernier, de même que par Rabbi Moché Neumark, établi dans la même ville, et qui lui donna sa fille pour épouse.

Peu après son mariage, Rabbi Jacob prit congé de sa femme et de sa belle-famille et partit à nouveau afin de visiter d'autres centres du savoir toranique. Il étudia de nombreuses années dans plusieurs Yéchivoth et fut considéré comme un grand Gaon (sommité de la Torah).

Quand il revint à Mayence,  sa ville natale, il fut élu pour succéder à son père à la tête de cette importante communauté.

Rabbi Jacob Molin se fit aimer et respecter de tous ceux dont il avait la charge. Un exemple entre autres donne la mesure de cette estime et de cette affection : quand un jour, frappé soudain d'une grave paralysie, il garda le lit pendant trois jours, la communauté proclama une période solennelle de prières et de jeûnes, tous les lundis et jeudis pour le reste de l'année, jusqu'à Roch Hachana.

Une fois rétabli, Rabbi Jacob se rendit à la synagogue. Là il fut ému d'apprendre que la communauté avait décidé de poursuivre les prières et les jeûnes selon le vœu formulé, bien que plusieurs mois la séparassent encore de Roch Hachana.

Un grand chef

Rabbi Jacob fut pour la collectivité juive de Mayence un chef dans le sens le plus complet du terme. Il consacra ses efforts à la diffusion de la Torah et au renforcement du mode de vie juif. Il dirigea une grande Yéchivah qui compta nombre d'étudiants remarquables venus de toutes les parties du pays. L'un des plus brillants parmi eux fut Rabbi Jacob Weil qui devint une autorité en matière de Talmud et de loi judaïque. Son œuvre importante, Cheeloth Outechouvoth (Réponses), contribua grandement, elle aussi, à sa célébrité.

Rabbi Jacob porta un intérêt tout paternel à ses étudiants, et fit en sorte que fussent étendus à eux l'affection et le respect qu'avaient pour lui tous les membres de la communauté.

Parmi les nombreux dons que la Divine Providence dispensa à Rabbi Jacob Molin, ce dernier eut aussi en partage une belle voix unie à un sens musical très marqué. En certaines occasions, en particulier aux fêtes importantes, il devenait le chalia'h tsibbour et, comme tel, il dirigeait les prières de l'assemblée des fidèles. En ces circonstances, ses prières avaient un tel accent qu'elles faisaient une impression profonde sur tous ceux qui l'écoutaient, si bien que ses mélodies et ses interprétations des grandes fêtes furent adoptées par beaucoup de collectivités juives.

Le Maharil servit quarante années durant cette vieille communauté juive établie sur les bords du Rhin. Grâce à son dévouement et à son influence, elle se développa sur les trois plans — « les trois piliers sur lesquels repose le monde : la Torah, la prière et les actes de bonté et d'amour pour le prochain. »

À Worms

À la fin de sa vie, il fut pressenti par la vieille communauté de Worms, où avaient vécu le grand Rachi et Rabbi Eliézère Rokéa'h, Rabbi Meïr de Rottenbourg et d'autres lumières de notre histoire. Cette communauté invitait Rabbi Jacob à devenir son Rabbin. Il accepta, et occupa ainsi cette éminente fonction un peu plus d'un an, soit jusqu'à sa mort qui survint à l’issue du Chabbat (samedi soir), le 22 Eloul de l'an 5187 (1427).

Le Maharil fut, comme nous l'avons dit, une autorité en matière de loi judaïque en général, et en particulier des lois régissant la synagogue, les prières et les coutumes. En tant que tel, il recevait fréquemment des demandes écrites d'autres rabbins qui lui soumettaient leurs problèmes intéressant un aspect ou un autre de la vie juive. Les questions et les réponses furent publiées à Vienne en 1549 sous le nom de Cheeloth Outechouvoth Maharil. Comprenant 233 chapitres, ce recueil devint la référence la plus sûre en matière de loi judaïque, particulièrement pour les communautés juives d'Allemagne et de Pologne. Une autre œuvre de lui, Minhaguei Maharil (les Coutumes du Maharil), fut publiée en 1556. Ces deux ouvrages furent réimprimés à plusieurs reprises.

Les Cheeloth Outechouvoth Maharil non seulement font autorité en matière de loi juive, mais constituent aussi une mine de renseignements du point de vue historique. Par eux nous avons connaissance des nombreux problèmes qui se posèrent à cette époque aux Juifs, tant sur le plan individuel que celui des affaires de la communauté. Un des traits que nous y découvrons est la sainteté où était tenue la vie juive non seulement durant le Chabbat et les fêtes, mais aussi dans la vie quotidienne et les rapports réciproques entre individus.

La lecture des Coutumes du Maharil, que publièrent ses disciples, nous apprend, entre autres, combien grande était l'humilité de l'auteur. Par exemple, il portait toujours sur lui un petit 'Houmach. Ainsi, quand il arrivait qu'on se levât par déférence pour lui, pouvait-il considérer que c'était la Torah qu'on honorait, non sa personne.

Une fausse accusation

Bien que le niveau spirituel des communautés juives d'Allemagne, d'Autriche, de Bohême et de Pologne fût très élevé, elles avaient à faire face à une situation matérielle très difficile, voire critique. Beaucoup des Cheeloth Outechouvoth du Maharil traitent des problèmes des orphelins, des veuves et des agounoth (l'agounah est l'épouse dont la mort du mari n'est pas certaine), et d'autres circonstances, tragiques celles-là, conséquences de la « Mort Noire ». Les Juifs furent, en effet, cruellement accusés d'avoir empoisonné les puits, faisant ainsi éclater l'épidémie. Des attaques et des massacres en résultèrent, où périrent un grand nombre de Juifs. Le cas des Israélites contraints de se convertir au catholicisme créa un grave problème que le Maharil eut à résoudre, de même que des questions relatives au deuil, à l'héritage, etc.

Les Hussites

Il y eut, du vivant du Maharil un autre bouleversement en Bohême et en Autriche, qui conduisit à la Guerre hussite. Ce fut un affrontement sanglant qui opposa l'Église aux adeptes de Jean Huss qui avait formé une secte chrétienne séparée.

Ce dernier, né en Bohême aux environs de 1369, était un moine qui, à l'âge de trente ans, devint professeur à l'université de Prague et plus tard son recteur. Il attaqua l'Église, lui reprochant de s'immiscer dans la politique, au lieu de limiter ses activités au domaine spirituel et religieux. À Rome, le Pape et les cardinaux réagirent : ils l'accusèrent d'hérésie et lui interdirent de prêcher. Huss n'en eut cure ; il continua ses attaques contre les princes de l'Église qu'il accusa à son tour d'abuser de leur pouvoir, et de dégrader leur religion en l'utilisant à des fins personnelles, et en recherchant l'argent, les honneurs et la puissance. Finalement, on lui tendit un piège : astucieusement on lui proposa un débat avec les cardinaux. Ce débat devait se dérouler à Constance, et on lui assura qu'il pouvait compter sur la protection de l'empereur Sigismond. Il accepta. Mais quand il se présenta à l'heure fixée, on se saisit de lui, et les cardinaux le condamnèrent a être brûlé vif. On était en 1415. Les adeptes de Huss – les Hussites — entreprirent alors une lutte acharnée contre le Pape et l'Empereur ; elle devint une véritable guerre où, comme cela arrive toujours en pareil cas, les Juifs sans défense furent une proie facile pour l'un et l'autre camps.

Jeûnes et prières

Au cours de ces troubles graves, Rabbi Jacob Molin lança de Mayence un appel a toutes les communautés juives, proclamant un jeûne solennel de trois jours. Tous les Juifs de vingt ans et plus, sauf les vieillards et les malades, devaient observer ce jeûne de trois jours consécutifs qui commençait le lendemain de Chabbat Béréchit. Les garçons à partir de treize ans d'âge, et les filles de douze ans et plus devaient aussi observer ce long jeûne, avec toutefois la possibilité de le rompre le soir. Le Maharil établit aussi un programme de prières spéciales à réciter au cours de cette période de jeûne et de repentance. En même temps, il encouragea ses frères à avoir foi en Dieu et à demeurer fidèles à la Torah.

Des émissaires spéciaux portèrent partout le message de Maharil, et partout il fut observé à la lettre. Cette guerre de religion dura environ vingt ans. Nombreux furent les Juifs qui payèrent bravement de leur vie leur fidélité à la foi de leurs pères. Beaucoup de communautés juives furent anéanties, mais beaucoup aussi furent sauvées miraculeusement.

En cette circonstance, comme en d'autres, qu'elles fussent heureuses ou malheureuses, le Maharil se trouva toujours aux côtés de ses frères. Son influence, très grande, s'étendit fort loin ; il devint pour les Juifs une source de force et de réconfort dans une période qui fut des plus critiques. Nul doute qu'il occupe une place de premier plan parmi « nos grands ».