Vayéchev – Joseph en Égypte
C’est avec la neuvième section du Livre de la Genèse que commence la chronique du fils de Jacob, Joseph. Joseph partage avec ses frères ses rêves, dans lesquels il se voit le futur guide de la famille de Jacob. Cela convainc ses frères qu’il constitue une menace, et ils décident alors de l’éliminer. Joseph est vendu en Égypte en esclave, et s’y élève à la position d’intendant de la maison de son maître pour être par la suite incarcéré sur la foi d’accusations mensongères. La narration s’interrompt pour relater la façon dont Judah, le fils de Jacob, est ostracisé par sa famille et par la suite abusé en ayant des enfants de sa bru devenue veuve, Tamar.
L’image présentée en ouverture de la paracha Vayéchev est d’une perfection quasi idyllique : la famille de Jacob est entière, ses enfants sont tous loyaux envers ses idéaux, il a amassé une fortune considérable, il est revenu au siège des patriarches en Terre sainte et a endossé l’habit du leadership. En outre, il s’est forgé une solide réputation en venant à bout de trois adversaires – Laban, Ésaü et Che’hem –, et il est à la fois estimé et craint par la population alentour. Il semblerait qu’il ne lui reste qu’à continuer à guider sa famille jusqu’à ce qu’elle devienne mûre pour recevoir la Torah. Le nom même de la paracha, Vayéchev, qui signifie « il s’établit », évoque une image de sérénité pastorale.
Cependant, comme nous le découvrons immédiatement, une rivalité fratricide couvait sous la surface, menaçant tous les espoirs que cette fratrie perpétue la vision des patriarches. Tout d’abord, Joseph est vendu en esclave par ses frères ; puis Judah s’éloigne d’eux pour forger une alliance en dehors de la famille. Jacob lui-même demeure inconsolable de la perte de Joseph. Il semblerait donc que cette paracha ne reflète rien de la tranquillité suggérée par son nom.
Pour comprendre cette apparente contradiction, il convient de rappeler que Jacob avait conscience du fait qu’accomplir la mission confiée par Dieu de faire du monde une demeure pour Lui impliquait de vaincre le pouvoir métaphysique d’Ésaü,1 et que Joseph personnifiait les vertus susceptibles de faire aboutir cette victoire.2 C’est pourquoi Jacob vit en Joseph son successeur naturel.
Cependant, tandis que Jacob se concentrait sur les qualités spirituelles intérieures de Joseph, ses frères ne pouvaient que remarquer le fait qu’il faisait montre d’une arrogance qui rappelait d’une façon alarmante celle d’Ésaü ! Et le fait que leur père le traitait comme leur supérieur, ignorant manifestement ses défauts, ne fit que conforter en eux la comparaison entre lui et Ésaü : après tout, Isaac, le père d’Ésaü, ne s’était-il pas aussi fourvoyé en pensant que son fils préféré était son héritier de droit en dépit de sa conduite manifeste ?
Les frères se convainquirent ainsi que, loin d’être le contrepoison à Ésaü, Joseph était bel et bien le nouvel Ésaü, et devait à ce titre être éliminé.3 Une fois les frères de Joseph définitivement convaincus qu’il était indigne du rôle de leader, la providence divine devait agencer les événements de façon à conforter leur conviction, et c’est ainsi que commença la longue saga de l’odyssée de Joseph en Égypte.
Dans cette perspective, lorsque Jacob aspira à la tranquillité nécessaire à mieux accomplir sa mission, il ne faisait que solliciter ce qu’il avait mérité en surmontant les épreuves de Laban, d’Ésaü et de Che’hem, et pour un temps, Dieu lui accorda cette tranquillité. Mais à présent, Dieu souhaitait gratifier Jacob d’une plus profonde tranquillité en lui permettant d’accomplir sa mission d’une façon plus sublime. Cette tranquillité transcenderait celle qu’il avait atteinte au titre de ses propres efforts, et constituerait un avant-goût de l’ère messianique. Mais pour atteindre un tel degré de paix et de contentement, Jacob devait traverser une épreuve telle qu’il n’en avait jamais affronté auparavant.
En endurant cette souffrance, Jacob s’ennoblit au point de devenir par la suite (dans la paracha Vaye’hi) digne de se voir gratifier par Dieu d’une paix et d’une félicité infiniment profondes.
Ainsi, la leçon que nous pouvons retirer de cette paracha est la conscience que nous devons toujours avoir que la main de la providence divine est constamment à l’œuvre, fût-ce de façon dissimulée, derrière les événements. Quelque désespérée qu’apparaisse notre situation, le salut peut se trouver à courte portée, et ses rouages ont peut-être déjà été mis en mouvement.4
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