« Tu as mangé ? Quoi, si peu ? Tiens, laisse-moi te donner une assiette. »

« Tu es sûr que tu as assez chaud ? Voici un autre pull. »

La mère juive est légendaire – ou notoire, selon la façon dont on voit les choses – pour son besoin dévorant de prendre soin de ses enfants. Même si ce besoin peut parfois sembler excessif, nous savons qu’il vient de l’amour, et nous ne voudrions pas qu’il en soit autrement.

Cet instinct de se soucier des autres est implanté en nous par la Torah elle-même. Lorsque nous accueillons un invité, nous avons l’obligation de le nourrir et de lui offrir un abri pour la nuit, ou du moins de l’accompagner sur la route jusqu’à ce que nous soyons certains qu’il soit en sécurité. Nous apprenons cela d’Abraham, qui raccompagna les anges venus lui rendre visite.1

L’effet dévastateur de ne pas offrir un abri à un invité est illustré par la mitsva de la egla aroufa, la « génisse décapitée ». Si un étranger est retrouvé mort dans un champ et que personne ne sait qui l’a tué, les anciens de la ville la plus proche du cadavre doivent tuer une jeune génisse et proclamer : « Nos mains n’ont pas versé ce sang et nos yeux n’ont pas vu [ce crime] ».2 En d’autres termes, les habitants de la ville doivent témoigner qu’ils n’ont pas vu passer ce voyageur et qu’ils n’ont pas ignoré ses besoins.3

Nous ne pouvons pas simplement détourner les yeux des besoins d’une autre personne et nous dire que tout ira bien, qu’elle peut prendre soin d’elle-même, que D.ieu l’aidera. Il est de notre devoir de remarquer, de nous soucier, de nous sentir concernés et d’agir.

Le thème de la egla aroufa fait une apparition surprise dans la lecture de la Torah de cette semaine.

Après que Joseph ait révélé sa véritable identité à ses frères, il les renvoya chez leur père, Jacob, chargés de cadeaux. Au début, Jacob refusa de croire que Joseph était vivant. Puis le verset dit : « Il vit les chariots que Joseph avait envoyés pour le transporter, et l’esprit de leur père Jacob revint à la vie. »4

En quoi le fait de voir les chariots raviva-t-il l’esprit de Jacob ? Citant le Midrash, Rachi explique que les chariots (agalot en hébreu) faisaient allusion à la egla aroufa, la dernière leçon de Torah que Jacob avait enseignée à Joseph avant leur séparation brutale. Lorsque Jacob vit les chariots, il comprit le message que Joseph lui envoyait : « Ne t’inquiète pas, Père. Je suis toujours en vie. Je suis toujours ton fils Joseph. La Torah que tu m’as enseignée demeure vivante en moi. »

La leçon de la egla aroufa permit à Joseph de tenir bon pendant toutes ses terribles années de servitude en Égypte. Il n’était qu’un adolescent de 17 ans lorsqu’il fut cruellement arraché à son père. Le message d’adieu de son père, qu’il le veuille ou non, était qu’il n’existe pas de Juif qui soit seul, délaissé, abandonné. Si un corps est retrouvé aux abords d’une ville, toute la ville, y compris les anciens, doit se réunir pour rendre des comptes. « Nous avions l’obligation de lui fournir de la nourriture et un abri, et de l’aider à poursuivre son chemin en toute sécurité. Nous sommes responsables non seulement de ses besoins physiques, mais aussi de ses besoins spirituels. »

C’est ce que Joseph disait à son père. « Abba, tu m’as bien formé. Tu ne m’as pas envoyé sur mon chemin les mains vides. Tu m’as nourri, tu m’as revêtu de vêtements spirituels qui m’ont tenu chaud et à l’abri pendant 22 longues années. Tes paroles d’adieu m’ont donné la force et le courage de résister à toutes mes épreuves et tribulations en Égypte. »

Et l’esprit de Jacob revint à la vie.

(Basé sur une allocution du Rabbi du Loubavitch, Likoutei Si’hot, vol. 30, p. 222)