Vayichla’h – Jacob en Canaan
La huitième section du Livre de la Genèse relate les défis affrontés par Jacob lors de son retour dans Canaan. Elle s’ouvre au moment où Jacob apprend que son frère Ésaü, toujours habité par la rancune, s’est mis en chemin pour l’affronter. Jacob envoie (vayichla’h en hébreu) des messagers à la rencontre d’Ésaü et neutralise par la suite la menace qu’il représentait. Après cela, Jacob doit affronter l’enlèvement de sa fille Dinah et l’outrage commis envers elle par la population locale. Suite à cela, son épouse Rachel meurt en mettant au monde. Le récit conclut enfin la chronique du père de Jacob, Isaac, et de son frère Ésaü tirant un trait sur la pertinence d’Ésaü dans le cadre de la narration de la Torah jusqu’à l’avènement du futur messianique.
Les ouvertures manifestées par Jacob envers Ésaü peuvent être simplement perçues comme autant de tentatives de sa part de faire la paix afin de pouvoir poursuivre son retour chez lui. Bien qu’il y ait du vrai dans cette interprétation, un regard plus attentif sur cet épisode révèle qu’une trame plus profonde se déploie devant nous.
Comme nous l’avons vu, Isaac avait préféré Ésaü à Jacob, entrevoyant en lui le relais idéal dans la chaîne de transmission commencée avec Abraham. Cela tenait au fait qu’Isaac avait conscience de l’immense potentiel d’Ésaü : il considérait que si seulement l’énergie débordante, la détermination juvénile et la ruse consommée d’Ésaü pouvaient être gagnées à la sainteté, il pourrait se révéler un vaillant champion de la grande vision d’Abraham. C’est la raison pour laquelle Isaac souhaitait bénir Ésaü de toute l’abondance requise pour cette mission, en espérant que cela l’inspirerait à s’amender. C’est seulement lorsqu’il devint avéré qu’Ésaü n’avait nullement l’intention de consacrer sa vie aux idéaux de son père et son grand-père qu’Isaac se résolut à désigner Jacob comme son successeur et à lui donner les bénédictions initialement destinées à Ésaü.
Rien de cela n’avait échappé à Jacob. Il savait que la subtile sensibilité spirituelle de son père ne l’avait pas égaré lorsqu’il avait discerné un potentiel vital chez Ésaü. Jacob reconnut ces qualités éminentes d’Ésaü et comprit que, pour conduire le monde à sa destinée, il faudrait associer ses aptitudes aux siennes.
En même temps, Jacob comprit ce que sa mère avait perçu, à savoir que c’était lui, et non Ésaü, qui aurait pour tâche d’orchestrer le processus de synthèse nécessaire à l’aboutissement de ce projet. Eu égard à son dévouement fidèle à la Torah, Jacob était celui qui possédait l’ampleur de vue et la connaissance de la volonté de Dieu nécessaires à dompter la force brute et indomptée d’Ésaü.
Nous pouvons à présent comprendre comment Jacob, lors de sa rencontre avec Ésaü, ne chercha pas uniquement à neutraliser son frère afin de pouvoir ensuite mener à bien ses tâches, mais à l’amener à accepter que leurs forces respectives se coalisent. Si Ésaü n’avait pas été mûr pour cela à l’époque de son père, à ce moment peut-être – une fois que Jacob s’était révélé capable d’élever une famille vertueuse en déjouant la rouerie de Laban, et qu’il avait amassé une fortune considérable – Ésaü serait assez impressionné pour se soumettre au leadership de Jacob.
Lorsqu’il devint clair qu’Ésaü n’était pas prêt, Jacob n’eut d’autre choix que celui d’accepter le fait que dompter les forces d’Ésaü serait un parcours long et ardu qui devrait s’effectuer sur un plan métaphysique, à travers un processus graduel de mutation des puissances à lui associées, avant de pouvoir être mis en œuvre dans le cadre du peuple juif à naître.
Néanmoins, bien que Jacob dut abandonner son projet initial, il entrevit dès le début ce qui était la clé du succès ultime de son projet. Le nom de la paracha, Vayichla’h (« il envoya »), a trait à la façon dont il envoya des émissaires à Ésaü dans le but de lui proposer de joindre leurs forces. Loin d’être un détail fortuit du récit, cet acte caractérise l’idéal nécessaire à assurer le succès de la rencontre de Jacob avec Ésaü.
Jacob comprit qu’il est impératif pour nous de nous percevoir en tout temps comme des émissaires. En tant qu’émissaires de Dieu dans ce monde, nous n’agissons pas forts de notre seul pouvoir, car c’est un pouvoir issu de Dieu qui nous est conféré ; à ce titre, nous pouvons toujours puiser des ressources infinies de perception, de force et d’inspiration prodiguées par Lui.1
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