Des malédictions transformées en bénédictions

La septième partie du livre des Nombres décrit le complot du roi Balak de Moab et de son sorcier Balaam, engagé par lui pour maudire le peuple juif afin de l’empêcher d’attaquer ses terres. Dieu déjoue leur plan et, à l’encontre du dessein initial, Balaam bénit le peuple juif.

La paracha précédente se termine lorsque le peuple juif s’apprête à entrer en terre promise. On s’attendrait à ce que la Torah se consacre à présent à des sujets relatifs à l’entrée en terre d’Israël : ses frontières, les lois de l’héritage foncier et les instructions en vue de la conquête imminente. C’est bien ce qu’elle fera, mais non sans relater auparavant comment le peuple juif est attaqué par son dernier ennemi avant son entrée dans le pays : l’alliance de Moab et Madian. Cela se transforme en un drame en plusieurs actes, dont les détails s’étendent sur les trois paracha suivantes.

Le premier acte de ce drame est l’histoire étrange traitant du roi moabite Balak et ses tentatives d’engager un devin non juif, Balaam, pour maudire les Juifs. Pourquoi la Torah nous parle-t-elle de ce duo non juif et de son plan avorté ? Ce qui est paradoxal, c’est que les essais avortés de Balaam pour maudire les Juifs amènent le devin à exprimer les références les plus explicites de la Torah sur l’arrivée de Machia’h et la Délivrance ultime. À la veille de leur entrée en terre promise, Dieu sentit à l’évidence qu’il était nécessaire d’inspirer au peuple juif de se concentrer sur sa véritable finalité, au-delà de son but immédiat de conquérir la terre et d’accomplir les commandements qui leur ordonnaient de s’y installer et d’y vivre leur vie matérielle.

Mis à part le fait troublant qu’un aspect à ce point central du judaïsme soit mis en lumière à travers l’obsession d’un roi idolâtre et d’un devin égocentrique de nous maudire, si les prophéties messianiques constituent le cœur de la paracha, pourquoi est-elle nommée d’après Balak, un roi mauvais qui chercha sans répit à anéantir le peuple juif à tout prix, et entraîna finalement la mort de plus de cent mille de nos frères ?1

La paracha dans laquelle se produit le don de la Torah porte également le nom d’un idolâtre : Jéthro. Nous y avons expliqué que, pour que la Torah soit donnée, il fallait au préalable établir les bases lui permettant d’imprégner toute la réalité, y compris les éléments niant Dieu. Avant que la Torah puisse être donnée, Jéthro, l’idolâtre accompli et païen à l’extrême, devait reconnaître l’existence et la toute-puissance de Dieu.

Dans le même sens, avant que le peuple juif puisse entrer en Terre promise dans le but ultime d’inaugurer le futur messianique, devait se produire un acte de transformation semblable. Il fallait jeter les bases de la transformation de toute la réalité, ce qui était le but ultime et la conséquence de l’installation du peuple juif sur la terre sainte. La haine et les malédictions des ennemis du peuple de Dieu devaient se transformer en bénédictions, et non en bénédictions quelconques, mais en prophéties de la victoire définitive du peuple de Dieu sur ces mêmes ennemis qui tentèrent de le maudire. À l’ère messianique, les nations non juives n’utiliseront plus leur pouvoir pour combattre le peuple juif, mais, au contraire, pour l’aider, comme il est écrit : « Des rois seront tes nourriciers, et leurs princesses tes nourrices. »2

Puisque la Délivrance messianique annoncera la transformation du mal et son anéantissement définitif, la raison pour laquelle les prophéties concernant cette époque sont issues de la bouche de l’antisémite et idolâtre Balaam devient évidente. Ce n’est qu’ainsi que leur nature transformationnelle pourra s’exprimer de toute sa force.

En ce sens, la paracha porte le nom de Balak puisque celui-ci incarne l’idée que l’avenir messianique entraînera la transformation absolue du mal en bien. En premier lieu, sa haine envers le peuple juif attira sur ce dernier la bénédiction d’une victoire assurée. En second lieu, il se trouve que Balak est un ancêtre direct de Machia’h. Le roi David, le père de Machia’h, était l’arrière- petit-fils de Ruth, la Moabite convertie,3 et Ruth appartient à la lignée de Balak.4 C’est parce que Balak personnifie à l’extrême la haine du Divin et sa transformation ultérieure en sainteté que la paracha porte son nom, nous inspirant afin que nous parachevions cette transformation et hâtions ainsi la Délivrance ultime.5